Les meilleures choses ont une fin ; heureusement, les pires aussi. Quand il s'agit de cinq années de guerre, il devient possible de le chanter sur un ton plaisant ou ironique. Les commémorations, en 2024, de la libération nous ont conduit à rechercher ces chansons composées ici et là par les gens qui ont subi ces événements. Rarement proposées avec une musique originale, elles utilisent largement des timbres connus. Vous reconnaitrez facilement celui-ci.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Quatorze communes française portent le patronyme de Saint-Aignan (1). Ne cherchez pas, le Saint-Aignan de la chanson n'est pas situé dans nos limites départementales, mais peu s'en faut. Il s'agit de la commune de Saint-Aignan-sur-Roë, tout au sud de la Mayenne et dans le secteur où Patrick Bardoul a mené un important travail de collecte.
Passée la période de l'occupation, les français avaient reconquis la liberté mais pas pour autant toutes les facilités attendues d'une paix retrouvée. S'ouvrait alors une période qui allait durer jusqu'aux années cinquante. De longues années où les pénuries de biens de consommation, ajoutées aux efforts sollicités du bon peuple pour que la patrie retrouve une économie compétitive, ont forgé les mentalités de toute une génération. Le mot gaspillage n'avait alors pas cours et la vie quotidienne était encore loin de la société de consommation qu'on associe aux fameuses « trente glorieuses ». Dans cette chanson, ce sont ces aspects de la vie courante qui sont mis en lumière, avec beaucoup de fantaisie mais aussi de réalisme. Le principal souci c'est la nourriture et on voit que les restrictions n'épargnent ni la viande ni les légumes. Comme l'expliquait un lecteur de ce blog à propos d'une autre chanson, le doryphore dans les patates peut encore faire allusion aux réquisitions de l'occupant, le mot doryphore ayant servi à désigner le trouffion allemand de base. Au dela de la subsistance alimentaire, c'est aussi la difficulté de s'habiller qui donne l'image d'un pays en pleine reconstruction où les équipements et l'industrie lourde sont privilégiés par rapport aux besoins matériels quotidiens de la population. Il y a donc finalement dans ces quelques couplets innocents, un portrait assez fidèle des difficultés ressenties par les français en 1945...et après.
Reste un dernier sujet qui préoccupe les familles : le retour des prisonniers. Ce thème était déjà abordé dans notre précédente publication (n° 476 – le retour du prisonnier) il y a trois semaines. Ils ont connu le pire et pour leur faire la fête on n'est même pas sur d'avoir assez de pommes de terre. C'est dire si la situation est grave.
Les chansons de cette période issues du répertoire populaire n'ont guère fait l'objet de recherches, à l'exception d'un ouvrage intitulé « La Résistance en chantant » reprenant un bon nombre de textes semblables à celui-ci, issus des collectes de Paul et Edmée Arma (2). Au hazard des collectes, cahiers de chansons et feuilles volantes sont venus étoffer ce répertoire d'un genre particulier, témoin d'une expression populaire hors des circuits de diffusion de masse.
Vous avez, bien sur, reconnu le timbre de Cadet Rousselle, un des plus utilisés et qui nous a épargné une énième utilisation de la Paimpolaise. Depuis sa création à la période de la révolution, ce timbre facile à utiliser est un peu mis à toutes les sauces. S'il n'a qu'un peu plus de deux cent ans d'ancienneté, il doit beaucoup à la chanson de Jean de Nivelle (15è siècle) qui lui a servi de source d'inspiration.
Pour faciliter l'écoute de la chanson, nous avons choisi de regrouper les couplets par deux, dénaturant un peu son interprétation. Il va de soi que, tout comme dans le timbre original, les deux premiers vers de chaque couplet sont faits pour être bissés. A vous de l'interpréter à votre façon.
J-L. A.
notes
1 - dont une en Loire-Atlantique, Saint-Aignan-de-Granlieu, près du lac du même nom.
2 - La Résistance en chantant, de Sylvain Chimello – éditions Autrement, avec le soutien de France Bleue (2004)
Interprète: Jean-Louis Auneau – réponses : Liliane Berthe, Nicole Barbaud , Christine Dufourmantelle, Jeannette Lebastard
Source : archives Dastum 44, fonds Patrick Bardoul (4112-0007)
Timbre : Cadet Rousselle
Refrain
Ah, ah, ah oui, vraiment
C’était la guerre - Bis
Ah, ah, ah oui, vraiment
C’est l’après-guerre à Saint-Aignan
1. Pour la fête des prisonniers
Gens du pays, il faut donner
Si de l’argent vous n’avez point
Prenez dans la poche des voisins.
2. Si vous allez au restaurant
Du poulet vous d’mandez le blanc
Vous avez le blanc d’votre assiette
Avec une chopine de piquette.
3. Si vous voulez de beaux naviots
Y’a qu’des carottes ou des poireaux
Y’a p’us d’bananes ni de dattes
Y’a le doryphore dans les patates
4. Si vous allez chez le boucher
Faut faire la queue avant d’entrer
Quand pour vous arrive l’heure H
Y n’reste plus que d’la queue d’vache.
5. Si vous allez chez l’charcutier
Pour des rillettes ou du pâté
Lorsqu’elles voient le p’tit cochon
Les dames disent : comme il est mignon.
6. Si vous allez chercher du beurre
La baratte est cassée à c’t’heure
Alors on demande un lapin
Y disent : on a p’us rin de rin.
7. Si vous voulez du zénana
Un joli manteau en peaux d’rats
De la fibrane qui est si jolie
On vous donn’ra d’la peau de zébie.
8. Si vous voulez de belles chaussures
L’on vous r’garde d’abord la figure
Et si vous chaussez du trente-sept
Il n’reste plus qu’du quarante-sept.
9. Si vous avez plusieurs pendules
Les unes avancent, les autres reculent
L’on finit par perdre la tête
Une marque 5 heures et l’autre 7.
10. Les prisonniers vont tous rentrer
Les boches sont dans leurs barbelés
Voyez la soupe qu’on va leur faire
Elle s’ra sûrement sans pommes de terre.
Dernier refrain
Ah, ah, ah oui, vraiment
Fini la guerre - Bis
Ah, ah, ah oui, vraiment
Fini la guerre à Saint-Aignan
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