vendredi 21 février 2014

43 - La jardinière de Nantes

Puisque nous avons cette belle jardinière en magasin vous allez pouvoir en profiter. La chanson n'est pas particulière au pays nantais, même si l'action y est située. Cette version est originaire du Morbihan(1). Elle figure dans les archives de Dastum grâce à Bernard de Parades, un collecteur qui a beaucoup travaillé sur le pays nantais et Nantes en particulier. Il a recensé toutes les versions de chansons qui se rapportent à Nantes, prouvant que cette ville était la plus citée dans les chansons traditionnelles.
Après B. de Parades, c'est Georges Doncieux (2) que nous laisserons commenter cette marchande d'oranges: « vu l'abondance des versions normandes, bretonnes, poitevines...cette marchande semble originaire de la France du nord-ouest ; elle ne saurait, par l'évidente modernité de la langue remonter plus haut que le 18ème siècle.Cette spirituelle petite ronde est faite sur la même donnée que la Fille aux oranges, mais pour aboutir à une conclusion tout à fait contraire : là une pauvre innocente se fait enlever par un polisson d'avocat ses oranges et le reste ; ici c'est un prince étourdi qui laisse envoler l'imprudente mais subtile oiselle (sic). D'où il s'ensuit parfois que les fils de roi n'ont pas tant d'esprit que les fils d'avocat ».
Si le texte publié par Doncieux situe l'action à Paris, les autres... 
pour écouter la chanson et lire la suite

... les autres sont moins précis, excepté les versions bretonnes qui la placent à Nantes. Guéraud en cite une version du pays nantais qui commence par « M'en revenant de Lille en Flandres » ! Voilà qui nous renvoie à une semaine précédente.
Plusieurs chansons sont associées au refrain « l'herbe est courte, on la coupe, on la fène » bien connue dans le Morbihan mais aussi dans le Poitou et en Berry. Comme souvent les chiffres varient avec les chanteurs. Ici le prix évolue entre cinq sous les trente et quarante francs la douzaine. Le plus souvent ce sont des pommes que la belle cherche à vendre (derrière chez nous il y a une ente...). La consommation régulière d'oranges dans nos pays est relativement récente. Avant le début du 20ème siècle la lenteur des transports ne permettait pas d'en faire une consommation de masse et c'était donc un produit de luxe, offert en cadeau aux enfants à Noël, par exemple.
Dans le domaine de la chanson, cette marchande d'oranges fiévreuse a été supplantée par la fille aux oranges, dont l'histoire commence invariablement par « derrière de chez mon père un oranger il y a". Les versions en sont si nombreuses qu'on pourrait lui consacrer un blog entier.
Pour en finir avec notre jardinière de Nantes, elle se satisfait d'avoir pu vendre ses fruits au maréchal de France. Mais, comme le souligne Doncieux, sa ruse lui permet d'échapper au fils du roi en chantant « l'oiseau parti ne se laisse plus prendre » ou plus crûment « tant qu'on tient les filles faut les prendre »(3). Cette fin range la chanson dans le cycle des occasions manquées. On la retrouve fréquemment dans d'autres chansons ce qui laisse entrevoir une contamination entre différents textes. C'est un des grands intérêts de l'interprétation des chansons traditionnelles.

notes :
1 – citée dans le tome 1 du recueil de chansons populaires d'Eugène Rolland en 1883
2- le « romancero populaire de la France » a été publié en 1903 (Georges Doncieux / Julien Tiersot).Tout ça ne nous rajeunit pas !
3 – versions notées entre autres par Bujeaud (Poitou) ou Barbillat (Berry)

C’était une jardinière de Nantes, la tira lira, lira lon la
Qu’avait de belles oranges à vendre
La tira lira lira lon la tira, la tira lira lira lon lire

Qu’avait de belles oranges à vendre, la tira lira, lira lon la
Le fils du roi les lui marchande
La tira lira lira lon la tira…

Combien vendez-vous vos oranges…
J’en ai de vingt, j’en ai de trente
Mais les plus belles sont de quarante
Montez-les, belle, dedans ma chambre
Tout en montant la belle tremble
Qu’avez-vous, belle, qui vous tourmente
Je sens la fièvre qui va me prendre
Ah, descendez, belle, de ma chambre
En descendant, la belle chante
Qu’avez-vous, belle, d’être si contente
Car j’ai vendu toutes mes oranges
Au fils du roi, l’maréchal de France.


source : archives Dastum 44 (fonds Bernard De Parades)
interprète : Bruno Nourry
catalogue Coirault :La marchande d'oranges fiévreuse 01906

catalogue Laforte : La marchande d'oranges 1-H-02

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