vendredi 1 mai 2015

103 - Embarquons dans l’ belin (le coq Martin)

Vous connaissez tous cette histoire : c'est un gallinacé, tantôt le coq Martin, tantôt la poule à Colin. Le volatile s'est rendu coupable de manger du grain ou du pain. Son châtiment est définitif ; il passe à la casserole. Disons plutôt qu'il illustre l'adage d'Henri de Navarre, quatrième du nom, qui voulait que chacun de ses sujets puisse mettre la poule au pot le dimanche. Attirés par l'odeur, les voisins, le maire, les filles du village et plus fréquemment le curé viennent y tremper leur pain. Le représentant du clergé est alors raillé pour sa gourmandise qui lui vaut quelques désagréments.
Ici on se contente de savoir qu'il a mangé sa main. Souvent une morale complète l'histoire, dans le genre punition de la gourmandise. Il ne pourra plus dire la messe aux paroissiens !
Voici donc une chanson qui, en toute innocence, nous en apprend beaucoup sur les habitudes alimentaires du peuple et ses relations parfois délicates avec des religieux pas toujours exempts de reproches.
Mais c'est le refrain qui va nous occuper le plus aujourd'hui.
pour écouter la chanson et lire la suite

De toutes les versions notées ou enregistrées dans l'ouest en général et en Loire-Atlantique en particulier, celle ci possède un refrain unique et bien localisé. Le belin est une forme de chaland utilisé par les briérons pour leurs déplacements dans le marais. Plusieurs chansons locales utilisent le symbole du chaland pour illustrer les aventures amoureuses. Embarquer dans le belin c'est assurément, un moyen de s'isoler pour garantir à ses ébats amoureux une certaine discrétion. Une version briéronne de l'expression « en voiture Simone » ?
Le plus courant des refrains associés à ce type de chanson est construit sur la formule :
Tu n'entends pas mon lanlire
Tu n'entends pas mon latin
Elle se retrouve dans toute l'aire de diffusion, majoritairement l'ouest de la France et le Canada. Mais nous lui préférons la formule souvent entendue dans le pays gallo (1) :
Tiens voilà le facteur les filles,
Tiens voilà le facteur qui vient
La palme du refrain le plus « décalé » revient sans conteste à la version du répertoire de Gisèle Galais (2) :
Quand on n'a pas de parapluie, ça va bien quand il fait chaud
Mais quand il tombe de la pluie on est trempé jusqu'aux os
La chanson que vous entendez provient donc des collectes de Fernand Guériff. Dans une aire géographique proche voici encore deux versions dignes d'intérêt :
Tout d'abord l'une de celles notées par Armand Guéraud, à Haute-Goulaine (3) :
J'ai semé de l'avoine...
Tous les oiseaux de la ville sont venus manger mon grain...
Le curé de Saint gilles …
trouva la soupe si bonne qu'il avala sa main
S'en fut prier la vierge, lui demander une main
La vierge lui répond, peste du gros vilain
pour un bouillon de soupe avoir mangé sa main
où encore celle publiée par Abel Soreau (4)
les bourgeois de la ville...en mangèrent leur main,
puis des mains jusqu'aux coudes,
puis des coudes jusqu'aux reins
chantée le 17 aout 1903 à Vallet, par Baptiste Vincent, tisserand, elle a été « enregistrée dans le phonographe ». A tous ceux qui ont traîné un magnétophone à bandes dans les années 50-60 et à ceux qui ont écumé les campagnes avec leurs appareils à cassettes, essayez d'imaginer ce que pouvait être un enregistrement sur gramophone au début du vingtième siècle !. Abel Soreau était un pionnier du collectage aussi bien sonore que photographique. Malheureusement ces archives sonores qui seraient aujourd'hui de vrais trésors n'ont jamais pu être retrouvées.

notes
1 – par exemple la version chantée en 1975 à Hervé Dréan par M. et Mme Huguet au bourg de Saint Dolay. 1975 – 2015 : quarante ans de collectages ; nous aurons l'occasion d'en reparler.
2 – Vous jeunes gens qui désirez entendre – répertoire d'une chanteuse de Haute-Bretagne, page 150 – édité par Dastum en 2014
3 – page 530, dans le tome 2 des chants populaires du comté nantais et du bas Poitou – Modal / FAMDT
4 – dans le cinquième fascicule des « vieilles chansons du pays nantais » – disponible via Gallica

Source : Fernand Guériff, Tome III, p. 118 - Chansons de Brière, de Saint-Nazaire, et de la presqu'île Guérandaise. Répertoire de Moïse-Rogatien David, Fédrun, au Chef de l'Ile, 1975.
interprètes : Bruno Nourry et Jean-Louis Auneau
catalogue Coirault : le Jau Martin - 10514
catalogue Laforte : la Poule à Colin - I, C-12

Embarquons dans l’ belin

Mon père avait un coq(que), qui s'appelait Martin
Il montait sur la table, et mangeait tout le pain.

Refrain :
Allons donc, ma Germaine (ou mignonne)
Embarquons dans l' belin !

Mon père a pris sa serpe, lui a coupé les reins.

Il le mit en gibelot' pour un dimanch' matin.

La sauce était si bonne qu'on la sentait de loin.

Tous les gens du village y vinr'nt tremper leur pain.

Jusqu'à Monsieur l' Curé, qui vint tremper le sien.

Il la trouva si bonne, qu'il a mangé sa main.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire