vendredi 24 mars 2023

436 - A la cour du palais

Que ce soit à la cour du palais ou sur ses marches, cette histoire d'amour plus fort que les conventions est archi-connue. En dépit d'une version classique diffusée en particulier par le chant scolaire, les mouvements de jeunesse et abondamment enregistrée (1), les versions qui émaillent nos répertoires populaires donnent à cette aventure un aspect complètement différent. Couleur, tonalité, rythme et développements variés expliquent pourquoi elle est l'une des vedettes du folklore francophone.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Celle qu'on peut désormais qualifier de « version officielle » (1) n’apparaît dans aucun recueil populaire avant la fin du 19è siècle. Elle a été publiée par l'historien Charles Seignobos (2), qui l'a peut-être adaptée lui-même. Mais la trame de cette histoire et ses nombreuses adaptations sont connues dans les écrits depuis le 16è siècle : Chardavoine (1576), Mangeant (1615) puis d'autres recueils aux siècles suivants, dont Ballard (1736). L'étude réalisée par Patrice Coirault sur les sources de cette chanson montre bien que depuis le début elle se chante sur des airs de rondes. Contrairement à l'air aujourd'hui le plus connu, les collectes réalisées notamment dans l'ouest de la France associent ce texte à une danse : ridée, pilé menu, ronds de St Vincent ou de l'Ile d'Yeu ou, pour notre version, ronds du pays Guérandais ou de la Brière.

C'est une servante qui tient ici le rôle féminin. Dans de nombreuses versions et probablement à l'origine, elle est « la flamande ». Plutôt que nous livrer à des supputations qui nous renverraient à des épisodes peu connus de l'histoire de France et de ses alliances entre princes et princesses, nous nous contenterons d'insister sur l'argument principal. Car c'est un thème qu'on retrouve dans bien des chansons d'amour que celui d'un personnage de classe inférieure amoureux d'une fille de la haute. Cet amour est réciproque. On nous rappelle parfois que parmi ses amoureux figurent le fils du roi et son valet de chambre. Attention, le valet ne désigne pas une relation ancillaire mais un personnage noble de l'entourage du prince ; conseiller ou aide de camp par exemple.

Bref, le fond de l'affaire c'est qu'un simple cordonnier fait sa cour (au palais) à une demoiselle pour qui il vient de faire des souliers. Pas n'importe quoi non plus ; ils sont en maroquin, c'est à dire d'un cuir fin et souple, habituellement en peau de chèvre. Fournisseur officiel du palais et non pas simple savetier, faut quand même pas exagérer. Selon les endroits le maroquin est à la mode de France, de Hollande, ou assez fréquemment dans notre secteur, de Nantes.

Dans la plupart des versions populaires apparaissent alors des détails absents du texte édulcoré. Le galant fait sa livraison directement dans la chambre de sa belle et à minuit. Ces heures supplémentaires ne sont pas prévues dans les usages de sa corporation. Ils ne vont pas se contenter de « dormir » ensemble. Tous les couplets qui suivent ne semblent bien être que des allégories d'une nuit d'amour. Du rossignol qui chante à cette rivière qui coule au milieu du lit, sans oublier dans de nombreux cas les chevaux du roi qui viennent boire en bande ou se baigner ensemble. Tout cela laisse une bonne place à l'imagination.

Les épisodes concluant cette histoire d'amour sont tellement variés qu'il serait vain de vouloir s'arrêter sur l'un plutôt que sur l'autre. Dans notre version, les amoureux sont heureux comme le roi de France. Dans d'autres, c'est le sentiment d'avoir bravé des interdits qui domine :

Si le roi le savait, il nous ferait tous pendre ;

Reste un élément dont nous n'avons encore rien dit : le refrain. Ce début d'énumération a des réminiscences des contes où les petits lutins dansent sur la lande et châtient un bossu qui ose continuer l'énumération jusqu'au dimanche. Cette forme de refrain est assez souvent associée à la « cour du palais » en Haute Bretagne. Mais peut-être faut-il en voir l'origine dans la suite logique de paroles qu'on trouve en certains endroit (3) :

...Lundi sera les noces

Mardi sera la danse

Oh mercredi-t-au soir

Nous coucherons ensemble

Dans un beau lit...

Et vive la jeunesse qui ne vit que d'amour !


notes

1 – interprétée par Guy Béart, Nana Mouskouri, les Compagnons de la chanson, Marie Laforêt, Yves Montand, Dorothée...et tant d'autres

2 – renseignements recueillis dans « Aux sources des chansons populaires » de Martine David et Anne-Marie Delrieu (Belin – 1984) et « Formation de nos chansons folkloriques » de Patrice Coirault, tome 2 (éd. Du Scarabée – 1956)

3 – notre exemple vient du « Chansonnier Franco-Ontarien » de Germain Lemieux (t. 2 p. 86)


interprète : Béatrice Denoue, avec Janick Péniguel et Annick Mousset

source :  Félix Aoustin, enregistré à Saint-Joachim (Loire-Atlantique) par Christine Viaud

catalogue P. Coirault : La Flamande qui a tant d’amoureux (Demande en mariage… - N° 04801)

catalogue C. Laforte : La mariée s’y baigne (I, D-01)



Dans la cour du palais, lundi, mardi, jour de mai

Dans la cour du palais, l’y a t’une servante

L’y a t’une servante, lundi, mardi, danse


Elle a tant d’amoureux, lundi, mardi, jour de mai

Elle a tant d’amoureux qu’elle ne sait lequel prendre…


C’est un p’tit cordonnier qu’a eu la préférence

Lui a fait des souliers en maroquin de France

S'en va les lui porter à minuit dans sa chambre

En lui mettant au pied lui a fait sa demande

La belle si vous voulez nous coucherons ensemble

Dans un grand lit carré couvert de toile blanche

Aux quatre coins du lit le rossignol y chante

Dans le mitan du lit la rivière est courante

Et nous serions couchés comme le roi de France


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