vendredi 13 février 2015

92 - J'étions trois matelots du roi

Comme tous les îliens, les groisillons (1) ont fourni leur contingent de marins à la royale. Mais il n'est pas question de navigation au long cours ni d'exploits de corsaires dans cette chanson. Le périple « de Belle Ile à Groix » nous rapproche plus du cabotage évoqué récemment. Les mariniers ne s'y sont pas trompé, qui ont adopté cette chanson dans leur folklore. Le matelot périt parfois en eau douce. Comme pour le petit navire (2) nous sommes en présence d'une chanson qui parle des difficultés de la navigation et des dures conditions du métier de marin. Elle les traite de la même façon, avec une certaine dérision. Mais cette fois la fin est tragique ; ce qui n'a pas empêché cette histoire de finir dans le répertoire des chansons pour enfants !
Pour écouter la chanson et lire la suite:

Faute de source sure, nous ne nous intéresserons pas à l'origine de cette chanson mais à sa particularité due au changement d'assonance à partir du troisième vers, puis pour les deux rimes finales. Cette différence n'est qu'apparente si nous la jugeons avec notre prononciation actuelle. Il faut cependant savoir que ces terminaisons en « ois » correspondaient autrefois à une prononciation différente qu'on retrouve encore dans certains parlers gallo. Autrement dit « ois » = « oué ». Ce qui nous donne phonétiquement le « Roué », « Françoué » et « Groué ». L'assonance en « é » est donc conservée depuis le début du texte. Mais cela n'explique pas le passage à l'assonance en o pour les deux phrases finales. Si le mot chapeau a pu être prononcé antérieurement « chapé », il nous reste les sabots.
Dans cette version qui provient du fonds Soreau (3), Julienne Le Huédé, marchande de crevettes au Croisic a effectivement chanté le dernier vers en terminant sur le mot sabot. Si on se réfère aux autres versions notées en Loire-Atlantique, il n'est plus question de sabots mais de couteau. Les textes notés par Guéraud (4) finissent sur cet ustensile. Il en est de même dans une autre version donnée par Guériff (5) provenant des collectes de Claude Pavec vers 1884 à Savenay.
Nous attendrons que des spécialistes du gallo nous éclairent sur ces subtilités de prononciation pour nous prononcer définitivement.
La chanson des marins de Groix, comme beaucoup d'autres, a connu une seconde jeunesse au 19ème siècle en passant du répertoire traditionnel au répertoire enfantin. Délaissées par les adultes, certaines chansons traditionnelles n'ont survécu que dans le répertoire à danser ou dans les chansons pour la jeunesse. Imprimées et même diffusées via le chant à l'école, elles sont devenues des références basées sur une version figée, parfois éloignée des multiples versions populaires ou originelles. C'est le cas pour le petit navire dont les péripéties nous occupaient il y a quinze jours, comme pour nos marins de Groix aujourd'hui. Ce sujet mériterait une étude approfondie ; avis aux amateurs.

Notes
1 – habitants de l'ile de Groix – la chanson est plus connue sous le titre « les trois matelots de Groix »
2 – reportez vous quinze jours en arrière – chanson n° 90 de ce blog
3 - Abel Soreau, que nous n'avons plus besoin de vous présenter et dont les cinq premiers cahiers sont désormais consultables sur le site de la Bnf : Gallica
4 – Armand Guéraud, donne deux versions dont une avec la forme « marins de Groaix » qui confirme tout a fait nos explications.
5 – dans le tome 1 de ses collectes, page 94 – ouvrage non disponible contrairement aux tomes 2, 3 et 4 toujours diffusés par Dastum 44

J'étions trois matelots du roi

J'étions trois matelots du roi
Embarqués sur le Saint François
Monti monta tralalire
Monti monta tra la la
Pour aller de Belle Ile à Groix
Du nord, le vent vint à souffler
Beau matelot, il faut monter
En haut serrer les perroquets
Et prendre trois ris aux huniers
Beau matelot monte le premier
Sur l'empointure de s'étaler
Mais l'marche pied il a cassé
A l'eau beau matelot est tombé
On n'a sauvé que son chapeau,
Son garde pipe et ses sabots

source : Fernand Guériff tome 3 – chansons de Brière, de Saint Nazaire et de la presqu'ile guérandaise - p. 338
interprètes : Daniel Lehuédé, Dominique Juteau et Jean-Louis Auneau
catalogue Coirault 7104 le matelot de Groix

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