Un chat et des souris, voilà une situation connue (1) dans la chanson de tradition orale. Curieusement, dans celle que nous vous proposons aujourd'hui personne ne meurt à la fin. Si les premiers couplets peuvent faire penser au scénario habituel, assez rapidement la situation évolue. Ce qui pouvait passer pour chansonnette enfantine s'avère plutôt destinée à de grands enfants. Cette version, plutôt rare, a été recueillie lors d'un repas de noce. Probablement vers la fin, au moment où le répertoire grivois prend de dessus.
pour écouter la chanson et lire la suite :
Nous allons nous préoccuper de la forme plus que du fond. Pas de commentaires sur les sous entendus (pas si sous entendus que ça!). Nous vous laissons découvrir le sens caché (pas vraiment caché en fait) pour nous concentrer sur d'autres détails.
Commençons par le refrain qui donne bien du mal à répondre quand on l'entend pour la première fois. On est très proche du virelangue. Mais s'il reste assez énigmatique c'est probablement qu'il a subi des transformations. C'est en effet le lot de bien des chansons du folklore. Ce « Jean du petit coq » nous semble une déformation de « gentil petit coq ». Peut-être même avons nous là un avatar du refrain bien connu « gentil coquelicot ». D'autres versions de ce type recueillies dans l'ouest le confirment (2) :
Jean du petit coq, petit coq riqui / coco de bisco, coco perjoli (Soreau)
Gentil coquiqui, coco des moustaches, mirbo joli (Bujeaud)
Gentil coqueliqui, du coco, du bisco, du vergo joli (Guéraud)
Gentil coquelicot du bisco du verbo joli (Simon)
Passons maintenant à l'histoire elle même. Les premiers couplets semblent annoncer une chanson à la portée d'un jeune public. Certains prétendent que les chansons grivoises commencent ainsi pour laisser aux parents le temps d'éloigner les enfants puisque seuls les adultes aprécieront vraiment le reste de la chanson. En fait, notre version du bal des souris s'éloigne du texte ordinaire. La majorité des collectes nous permettent d'entendre le récit d'une fête où les souris dansent pendant que le chat n'est pas là. Quand celui-ci prend l'initiative les souris n'ont plus qu'à rentrer dans leur trou, où a finir en pâtée pour chat.
Nous quittons donc rapidement ce bal traditionnel pour verser dans une métaphore animale sans équivoque (ou très équivoque!). Cette version de la chanson est assez rare. Elle a été recueillie par un personnage qui occupe une place à part dans la transmission des chansons populaires. Bernard Roy (1888-1953) écrivain, auteur de plusieurs romans, peintre officiel du ministère de la marine, créateur et conservateur du musée maritime des Salorges à Nantes...s'est intéréssé à la chanson dans le milieu maritime. Il a publié sous son nom un petit opuscule sur « les chansons de la Basse-Loire ». Mais, tout comme Armand Hayet qui publia sous le pseudonyme de Jean-Marie Le Bihor, des chansons « salées », c'est sous un autre nom que Bernard Roy fit part au public de ses collectes. Dans les années 30 est paru un ouvrage illustré intitulé « cahier de chansons de Jean-Louis Le Postollec et de Jean la Pipe, quartiers maitres à bord de la Scabreuse ». Ce cahier comporte deux parties, l'une plus soft, « chansons pour les dames », l'autre plus osée « chanson pour les hommes ». Notre bal des souris figure, côté hommes, bien sûr, dans l'une des rééditions de cet ouvrage sous le titre « le petit chat ». A cette occasion Le Postollec s'y présente comme « timonier à bord de la Finette ». Toutes les chansons de cet ouvrage semblent avoir été recueillies dans le milieu maritime, des ouvriers des chantiers de l'Atlantique aux officiers de la navale en passant par divers autres corps de métiers. Ce bal des souris vient d'un patron pêcheur, lors d'un mariage en 1930 au port du Collet, commune de Bourgneuf, au fond de la baie du même nom. Sur la base Dastumedia, on peut entendre Bernard Roy chanter cette chanson pour Mmes Maguy Pichonnet-Andral, et Claudie Marcel-Dubois, lors d'une mission des ATP (3) en Basse-Loire, en avril 1940. Enregistrées sur disque à gravure directe, les chansons de cette collecte ont été transférées sur bandes magnétiques en 1968. Conservées à l'abri du public pendant de longues années elles ont été communiquées aux centres du patrimoine oral en régions (dont Dastum) lors du transfert des ATP au Mucem à Marseille. C'est à l'occasion de cet enregistrement que Bernard Roy a communiqué ses sources, qui n'apparaissent pas dans la publication imprimée. Il semble aussi avoir pris un malin plaisir à chanter aux deux enquêtrices des ATP un répertoire osé et même salace par moments.
La chanson est interprétée telle que l'a livrée Bernard Roy, mais rien n'interdit d'en faire un chant à répondre en reprenant à chaque couplet la fin du précédent.
J-L. A.
notes
1 – Voir le mariage des oiseaux, première chanson du blog de Dastum 44, en avril 2013. Ça ne nous rajeunit pas !
2 – Abel Soreau, Vieilles chansons du pays nantais (Dastum 44- 2024) recueillie à Assérac (44) – Jérôme Bujeaud, chants et chansons populaires des provinces de l'ouest (1895) – Armand Guéraud, chants populaires du comté nantais et du bas-Poitou (FAMDT - 1995) recueillie aux Landes-Genusson (85) - François Simon, chansons populaires de l'Anjou (1929) recueillie à Bouchemaine (49)
3 – le musée des Arts et Traditions Populaires, situé au bois de Boulogne à Paris a fermé en 2005. Le transfert au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM) en 2013 a permis de remettre à jour certaines collectes jusqu'alors inaccessibles.
interprète : Jean-Louis Auneau
source : Recueillie par Bernard Roy en 1930 pendant la noce d'un patron de bateau, au port du Collet près de Bourgneuf en Retz. Titre original : « le petit chat ».
catalogue P. Coirault : Le bal des souris (10604 – animaux divers)
catalogue C. Laforte : I, P-31, le bal des souris
Dans un grenier y'a des souris (bis)
Qui font le bal toute la nuit
Refrain
Jean du petit coq, petit coq riqui ]
Coco de biscot,coco per joli ] bis
J'leur ai envoyé mon chat gris
Il leur fit voir la comédie
Ca m'fait penser à ma jolie
Que dans pareil grenier je vis
J'y ai montré ma petite souris
Et son petit chat l'a z engloutie
Quand il eut tout mangé, è m'dit
Il mangerait bien encore un p'tit
C'est un vrai gourmand que j'lui dit
Pour sur qu'il aura l'premier prix
Pour si bien manger les souris
Fut-il a l'école de Paris ?
Y n'a jamais quitté l'pays
Mon petit doigt lui a tout appris

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