Nous avons chanté le muscadet et le gros-plant, les civelles ou le beurre blanc (1). Il est grand temps de vanter un autre produit, fleuron de la gastronomie locale : le sel de Guérande. On en trouve aujourd'hui partout, jusque dans les caramels. Sa réputation n'est plus à faire mais il n'en a pas toujours été ainsi. Cela méritait bien une petite chanson, qui s'attarde moins sur le produit lui même que sur ceux et celles à qui nous le devons : les paludiers.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Depuis fort longtemps, la réputation du sel de nos côtes a franchi les frontières. Déjà, au moyen-âge, la production de la baie de Bourgneuf s'exportait jusque dans les pays nordiques. De nos jours c'est le sel de Guérande qui fait l'objet d'une promotion active et dont la qualité est mondialement reconnue. L'extraction de cet « or blanc » fait appel à des techniques ancestrales, bien loin de l'usage du tracto-pelle de certains récoltants à l'échelle industrielle. Ici, on est toujours dans un savoir faire artisanal.
Cet artisanat a longtemps été menacé. Dans les années 60 – 70 les projets grandioses d'un maire de La Baule (2) visaient ni plus ni moins qu'à combler les marais pour y faire passer rocades et pénétrantes amenant directement les touristes au cœur de la station balnéaire. Il a fallu batailler ferme pour sauver ces marais salants. La chanson que nous vous proposons est probablement née de ce besoin de revaloriser un métier en danger. En effet, elle est beaucoup plus récente que l'ensemble des textes que nous vous présentons d'habitude. L'auteur des paroles est un écrivain baulois (lui aussi) André Grethner, qui a publié la chanson en 1975 dans un ouvrage consacré aux sels de la façade atlantique. Il précise qu'elle est adaptée d'un air folklorique ; un timbre que nous n'avons pas pu identifier.
Fernand Gueriff, l'a reprise dans le volume 3 du « trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande »(3). Cette chanson a été rapidement adoptée par des chanteurs et chanteuses du pays, ce qui explique qu'elle figure en bonne place dans des collectes effectuées dans les décennies suivantes. La folklorisation a été rapide.
Hommage est donc rendu aux travailleurs de la presqu'ile guérandaise qui récoltent pour nous cet assaisonnement chargé d'histoire. Nous ne nous étendrons pas sur celle ci ni sur les techniques mises en œuvre. Vous avez toute possibilité de vous documenter. En particulier en visitant le musée des paludiers, au Bourg de Batz, avec lequel nous avons collaboré ces dernières années dans le cadre de visites en chansons. Précisons tout de même que le terme «saunier» est utilisé ailleurs (Noirmoutier, Charentes) et fait directement référence au sel. En presqu'ile guérandaise c'est le terme « paludier » qui est employé. Son étymologie renvoie donc plus aux marais qu'au produit lui même.
Quelques termes techniques apparaissent dans la chanson (4) :
Le tesselier est le tas de sel récolté, en bordure du marais salant. L'amas de sel est lui même appelé le mulon.
Le trémet est une plate forme en terre battue où on laisse s'égoutter le sel.
L'oeillet est la « table salante » où l'eau de mer dépose le produit.
Le las est un râteau sans dents à très long manche qui permet la récolte.
Le portage du sel dans des gèdes (paniers) était autrefois dévolu aux paludières, les « porteresses » de la chanson ; Une tradition heureusement abandonnée.
Aujourd'hui encore le sel est au cœur d'une polémique au sujet de l'attribution du label bio indifféremment à la production artisanale locale comme à l'extraction industrielle dans le sud du pays. Une raison de plus pour chanter cette chanson du paludier.
notes
1 – dans ce blog mais aussi dans notre CD « chants des plaisirs de la table » que vous pouvez toujours vous procurer.
2 – Olivier Guichard (1920-2004) maire de la Baule et ministre gaulliste de « l'aménagement du territoire ».
3 – Le trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande », volume 3, page 297 – édité par Dastum 44 et le Parc Naturel régional de Brière (2009)
4 – d'après le glossaire joint par A. Grethner à sa chanson
interprètes : Janick Péniguel et Justine Letertre
source : collectage de Joséphine Legal à Saillé (Guérande) - date inconnue -
Créée par André Grethner (1906-1987) et publié dans l'ouvrage « Promenade sur les marais salants de l'Atlantique » (édition des paludiers – 1975) sous le titre « C'est nous les rudes paludiers » - illustrations extraites de l'ouvrage.
C’est nous les rudes paludiers
De la côte de l’Atlantique
S’il y a du sel plein nos paniers
Y’aura du vin dans nos barriques
Du pain pour toute la saison
Et de la joie dans nos maisons
refrain
Aussi nous chantons, tous à l’unisson
Tirons, portons le joli sel au tesselier
C’est la chanson du paludier
Sur le trémet, tirons, portons
Depuis le gué jusqu’au mulon
C’est la chanson du paludier (bis )
Nous sommes tous de braves gens
Mais nous avons la vie bien dure
Il faut savoir manier le las
Et se griller sur la dure
Les pieds dans l’eau, la tête au vent
Vous entendrez pourtant nos chants
Hardi, compagnons
Tous à l’unisson
C’est pour vous que nous peinons
Français des villes et des villages
Car votre pain serait-il bon
Sans le beau sel de nos rivages
N’oubliez pas le dur métier
Que fait pour vous le paludier
Tandis que le vent emporte son chant
Voyez briller près des étiers
Ces blancs mulons dans la lumière
C’est le trésor des paludiers
Acquis au prix de leur misère
Garnissez-en tous vos saloirs
Nos lendemains seront moins noirs
Et nous chanterons
A chaque saison
Amis, donnons-nous tous la main
De la Bretagne à la Charente
Et buvons un bon coup de vin
A la santé de nos charmantes
Si nous demeurons tous unis
Nos marais iront à nos fils
Et nous chanterons
Tous à l’unisson.
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