vendredi 30 mai 2014

57 - Les trois mineurs du chemin de fer

La chanson de cette semaine met un terme à notre saga des mariés du mois de mai. Ça devait bien finir par arriver ! Depuis le temps que nos héroïnes de chansons se vantent de trouver le bonheur avec leurs trois prétendants. La « fille qui a trois serviteurs » ne voit pas pourquoi elle devrait s'attacher à un seul, au grand dam de ses parents. Ce qui est plus surprenant c'est qu'elle les choisit parmi le même corps de métier. Fantasmes corporatifs ?(1) Cette série de chansons qui d'un bout à l'autre du territoire racontent la même histoire avec presque les mêmes paroles ne vaut-elle que par ses subtiles nuances ?
Avant de chercher son origine, reconnaissez que parmi toutes les chansons qui nous vantent les mérites du mariage, les impatiences des amoureux, les difficultés du choix de l'élu et les conseils des parents, celle ci adopte un point de vue hors norme. La fille de la maison qui abandonne le confort ou le conformisme pour l'aventure se situe délibérément en marge.Certaine chanson plus récente nous parlait de « la bohème » ce qui pourrait se rapprocher d'une célèbre balade anglaise où la fille du château prend la route avec « seven yellow gypsies » ; encore des bohémiens !
lire la suite et écouter la chanson


Difficile de savoir d'où est originaire ce texte. Fernand Guériff l'utilise dans le volume 1 de ses collectes, comme exemple des affinités folkloriques entre le pays de Guérande et les autres régions de France. La liste des endroits où elle a été notée pourrait étayer l'idée d'une circulation des chansons par la vallée de la Loire. En effet, elle fait le plus souvent référence aux villes de Nantes ou d'Orléans, selon les versions. Mais si les exemples du centre France situent l'action dans l'Orléanais, ce sont les versions collectées dans les Alpes ou la vallée du Rhône qui font référence à une fille de Nantes. Quand à la version notée près d'Orléans, elle parle de rameurs du port de Saint Nazaire. Voilà une réciprocité qui donne du crédit à cette propagation des chansons le long des cours d'eau. Le sel de Guérande a longtemps remonté la Loire sur des embarcations qui faisaient le voyage retour avec d'autres marchandises. Sans parler des « petits mercelots », des colporteurs ou des ramoneurs savoyards qui visitaient du pays à longueur d'année. Mais ce brassage culturel ne nous éclaire pas pour autant sur les origines de notre hymne à l'union libre.
L'étude des professions citées ne nous en apprend guère plus. Marc Robine, dans son anthologie de la chanson traditionnelle (2) ne craint pas d'affirmer que « bien que faisant allusion à Orléans la version donnée ici vient du Berry. Elle date de l'époque ou fut construite la première ligne de chemin de fer traversant le centre de la France (1847). Les mineurs en question étaient des terrassiers qui creusaient collines et talus pour permettre le passage des voies ». Mais pour la même chanson, Laurian Touraine (3) le contredit: « cette chanson nous semble, surtout par son air, antérieure de beaucoup à la création des chemins de fer ...il est plus que probable qu'elle a pris naissance chez les extracteurs de minerais qui alimentaient les forges très nombreuses jadis dans le centre de la France » . Les lieux où cette chanson a été recueillie renforcent son opinion que le texte originel devait être « mineurs des mines de fer ».
Peut on parler de version d'origine adaptée ensuite en fonction des circonstances ? Les rameurs de Saint Nazaire ont pu remonter la Loire jusqu'à Orléans. Les ouvriers bretons ou vendéens ont pu mettre en valeur les « soudeux d'haricots verts » préposés à la délicate opération de sertissage des boites de conserves, en supposant que ce terme de soudeux soit bien une déformation de « soudeurs ». Mais alors qui étaient ces dragons proches de l'hermitage cités dans les versions les plus à l'est ? Après le texte collecté par Guériff nous avons cité quelques uns des premiers couplets d'autres versions ; la liste est loin d'être exhaustive.
Ce qui est intéressant avec les chansons traditionnelles c'est que plus on se pose de questions moins ont obtient de réponses. Peut être serez vous en mesure de nous éclairer ? N'hésitez pas à le faire.

notes
1 - ou fantasmes corporatistes ? Que les grammairiens distingués nous fassent l'honneur de corriger si besoin.
2 – Marc Robine : Anthologie de la chanson française – des trouvères aux grans auteurs du 19 ème siècle – Le commentaire reprend les notes de la pochette d'un disque du groupe La Bamboche qui a enregistré cette version en 1975
3 – chansons populaires dans le Bas Berry – Barbillat et Touraine – vol 2. p. 35


La belle se promène (les trois mineurs du chemin de fer)

La belle se promène dans son petit jardin
Bien gentiment, bien doucement, tout le long de la rivière
Avec ses trois petits mineurs, mineurs du chemin d’fer

Son père et sa mère, qui l’ont cherchée partout
Ils l’ont cherchée, ils l’ont trouvée, tout le long de la rivière
Avec ses trois petits mineurs, mineurs du chemin d’fer

Veux-tu venir, ma fille, nous suivre à la maison
Oh non, papa, oh non, maman, je suis fille abandonnée
Avec mes trois petits mineurs, je suis la bien-aimée

Si vous saviez, mon père, comme je suis bien avec eux
L’un coupe mon pain, l’autre tire mon vin et l’autre me verse à boire
Tous les trois lèveront la main : mignonne, voulez-vous boire

Encore mieux le dimanche quand j’suis à la maison
L’un fait mon lit, l’autre babille et l’autre chauffe ma chemise
Tous les trois frisent mes cheveux à la mode de la ville

Quand vous serez, mon père, de r’tour à la maison
Vous f’rez bien tous mes compliments à mes amis, à mes parents, aux jeunes gens du village
A ceux qui n’ont pas eu l’honneur d’avoir mon cœur en gage.

Informateur non identifié  à Prézégat (Saint-Nazaire), date inconnue – collecté par G. Le Floc’h – inclus dans le « Trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande » par Fernand Guériff, volume 1 page 14
Interprétation : Bruno Nourry
catalogue Coirault : la fille chez les trois dragons - 1215
Catalogue Laforte : la fille et les trois soldats - 2 M 14


autres versions, avec leurs sources:

Maurice Chevais (Orléanais)
Viens donc la belle fille, viens donc t'y promener
bien gentiment bien doucement sur le bord de la rivière
Avec ces deux, ces trois jolis rameurs, ces trois rameurs de Saint Nazaire

Eugène Rolland (Lorient)
venez vous en mignonne, venez vous promener
Vous promener tout doucement, au long de la rivière
avec ces quatre joli soudeux, soudeux d'haricots verts

Eugène Rolland (Lozère)
Veux tu venir la blonde, veux tu venir t'y promener
le long du vert feuillage
Mais avec un joli dragon sortant de l'hermitage

Vincent D'Indy (Vivarais) – id. Julien Tiersot (Savoie) – id. Achille Millien (Nivernais)
Une fille de Nantes s'en allant promener
Se promenant tout doucement dessous le vert feuillage
Avecque trois jolis dragons proches de l'hermitage

Albert Poulain (Ille et Vilaine)
Veux tu venir mignonne, mignonne t'y promener
t'y promener bien doucement bien gentiment tout du long de la rivière
avec ces trois joli garçons, mineurs du chenin de fer

Jérôme Bujeaud (Angoumois)
Veux tu venir la belle, n'irons nous promener
Nous promener tout doucement le long de la rivière
Avecque trois gentils garçons tu seras la bien aimée

André Drumel (Morbihan)
Me merh Marie-Louise, un dé ‘m es hé hollet (Ma fille Marie-Louise, un jour je l'ai perdue)
Je l’ai cherchée, je l’ai trouvée, le long de la rivière
Get deu pé tri chiminod yaouank, éh obér en amour (Avec deux ou trois jeunes cheminots en train de lui faire l'amour)



2 commentaires:

  1. et encore une très jolie chanson, merci
    Marie Annick

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  2. Balzac, dans la cousine Bette, publiée en 1836, fait explicitement référence à cette chanson.

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