Comme tous les ans à la même période, nous alimentons la chronique judiciaire ; c'est notre marronnier. Parmi les complaintes criminelles recueillies dans notre secteur, celle ci n'a pas connu le retentissement de la « tuerie du Landreau » ou des aventures du « bandit Jules grand ». Mais elle est tout aussi sordide et s'appuie sur les mêmes ressorts pour provoquer l'émotion de l'auditoire, faire pleurer sur le sort des victimes et attiser le besoin de voir condamnés les coupables. La mélodie ne vous est sans doute pas inconnue ; certains l'ont baptisée « l'air de toutes les complaintes ».
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Bien sur, il s'agit du fameux timbre de Fualdès, abondamment utilisé tout au long du 19è siècle et jusqu'à la première guerre mondiale. Un tiers des complaintes criminelles recueillies en Loire-Atlantique utilisent ce timbre (1). Si les auteurs de ces textes ne connaissaient pas forcément l'histoire originelle de l’assassinat du procureur Fualdès, on peut tout de même remarquer une similitude entre les deux affaires : les meurtriers se débarrassent de leurs victimes en les jetant dans une rivière (2) . A Rodez c'était dans l'Aveyron ; ici c'est le Don, charmante rivière qui serpente dans le nord du département ;
Pauvre Jean-Marie Lemasson ;
Toujours censé être le chef de famille, mais infirme, il est plutôt
considéré comme une bouche inutile par sa femme et son fils. Ceux
ci ne trouvent rien de mieux que de s'en débarrasser en faisant
passer sa noyade pour un suicide. Mais les enquêteurs ne sont pas
dupes.
Mme Pichaud, à qui les deux collecteurs doivent cette
chanson, avait été marquée par cet événement tragique alors
qu'elle n'avait que cinq ans. Le village de Breil-Benoit, est à
l'entrée du bourg d'Issé, non loin de Chateaubriant. C'est au
milieu de ce hameau que les premières constatations furent
effectuées. Le corps repêché étendu sur une table d'autopsie de
fortune constituée d'une porte posée sur deux tréteaux. Un image
certainement marquante pour de jeunes enfants. En revanche, faute de
disposer du texte imprimé, la mémoire de la chanteuse était un peu
défaillante. Elle avait alors 101 ans (en 1998) ce qui peut excuser
les blancs subsistant dans le déroulement de la complainte. C'est
donc en effectuant un montage des paroles chantées lors de deux
enregistrements que nous avons pu reconstituer la quasi intégralité
du texte.
La principale alternative entre les deux versions concerne le dispositif sommaire utilisé par les meurtriers. Dans un cas :
Une pelle autour du cou
Pour ne pas manquer leur coup
Dans l'autre :
Une pelle autour du corps
Pour ne pas remonter le corps
A vous de choisir.
Le crime a eu lieu le 12 mai 1894. Le jugement est intervenu le 19 décembre de la même année. La complainte semble avoir vu le jour au lendemain de celui ci, si on en croit le dernier couplet. En effet, les auteurs de ces complaintes sur feuilles volantes devaient suivre l'actualité au plus près pour avoir une chance de vendre leurs productions dans les villages ou sur les places de marchés.
Pour tout savoir sur le phénomène des complaintes criminelles nous vous recommandons la lecture de l'ouvrage publié par Jean-François « Maxou » Heintzein : « Chanter le crime - Canards sanglants & complaintes tragiques (éd. Bleu autour - 2022) »
J.L.A.
Notes
1 – C'est également valable dans l'ensemble du territoire, d'après les relevés effectués par « Maxou » Heintzein. Seul le timbre de la Paimpolaise, après 1905, a pu connaître un tel succès.
2 – C'est aussi le cas pour le « Mystère de l'Erdre », composée sur le même timbre (chanson n° 79, nov. 2014)
Interprète : Jean-Louis Auneau
source : Mme Pichaud, née Pauline Huet, 101 ans – enregistrée par Pierre Guillard et Patrick Bardoul en 1988 et 1990 à Issé
timbre : air de Fualdès
Écoutez tous gens paisibles
Qui vivez dans cet endroit
Le crime de Breil-Benoit
C'est une chose pénible
Un vieillard paralysé
Qui a été assassiné
Ce vieillard qui était infirme
Était sûrement maltraité
Sa femme et son fils aîné
Le rendaient pauvre victime
Car le fils à son égard
Était dur pour ce vieillard
Voulant faire croire au suicide
Après l'avoir étranglé
Ces deux misérables avaient
Encore attaché de suite
Une pelle autour du cou
Pour ne pas manquer leur coup
A eux deux ils transportèrent
Le corps du père Lemasson
Dans la rivière du Don
Mais bientôt il fut découvert
L'autopsie a révélé
Qu'il ne s'était pas suicidé
Heureusement la justice
Du canton de la Meilleraye
A su bientôt les arrêter
Les conduit en cour d'assises
Pour y être condamnés
Tous deux aux travaux forcés
Écoutez gens de la campagne
La morale de ce récit
La sentence qui aujourd'hui
Les a condamné au bagne
A vingt ans le fils aîné
La mère à perpétuité
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