vendredi 7 juillet 2017

208 – Le maître d'équipage

Un homme à la mer ! C'est un drame. La chanson qui nous le narre n'a pourtant rien d'une complainte. Elle fait partie des rondes qui servaient aux distractions des marins à bord au temps de la navigation à voiles. Elle a été retrouvée par Fernand Guériff dans la région de Saint Nazaire. Son origine ne nous est pas connue mais elle était déjà entendue 150 ans plus tôt dans la royale.
La chanson ne précise pas sur quel type de bateau elle se passe : navire marchand, navire de guerre ? Le maître d'équipage y tient le rôle de contremaître chargé des manœuvres. Il est entre les officiers et les matelots, à une place délicate dans la hiérarchie ; d'autant qu'ici son propre fils fait partie de l'équipage.
Pour écouter la chanson et lire la suite


Cette aventure ne fait pas partie du répertoire habituel des chansons de marins. A notre connaissance elle ne figure sur aucun des disques de chants de marins qui ont proliféré ces dernières années. En dehors de Fernand Guériff, nous n'avons pas trouvé d'autre édition. Nos recherches ont pourtant abouti à une première publication dans un numéro de la revue « L'Illustration » paru en 1844 (1). Elle y sert, justement, à illustrer un article sur les contes et chansons des matelots. L'auteur en est Léon Morel-Fatio (2), peintre officiel de la marine, qui a pu observer les distractions des marins au gaillard d'avant pendant les traversées effectuées sur des bâtiments de la Royale. Il y est question des danses des matelots à bord, sur des chansons telles que celle ci, ainsi que des versions de la fille au cresson, des trois marins du port de Nantes, ou encore de Mon père a fait bâtir maison. Voici ces loisirs à bord tels qu'il les décrit :
« Les rondes, les vraies rondes de l'avant, voilà le chant populaire. On ne les roucoule pas d'une voix de rogomme, on les hurle à plein poumons, on les répète en dansant à la bretonne. Qu'un boute en train se lève et qu'il emmène avec lui cinq ou six camarades, dès que la chanson sera commencée vous verrez le cercle s'agrandir et quelquefois un second cercle se formera autour du premier. Tantôt ils tourneront en rond, plus souvent ils ne feront que trois ou quatre pas de droite à gauche et puis de gauche à droite, sautant en cadence au moment du refrain ».
Nous nous inspirons aussi de ses commentaires pour la chanson elle même.
« Le coup de sifflet précède ou traduit tout commandement à bord d'un navire de l’État ... mais d'abord il faut un couplet qui peigne vigoureusement l'état du ciel. Le diable est en bordée (c'est à dire en vacances). La mer est mauvaise, le gros temps augmente, le maître d'équipage embouche donc son sifflet et dit : « en haut ». Prendre le bas ris, c'est réduire les huniers à leur plus petite surface, opération toujours dangereuse qui oblige les hommes à s'exposer à la fureur du vent sur une vergue mobile qu'ébranlent le tangage et le roulis ; ils n'ont pour point d'appui qu'une simple corde où reposent leurs pieds et la vergue où porte la poitrine ; les deux mains sont employées à la manœuvre ».
Voici donc la mise en situation ; le fils matelot est à l'empointure, c'est à dire l' extrémité de la vergue, soit le poste le plus dangereux par gros temps. Il tombe à la mer et nage. Mais le mauvais temps rend impossible d'envoyer un canot à son secours. C'est quand même cette tempête qui le sauvera en causant la chute du mat. Pour regagner le bord il se raccroche aux haubans et aux pataras, gros cordages destinés à étayer le mat et qui flottent désormais avec lui. Voilà une fin heureuse qui mérite bien un pèlerinage et peut être un ex-voto à Sainte Anne, patronne des marins et des bretons. Cela nous suggère une origine bretonne pour cette chanson. Vous aurez aussi remarqué que, bien qu'il parle dans son article de navires attachés au port de Toulon, Morel-Fatio emploie le terme de danses « à la bretonne » pour ces distractions à bord. Sa description de la danse n'est pas assez précise pour qu'on en reconnaisse une en particulier. On sait aussi que la ronde à trois pas était couramment pratiquée par les marins et sur toutes les côtes. Mais comme cette chanson n'a été publiée que localement, nous nous sentons le droit d'être un peu chauvins !

notes
1 - L'illustration n° 79 vol. 3 – samedi 31 août 1844 (source : Google books)
2 - Antoine Léon Morel-Fatio, (Rouen 1810 - Paris 1871) est un peintre officiel de la Marine et homme politique français. Peintre, dessinateur, illustrateur, graveur, aquarelliste, il a été conservateur du Musée de marine et d’ethnographie du Louvre qu'il a créé, conservateur-adjoint des Musées impériaux, et premier maire du 20e arrondissement de Paris de 1860 à 1869. (source Wikipédia)

interprète : Nicolas Pinel
source : Fernand Guériff, Le trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande - volume III, page 325 - édition Dastum 44 et Parc naturel régional de Brière

Le maître d'équipage, bon mirlifa (bis)
Prend en main son sifflet

refrain
Bon mirlifa, la boutique est par terre
Prend en main son sifflet
Bon mirlifa, la boutique est en bas

Le diable est en bordée, bon mirlifa (bis)
Qui fait son mardi-gras !

En haut, en haut, le monde, bon mirlifa (bis)
Le bas-ris tu prendras

Le fils à Maître Jacques / Au grand hunier monta

J' vas t'à l'empointure / En revenant en bas

Le maître d'équipage / Fit l'appel et compta

Un et deux, trois et quatre / Son fils n'y était pas !

Qui me rendra mon fils / Mon fils, qui me rendra ?

Fait un vœu à Sainte Anne / Le grand mât vint en bas

Le fils tirait la brasse / Les haubans, il crocha

V'là qu'à bord il remonte / Le long des pataras

Quand nous serons en France / Écoute bien mon gars

Nous irons à Sainte Anne / À pied, comme des soldats

Pour y brûler un cierge / Plus gros que le grand mât.


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