Vous connaissez tous cette
histoire : c'est un gallinacé, tantôt le coq Martin, tantôt
la poule à Colin. Le volatile s'est rendu coupable de manger du
grain ou du pain. Son châtiment est définitif ; il passe à la
casserole. Disons plutôt qu'il illustre l'adage d'Henri de Navarre,
quatrième du nom, qui voulait que chacun de ses sujets puisse mettre
la poule au pot le dimanche. Attirés par l'odeur, les voisins, le
maire, les filles du village et plus fréquemment le curé viennent y
tremper leur pain. Le représentant du clergé est alors raillé pour
sa gourmandise qui lui vaut quelques désagréments.
Ici on se contente de savoir
qu'il a mangé sa main. Souvent une morale complète l'histoire, dans
le genre punition de la gourmandise. Il ne pourra plus dire la messe
aux paroissiens !
Voici donc une chanson qui,
en toute innocence, nous en apprend beaucoup sur les habitudes
alimentaires du peuple et ses relations parfois délicates avec des
religieux pas toujours exempts de reproches.
Mais c'est le refrain qui va
nous occuper le plus aujourd'hui.
pour écouter la chanson et lire la suite
De toutes les versions
notées ou enregistrées dans l'ouest en général et en
Loire-Atlantique en particulier, celle ci possède un refrain unique
et bien localisé. Le belin est une forme de chaland utilisé par les
briérons pour leurs déplacements dans le marais. Plusieurs chansons
locales utilisent le symbole du chaland pour illustrer les aventures
amoureuses. Embarquer dans le belin c'est assurément, un moyen de
s'isoler pour garantir à ses ébats amoureux une certaine
discrétion. Une version briéronne de l'expression « en
voiture Simone » ?
Le plus courant des refrains
associés à ce type de chanson est construit sur la formule :
Tu n'entends pas mon lanlire
Tu n'entends pas mon
latin
Elle se retrouve dans toute
l'aire de diffusion, majoritairement l'ouest de la France et le
Canada. Mais nous lui préférons la formule souvent entendue dans le
pays gallo (1) :
Tiens voilà le facteur
les filles,
Tiens voilà le facteur
qui vient
La palme du refrain le plus
« décalé » revient sans conteste à la version du
répertoire de Gisèle Galais (2) :
Quand on n'a pas de parapluie, ça
va bien quand il fait chaud
Mais quand il tombe de la
pluie on est trempé jusqu'aux os
La chanson que vous entendez
provient donc des collectes de Fernand Guériff. Dans une aire
géographique proche voici encore deux versions dignes d'intérêt :
Tout d'abord l'une de celles
notées par Armand Guéraud, à Haute-Goulaine (3) :
J'ai semé de l'avoine...
Tous les oiseaux de la
ville sont venus manger mon grain...
Le curé de Saint gilles
…
trouva la soupe si bonne
qu'il avala sa main
S'en fut prier la vierge,
lui demander une main
La vierge lui répond,
peste du gros vilain
pour un bouillon de soupe
avoir mangé sa main
où encore celle publiée
par Abel Soreau (4)
les bourgeois de la
ville...en mangèrent leur main,
puis des mains jusqu'aux
coudes,
puis des coudes
jusqu'aux reins
chantée le 17 aout 1903 à
Vallet, par Baptiste Vincent, tisserand, elle a été « enregistrée
dans le phonographe ». A tous ceux qui ont traîné un
magnétophone à bandes dans les années 50-60 et à ceux qui ont
écumé les campagnes avec leurs appareils à cassettes, essayez
d'imaginer ce que pouvait être un enregistrement sur gramophone au
début du vingtième siècle !. Abel Soreau était un pionnier
du collectage aussi bien sonore que photographique. Malheureusement
ces archives sonores qui seraient aujourd'hui de vrais trésors n'ont
jamais pu être retrouvées.
notes
1 – par exemple la version
chantée en 1975 à Hervé Dréan par M. et Mme Huguet au bourg de
Saint Dolay. 1975 – 2015 : quarante ans de collectages ;
nous aurons l'occasion d'en reparler.
2 – Vous jeunes gens qui
désirez entendre – répertoire d'une chanteuse de Haute-Bretagne,
page 150 – édité par Dastum en 2014
3 – page 530, dans le tome
2 des chants populaires du comté nantais et du bas Poitou – Modal
/ FAMDT
4 – dans le cinquième
fascicule des « vieilles chansons du pays nantais » –
disponible via Gallica
Source : Fernand
Guériff, Tome III, p. 118 - Chansons de Brière, de Saint-Nazaire,
et de la presqu'île Guérandaise. Répertoire de Moïse-Rogatien
David, Fédrun, au Chef de l'Ile, 1975.
interprètes :
Bruno Nourry et Jean-Louis Auneau
catalogue Coirault :
le Jau Martin - 10514
catalogue Laforte :
la Poule à Colin - I, C-12
Embarquons dans l’
belin
Mon père avait un
coq(que), qui s'appelait Martin
Il montait sur la table,
et mangeait tout le pain.
Refrain :
Allons donc, ma Germaine
(ou mignonne)
Embarquons dans l' belin !
Mon père a pris sa serpe,
lui a coupé les reins.
Il le mit en gibelot' pour
un dimanch' matin.
La sauce était si bonne
qu'on la sentait de loin.
Tous les gens du village y
vinr'nt tremper leur pain.
Jusqu'à Monsieur l' Curé,
qui vint tremper le sien.
Il la trouva si bonne,
qu'il a mangé sa main.
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