C'est dans la poche ! Non pas celle où
vous resserrez vos papiers et cartes bancaires, mais dans la Poche de
Saint Nazaire, territoire où la seconde guerre mondiale a pris fin
avec un an de retard. Suite au débarquement de 44 en Normandie, le
repli de l'occupant dans secteur de 30 kilomètres autour de Saint
Nazaire (1) a eu des conséquences dramatiques pour les 80 000
“empochés” pris en otages. Tout au long de ses couplets, cette
chanson d'auteur anonyme décrit ce qu'on appelait pas encore des
dommages collatéraux. Avec humour, ironie et une pointe de
ressentiment à l'encontre des “libérateurs”.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Jusqu'en 1944 Guenrouët a été une
commune à l'écart des événements les plus dramatiques de la
guerre, comme par exemple les proches bombardements de Nantes ou de
Saint Nazaire. Pour les locaux, les véritables faits de guerre
commencent en août 1944, quand les occupants allemands se recentrent
sur l'estuaire de la Loire afin de protéger la base sous-marine de
Saint Nazaire. Ailleurs la guerre se termine, ici les combats
commencent. De véritables affrontements, entre la libération du
reste de la France et la reddition finale qui n'intervient que le 10
mai 1945; Avec un point culminant pendant l'hiver 45, lors d'une
tentative de contre-attaque allemande.
Plusieurs dizaines de milliers d'obus
sont tombés sur la commune, tirés aussi bien par les troupes
allemandes que par les américains, puisque le bourg se situait juste
sur la ligne de front, et du mauvais côté. Après avoir nettoyé la
forêt du Gâvre et libéré la ville de Blain, les combattants,
résistants, troupes françaises et américaines ont en effet
repoussé “les boches” de l'autre côté du canal de Nantes à
Brest (2).
Les “boches”, un mot bien commode
pour la rime avec la poche. Mais, curieusement, ce n'est pas
seulement d'eux que la chanson se moque. Elle stigmatise l'attitude
des soldats américains se comportant comme de nouveaux occupants se
souciant peu des autochtones.
La destruction du bourg est marquée en
particulier par celle du pont sur le canal et de l'église. Ici,
comme dans d'autres communes du secteur, le clocher considéré comme
un point d'observation en faisait une cible privilégiée des
militaires allemands. Si l'activité américaine est donc dénoncée
de la même manière c'est probablement le peu d'attention portée
aux civils qui a entraîné ce ressentiment, tout comme à la suite
des bombardements de la ville de Nantes.
Les événements sont dramatiques mais
la chanson nous les présente aussi sous leur aspect comique. On nous
montre les profiteurs prêts à tout pour améliorer leur pécule en
commerçant avec l'étranger, quel qu'il soit ! Ils sont désignés
par leurs surnoms par lesquels on reconnait dans certains villages
les habitants, plus surement qu'avec leurs noms de famille.
Incidemment, les derniers couplets
évoquent le principal souci des populations: avoir suffisamment à
manger pour survivre. Feuilles de choux et d'blettes, tout
comme le topinambour et le rutabaga ont acquis dans cette période
une mauvaise réputation. Seuls légumes restant à disposition des
habitants quand les pommes de terre et autres légumes plus
valorisants étaient régulièrement réquisitionnées au profit des
militaires. Aujourd'hui encore ces légumes conservent cette
réputation d'aliments de pénurie et certaines familles les ont
bannis de leurs menus. C'est injuste, car leurs qualités gustatives
méritent mieux. Mais, imaginez un menu unique avec des choux verts
et des cardes. Le souvenir de n'avoir eu que cela à manger ne joue
pas en leur faveur.
Ce texte a probablement utilisé le
timbre d'une chanson à la mode. Mais nous n'avons pas réussi à
déterminer laquelle. Si vous pouvez nous faire profiter de vos
connaissances, n'hésitez pas.
S'il est plus rare de trouver dans les
collectes des chansons composées sur des événements relativement
récents, ce n'est pas la seule chanson à nous parler des malheurs
de cette période de la seconde guerre mondiale. Ecoutez, par
exemple, la chanson de la Poche enregistrée sur notre CD
“Saint Nazaire en chansons” (3). Recueillie dans la commune
voisine de Missillac, elle est tout aussi explicite sur les
difficultés matérielles de “ceux de la poche”.
Notes
1 - mais aussi: Brest, Lorient, La
Rochelle et Royan. Saint Nazaire a été le dernier territoire
libéré, 3 jours après l'armistice
2 - qui reprend ici le cours de la
rivière l'Isac.
3 – Dans la série “tradition
vivante de Bretagne”, paru en 2001 et toujours disponible, pour une
somme très modique. Voir la rubrique nos éditions.
interprète: Jean Ruaud
Source: Joseph Ruaud, du Dresny,
en Plessé (44), enregistré par Jean Ruaud
La poche de Guenrouet
Oubliés dans un coin de France
Au temps de la libération
Nous gardons toujours l’espérance
Sous la tyrannie des teutons
Ali, alo et vive les pochards
Qui moisissent dans la poche
Ali, alo et vive les pochards
Qui gardent toujours l’espoir
C’est nous les guérinois d’ la
poche
Depuis huit mois sous les obus
Peut-être destinés aux boches
Mais que nos maisons ont reçus
Ali , alo …
Car des sauvages venus de l’Amérique
Ont décidé la destruction
De notre bourg pourtant bien pacifique
Que n’atteindraient pas les canons
Ali, alo …
Elles sont parties les corneilles
Bavardes hôtesses du clocher
Mais un épervier nous surveille
Cherchant la proie à déchirer
Ali, alo …
Il fallut donc déménager bien vite
Chacun avec son balluchon
Aller chercher un autre gîte
Que n’atteindraient pas les canons
Ali, alo …
Il ya l’illustre “Peau
d’grenouille”
Qui s’dit la terreur des ricains
Grand spécialiste de patrouilles
Mais aussi voleurs de lapins
Ali, alo …..
Le gros cuistot i’la n’est pas trop
bête
Il leur prépar’ de bons p’tis
plats
Avec des feuil’ de choux et d’blettes
Ah mes aïeux, quel sal’ rata
Ali, alo …
Il y’a le petit “Je Désire”
Qu’on absoudrait sans confession
Il a toujours l’air de sourire
Mais pour le pillage, il est bon
Ali, alo …..
Et vous, soldats de la grande Amérique
Quand viendra la libération
Il vous faudra déménager bien vite
Ou gare au fond de vos pantalons
Ali, alo …………..
sur l'air de "Ode au chameau, ou la chanson du chamelier", paroles de M. de La Chesneraye, musique de Laurent de Rillé, un exemplaire au catalogue BNF dépôt légal 1857
RépondreSupprimerhttps://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb43233548z
deux enregistrements écoutables sur la phonobase (début XXe)
http://www.phonobase.org/simple_search.php?Tout=Ode+au+chameau&carnauba=1&langue=fr&ligne=0
La chanson a été utilisée comme timbre. Passée dans le répertoire enfantin par le scoutisme.
éliane daphy
Un grand merci pour cette contribution.
SupprimerElle nous permet de retrouver une autre interprétation de la chanson du chameau interprétée par Les Quatre Barbus en 1958 (Rondes et chansons de France Vol. 8 – 45 tours Philips EIE 9107) qu'on peut écouter ici:
https://www.youtube.com/watch?v=v64a1NsbK0E
...et qui confirme que l'air a sans doute été appris via les mouvements de jeunesse.
«Ali! Alo! Et vive le chameau» !