vendredi 9 janvier 2015

87 - A bord de la Bretagne

Voici une version locale d'une chanson très connue dans la marine, recopiée par F. Guériff du cahier de chansons d'un marin nazairien. Adieu, cher camarade se classe dans la catégorie des chansons de gaillard d'avant. C'est à dire de celles qui se chantaient dans la partie du bateau réservée à l'équipage. Les officiers ne pouvaient guère apprécier un texte qui dénonce les injustices et encourage la contestation. Ceux de la marine nationale l'avaient fait interdire. Elle a pourtant été collectée à de nombreuses reprises sur les côtes de France et ailleurs puisque ce texte a aussi été adapté par des soldats de l'armée de terre (1).
Adieu cher camarade n'a rien d'une chanson originale. Elle a été chantée et rechantée par à peu près tous les groupes de chants de marins qui sévissent l'été dans les fêtes de la mer. Vous les reconnaîtrez facilement : ils portent le même tricot rayé qu'Arnaud Montebourg.
La première édition de cette chanson figure dans le volume 3 de l'anthologie des chansons de mer du Chasse Marée, sous le titre « la triste vie du matelot ». C'est Arnaud Maisonneuve qui le menait. Les notes de ce disque parlent du navire la ...
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...Bretagne comme d'un cuirassé coulé par la flotte anglaise en 1940. Ceci paraît improbable, la chanson étant bien antérieure à ce navire.
Guériff donne deux versions de cette chanson dont une seule titrée « A bord de la Bretagne » . En fait, plusieurs bâtiments ont porté ce nom :
- un navire de guerre à 100 canons, du 18ème siècle,
- un paquebot, construit par les chantiers de Penhoët, qui fit la guerre de 14-18 comme navire hôpital.
- Le cuirassé qui fut coulé à Mers el Kébir en 1940
- un ferry, toujours en service pour la Brittany-Ferries
- et - c'est celui qui nous intéresse - un vaisseau rapide à 130 canons conçu sous Napoléon 3 (2).
Ce bâtiment n'a pas eu de chance. Équipé pour la voile, il a été transformé avant d'être fini pour recevoir la propulsion à vapeur. Après seulement dix années de service La Bretagne a été rayé des listes de la flotte pour servir d'école aux novices et apprentis marins en rade de Brest. Il est définitivement retiré fin 1879, puis remorqué à Landévennec pour y être démoli.
Voilà qui nous renseigne sur la période où a été arrangée notre version. Le matelot qui l'a copiée était en service sur le dragueur de mines Fouine. La seule information que nous avons pu retrouver sur un navire de ce nom fait état d'un patrouilleur en service de 1916 à 1919.
Quelques expressions de cette chanson méritent aussi des explications :
Les castors dont il est question n'ont rien à voir avec les sympathiques rongeurs bâtisseurs. Le terme argotique, désigne ici les jeunes matelots, les mousses. Ceux qui faisaient donc leur apprentissage sur « la Bretagne ». Il désigne encore dans l'argot de la marine un officier qui évite l 'embarquement. Enfin il est aussi synonyme de « pédéraste passif » (3). Vraiment dure la vie du matelot !
Le corsey, c'est la fameuse « garcette ». Un petit cordage court, servant à amarrer un équipement du bateau (seau, casier, voile, etc.) mais tristement célèbre comme instrument de punition. Ceci bien que cet usage soit officiellement interdit par le règlement depuis 1849 !
Enfin, si l'habit ne fait pas le moine, le nom ne fait pas non plus le marin. Le matelot dont Guériff a recopié le cahier s'appelait Jean Coulait ; pas vraiment prédestiné pour un marin.

notes
1 – Catherine Périer en a recueilli une version adaptée au « triste sort des chasseurs alpins ». On est donc loin du gaillard d'avant !
2 – source : wikipedia
3 – sources : langue française.net et forum wordreference.com

source : chanson adaptée d'après le cahier de chansons de Jean Coulait, à bord du dragueur de mines Fouine – publié par F. Gueriff - tome 3 du Trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande – pages 350 & 351 – éd. Dastum 44 et Parc naturel régional de Brière
interprètes : Jean-Louis Auneau, Dominique Juteau, Daniel Lehuédé
non répertorié dans les catalogues

Adieu chers camarades / A bord de la Bretagne

Adieu, chers camarades,
Adieu, faut nous quitter
A bord de la Bretagne
A Brest il faut aller
En arrivant à bord
Nous voilà consignés
A l'officier de quart
Il faut se présenter

De là, on nous amène
Sur le gaillard d'avant
Les pieds, les mains liées
Autour du cabestan
C'était un second maître
Qui nous a amenés
Le corsey à la main
Il nous casse les reins

Oh mère, oh tendre mère
qu'as tu fait de ton fils
Marins c'est trop d'misère
Castors, c'est trop souffrir
J'ai servi ma patrie
J'ai un frère au berceau
Oh ! mère je t'en supplie
N'en fais pas un fayot

Dimanche et jours de fête
Faut nous voir travailler
Comme des bêtes de somme
Qui sont dans nos forêts
Un jeune quartier maître
Nous dit : dépêchez vous
Les forçats de Cayenne
sont plus heureux que nous

Et si je me marie
Et que j'ai des enfants
Je leur casserai les membres
Avant qu'ils ne soient grands
Je ferai mon possible
pour leur donner du pain
Le restant de ma vie
Pour qu'ils ne soient pas marins

Et vous jeunes filletes
Qui avez des amants
A bord de la Bretagne
Dans ce bateau flottant
Ne soyez pas cruelles
conservez votre amour
A ces castors fidèles

Qui triment nuit et jour

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