dimanche 29 mars 2020

333 - Par un beau soir Germaine


L'atmosphère actuelle semble propice aux grandes complaintes, aussi avons nous choisi de continuer dans cette voie. D'autant que toutes ces chansons ne sont pas des tragédies. La preuve avec celle ci et son dénouement heureux que nous avons déjà évoqué récemment à propos d'une autre chanson (1). L'histoire de Germaine est parfois intitulée “le retour du croisé” ce qui nous permet de dater son origine. Comme les deux précédentes complaintes, cette histoire d'anneau brisé est connue dans de nombreux pays. Un détail particulier rattache notre version au pays Nantais.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


Ah ! Les croisades; une période si lointaine que son histoire nous semble un peu oubliée. Dans chacun de nos petits pays des seigneurs ambitieux se faisaient perpétuellement la guerre dès le retour des beaux jours. Entre deux trêves c'est à qui taperait le plus fort sur son voisin pour étendre son domaine et son pouvoir. Avec tout ce qu'on peu imaginer de dommages collatéraux sur les paisibles populations dont ces potentats locaux se souciaient fort peu. L'Eglise, fatiguée de prêcher la paix, et d'être parmi les victimes de ces dommages collatéraux, eut une idée géniale pour canaliser la violence des jeunes noblaillons et les emmener déverser ailleurs leur trop plein d'énergie. Autour de la Méditerranée, une religion concurrente était en rapide expansion. Le motif d'occupation des lieux saints donnant prétexte à des voyages organisés vers la Palestine, tout manieur d'épée en âge de se battre fut aussitôt orienté vers une carrière militaire et rédemptrice. Les propriétaires de châteaux abandonnèrent leurs demeures aux mains de leurs épouses et d'intendants expérimentés. C'est, dit-on, par méfiance envers cette “expérience” que le commerce de la ceinture de chasteté connut un certain succès. Un accessoire presqu'aussi recherché que le gel hydroalcoolique en période de Coronavirus!
Or, donc, Germaine est seule depuis près de sept ans. Nous avons vu avec “le départ pour la guerre” que le temps et l'éloignement ne favorisent pas la reconnaissance d'un être, fut-il aimé. Ne pas vouloir se faire reconnaître au premier abord présente quelques risques. Plusieurs chansons sur ce thème ont une issue tragique (2). Pourquoi ne pas se précipiter dans les bras de sa chérie en rentrant au pays ? C'est que le croisé veut éprouver la fidélité de son épouse. Sans doute n'avait-il pas investi dans l'accessoire sus mentionné ! Plus sérieusement, la chanson, d'un couplet à l'autre, fait monter la tension et le suspense jusqu'à l'épisode final de l'anneau. Ce n'est donc pas une surprise puisque nous avons déjà vu ce stratagème utilisé. On franchit cependant un pas de plus dans le romantisme avec le rappel de la façon dont ça s'est passé. Il ne s'agit plus cette fois d'un bris volontaire mais de la conséquence d'une étreinte que l'on devine fougueuse.
Que penser, en revanche, de l'attitude de la belle mère qui semble prête à jouer les entremetteuses, pour ne pas dire plus. Si ce n'est que la chanson traditionnelle nous a habitué à ce genre de rôle joué vis à vis d'une bru esseulée. Si parfois celle ci est réduite au rôle de la porcheronne, ici elle n'est pas du genre à se laisser marcher sur les poulaines. Elle menace de la faire dévorer par des chiens. Le terme de chien-lion évoque sans doute quelque molosse. Ce qui reste plus étrange c'est le lieu où est censée se produire cette correction. Certes nous avons à faire à une version locale, la seule à notre connaissance qui mentionne la ville de Nantes. Les ponts et leur quartier du franchissement de la Loire ont connu bien d'autres aventures chantées. Ils ont connu aussi des exécutions, telle celle de Gilles de Retz. Peut-être faut-il voir là l'origine de cette précision.
La version collectée par Albert Poulain, à Pipriac propose une autre localisation:
Je vous mènerai à Lyon
A Lyon sur le pont
Je vous ferai manger
Par le plus gros poisson
Lyon et Nantes, comme Avignon, sont des villes de ponts. Dans une version canadienne, notée par Marius Barbeau, c'est à Paris qu'elle sera traînée par des chiens. Le plus souvent Germaine se contente de s'offusquer de la proposition en jurant vouloir garder son honneur et sa fidélité à son mari.
Passé cet épisode, la fin de la chanson peut se dérouler, avec ses signes de reconnaissance, vers une fin heureuse après sept ans de patience (on n'ose pas dire: de confinement !).

Notes
1 – chanson n° 328 “le départ pour la guerre” (février 2020)
2 – voir, par exemple, la chanson n° 167 “Au lever de l'aurore” (septembre 2016)

interpète: Annick Mousset
source : chantée par Constance Crusson (La Baule) à Roland Brou, le 10 avril 1991
catalogue P. Coirault: Germaine (5303 – aventures de mariage)
catalogue C. Laforte : Le retour du mari soldat, l'anneau cassé, (II, I-03)

Par un soir Germaine va au jardin d’amour
Par un soir Germaine va au jardin d’amour
Dans son chemin rencontre trois cavaliers jolis
Lui ont d’mandé fillette que faites vous ici ?

Je ne suis pas fillette messieurs j’ai mon mari
Voilà ce soir sept ans il était au pays.

Oh dame bonsoir, madame, pourriez-vous nous loger ?
Oh non mes bons messieurs par la fidelité
Que je lui ai promis je lui la tienderai

Allez là, beaux messieurs, dans ce château joli
Là vous y trouverez la mère de mon mari

Oh dame bonsoir l’hôtesse pourriez vous nous loger ?
Oh oui, mes bons messieurs, à boire et à manger
S’il vous en faut des blondes, je vous en trouverai.

Le plus jeune des trois veut ni boire ni manger
Il veut avoir Germaine, Germaine à ses côtés

Mangez mes bons messieurs, j’vais aller la chercher
Mais je ne suis pas sûre que je la ramènerai

Oh dame bonsoir Germaine, y’a trois messieurs chez nous
Le plus jeune des trois veut ni boire ni manger,
Il veut avoir Germaine, Germaine à ses côtés

Sinon qu’vous êtes la mère, la mère de mon mari
Je vous mènerai à Nantes, à Nantes de sur ces ponts
Je vous ferai dévorer par ces grands chiens lions

Buvez mes bons messieurs, elle ne veut pas venir
C’est la plus méchante femme qu’il y a dans le pays

Le plus jeune des trois dit à ses camarades
Dit à ses camarades j’vais aller la chercher
Je le jure sur ma foi que je l’amènerai.

Ouvre la porte, Germaine, la porte à ton mari,
Voilà ce soir sept ans, il était au pays.

Là si vous êtes mon homme, mon homme et mon mari
Donne moi des indices du jour qu’tu es parti
Par là je pourrai croire que tu es mon mari

Te rappelles–tu Germaine du jour que j’suis parti ?
Là tu es étais monté sur ton cheval gris
Avec un de tes frères et moi ton favori

Là si tu es mon homme, mon homme et mon mari,
Donne-moi des indices de la première nuit,
Par là je pourrai croire que tu es mon mari

Te rappelles-tu Germaine de la première nuit ?
En t’étreignant le doigt ton anneau d’or cassit
Tu en as la moitié et l’autre que voici

Appela sa servante Jeanneton promptement
Va ouvrir la porte, la porte à mon mari
Voilà ce soir sept ans il était au pays.


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