Voici donc la suite et la fin de notre
feuilleton de l'été. Déjà ? Ce n'est pas qu'on regrette de
quitter la compagnie du grand Jules, un personnage qui n'inspire
aucune sympathie. Mais on commençait à peine à s'habituer à
l'évocation de cette vie en raccourci.
Raccourci est le terme le plus juste,
car, tuant prématurément le suspense, nous avons suggéré la
semaine passée le rôle joué par monsieur l'exécuteur des hautes œuvres dans cette affaire. Auparavant de couper court à notre
histoire, il nous reste à évoquer les derniers soubresauts de
l'aventure du criminel; des faits qui n'ajoutent plus rien à une vie
déjà bien ternie.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Quittant les rivages de l'océan où il
avait trouvé refuge, Grand se rapproche de Nantes. A Savenay, dans
la nuit du 7 au 8 janvier 1910, il viole la jeune directrice de
l'école publique des filles à qui il volait ses économies. Se
réfugiant au Temple de Bretagne il blesse grièvement un jardinier
qui avait découvert fortuitement sa cachette. Le lendemain c'est le
jardinier du château du Plessis, à Orvault (1), qui échappe de peu
à la mort. Plusieurs autres châteaux sont cambriolés à proximité
de Nantes, dans les quartiers du Petit-port et de la Jonelière. Mais
la fin est proche. On perd sa trace jusqu'au 14 janvier où il est
repéré à La Garnache, en Vendée. Le garde-champêtre, Pierre
Chaigneau et les gendarmes cernent l'auberge où il est arrêté.
C'en est fini de la cavale de l'ennemi public.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
Deux couplets résument son attitude en prison. Il donne d'abord de
fausses identités, une tactique qui lui avait bien réussi dans le
passé, puis essaye de se faire passer pour fou. Détenu à la prison
de Saint Nazaire, il tente de tuer ses gardiens, le 1er février. En
mars il est conduit dans le sud pour répondre de ses actes passés.
A Nice, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité pour les
crimes décrits dans le premier épisode. C'est la seconde
condamnation, après celle du conseil de guerre. La troisième sera
définitive. Il est condamné à mort le 18 décembre 1910 par la
cour d’assises de Nantes pour l’assassinat de Clémentine Fouché,
le viol de Marie Fresneau, les tentatives d’assassinat sur les
jardiniers Letort et Jarnoux. L'exécution intervient le 25 mars
1911. La guillotine est dressée place Lafayette à Nantes (2). M.
Anatole Deibler, le bourreau, s'est déplacé de Paris. La rumeur
veut qu'il ait déclaré à son sujet : « il est moins Grand mort
que vivant».
C'est là que se termine donc
l'histoire d'un des plus grands criminels de ce début du vingtième
siècle, trois fois condamné à mort. De telles aventures méritaient
bien une complainte. Il y en eut plusieurs composées sur le sujet
(voir épisodes précédents). Celle ci est la plus complète et a
été collectée à plusieurs reprises dans le département où les
esprits ont été fortement marqués par ces événements.
Les coupures de presse qui illustrent
cet article sont extraites du quotidien Ouest-Eclair des samedi 25 et
dimanche 26 mars 1911 (source: Gallica )
Ainsi prend fin notre feuilleton, mais
connaissant votre goût pour les complaintes criminelles nous ne
manquerons pas d'enrichir ce répertoire ultérieurement. Si le genre
a disparu sous l'effet de la médiatisation radio-télévisuelle, les
archives regorgent de feuilles volantes toutes plus ou moins basées
sur la même architecture, exposant des faits et des crimes à faire
frémir dans les chaumières jusqu'au châtiment final.
La semaine prochaine nous renouerons
avec un genre plus léger: la chanson grivoise. Bonnes vacances et à
bientôt.
notes
1 – Cette fois la chronologie est
respectée (voir couplets de la semaine précédente)
2 - aujourd'hui place Aristide Briand,
devant l'ancien palais de justice.
interprète: Jean-Louis Auneau
sources: Gisèle Bourreau
enregistrée le 21 mars 2003 à Oudon par Hugo Arribart - Lucie
Rastel enregistrée le 29 mai 1981 par Raphael Garcia à Kerbourg en
St Lyphard – Texte communiqué par Vincent Morel d'après M.
Piquet, enregistré à la Meilleraye de Bretagne par Patrick Bardoul
– autre collecte: François Baholet, enregistré en Brière par
Joseph Gervot
suite et fin (couplets 25 à 36)
Une directrice d'école
A du subir l'horreur
De l'ignoble passion folle
De l'odieux malfaiteur
Et de plus, le brigand
Lui vole deux cent francs
Laissant la pauvre fille
Presque morte de peur
Un souvenir de famille
Il lui laissa d'ailleurs
Les quinze francs d'abord
Puis une montre en or
Jules Grand se réconforte
Puis, étant rassasié
Vers le Temple il se porte
C'est pour se reposer
Une serre de jardinier
Lui servit de sommier
Monsieur Letort arrive
Vers sept heures du matin
Sans lui crier; qui vive !
Le féroce assassin
Lui tira sauvagement
Un coup à bout portant
Enfin le bandit se sauve
Du coté de Plessis
Comme une bête fauve
Il se cache la nuit
En attendant le jour
Se blottit dans un four
Surpris dans cette posture
Jules Grand s'émut pas trop
Le jardinier, peu sur
S'enfuit presqu'aussitôt
Le bandit tire un coup
De fusil sur Jarnoux
Près de la Jonnelière
Il est traqué partout
Les forces policières
Se démènent comme tout
Il se produit un cas
Qui sortit d'embarras
Jules Grand plus ne se cache
Il rentre en plein jour
Là-bas à la Garnache
On le pince à son tour
Cerné mais comme il faut
Chez la dame Raveleau
Avertis, les gendarmes
Se méfient du bandit
C'est munis de leurs armes
Qu'ils tombent dessus lui
Le bandit ne doit plus nuire
Il faut bien en finir
On le prend, on l'enferme
Au fond de la prison
Jules Grand fit l'hypocrite
Par devant l'instruction
Mais Grand au petit jour
Voulut jouer un tour
Le bandit se révolte
Il veut tuer ses gardiens
Pour ce faire il récolte
Ce qu'il mérite bien
On l'encercle de fers
En attendant Deibler
Pour tous ces crimes infâmes
Qu'il commit de tous côtés
Partout on le réclame
Pour le décapiter
Pour Grand, pas de pardon
Ta tête roulera dans le son.
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