dimanche 26 juillet 2020

349 - Complainte de Jules Grand (2)


Voici la suite de notre grand feuilleton de l'été. Vous l'attendiez avec impatience, alors ne vous faisons pas languir.
Résumé de l'épisode précédent: Jules Grand, “scélérat” dès son plus jeune âge, s'est rendu coupable de vols et d'assassinat dans sa région natale. Condamné à mort par contumace, il est toujours en fuite et en cet hiver 1909-1910. C'est dans notre région que nous allons retrouver sa trace. Avant que la justice ne s'empare de lui, il va allonger la liste de ses méfaits et de ses victimes. La complainte est là pour en témoigner.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


Nous avions laissé Jules Grand en cavale du coté de Bordeaux. Après quelques vols dans cette ville, fasciné par la guillotine, il assiste à une exécution à Saintes en novembre 1909. Puis nous le retrouvons dans notre région où ses méfaits vont s’enchaîner. Au Pouliguen il squatte des villas, désertes hors saison. Il vit de vols mais ce sont d'autres forfaits qui lui vaudront d'être connu comme “le satyre du Pouliguen”. Le 27 décembre 1909, il y viole et assassine une jeune fille de 15 ans, Clémentine Fouché.
Dès lors Grand est traqué, mais des papiers volés et abandonnés au Pouliguen orientent sur une fausse piste, celle de Giuseppe Enrici. Dans sa cavale Grand, se livre à plusieurs cambriolages, dans des villas et châteaux. L'un des couplets prend des libertés avec la chronologie. Nous ne sommes pas encore à Orvault. Mais, comme de nombreux chateaux de la région portent le nom de “Plessis” peut-être y-a-t'il eu confusion. L'énumération des lieux-dits permet de suivre l'itinéraire du criminel, qui s'éloigne de la côte: La Turballe, la gare de Pintré à Saint Joachim (depuis longtemps désaffectée), Donges où, cambriolant la chapelle Bonne-Nouvelle le “scélérat” se rase sur l'autel en s'essuyant avec les linges sacerdotaux ! La prochaine étape sera Savenay. Mais gardons cela pour le troisième épisode.
Nous sommes dans le département qui s'appelait encore Loire-Inférieure, c'est à dire cours inférieur de la Loire. Les années 50 lui vaudront d'être rebaptisé Loire-Atlantique, tout comme la Seine ou la Charente “maritimes”. Le secteur où Jules Grand a le plus sévi est celui de la presqu’île guérandaise et de la Brière. Voilà pourquoi son souvenir s'y est perpétué et plusieurs complaintes y ont été collectées. Un extrait de celle ci a d'ailleurs été chanté par Raphael Garcia sur une K7 du Cercle Breton de Nantes dans les années 80 (1).
Malgré cette profusion de complaintes, l'affaire du satyre du Pouliguen n'est pas celle qui a suscité le plus de chansons en Loire-Atlantique. Deux ans plus tard, la tuerie du Landreau la dépassera en horreur et en nombre de complaintes publiées (2). Il faut dire que le massacre d'une famille entière par un jeune apprenti avait de quoi provoquer l'émotion populaire. Ce genre particulier de la complainte criminelle a connu un franc succès tout au long du 19è siècle et jusqu'à la première guerre mondiale. Sa diffusion sur des feuilles volantes, chantées sur les places de marchés, compensait l'absence de média audio-visuels tout en complétant la relation des faits donnée par les journaux ou hebdomadaires locaux. Le déclin des complaintes criminelles semble aller de pair avec l'arrivée de la radio-diffusion puis des infos télévisées. Les timbres utilisés par les compositeurs ont en commun une simplicité qui permet à tout un chacun de les fredonner. Que ce soit le juif errant, comme ici, l'air de Fualdès ou le dialogue de l'eau et du vin, entre autres, point n'est besoin d'être un grand chanteur pour pouvoir entonner la complainte. La remarque vaut aussi bien pour la fameuse Paimpolaise, air simple et extrêmement populaire qui prit la suite des timbres anciens au hit parade des criminelles dans la première moitié du vingtième siècle.
Amateurs du genre vous pouvez retrouver sur ce blog d'autres complaintes composées à propos d'affaires locales: les mystères de l'Erdre (n° 79 – nov. 2014 ) la complainte du Bois vert (n°118 – sept. 2015) le crime du Pont du Cens (226 – nov. 2017) le crime de St Lumine de Coutais (269 – oct. 2018) le crime de la Chapelle des Marais (275 - nov. 2018). Pour une étude complète du sujet, une seule adresse: le remarquable site Criminocorpus.
La semaine prochaine vous pourrez suivre le troisième épisode de ce passionnant feuilleton d'aventures criminelles et de châtiment judiciaire. Jules Grand y fera la connaissance (brève) de monsieur Deibler !

notes
1 - “Gueule de serpent” par les chantous et sonnous du pays nantais – cassette audio publiée par le Cercle Breton de Nantes en 1984
2 – un exemple est à écouter sur le CD “Nantes en chanson” (Dastum - 1998)

interprète: Jean-Louis Auneau
sources: Gisèle Bourreau enregistrée le 21 mars 2003 à Oudon par Hugo Arribart - Lucie Rastel enregistrée le 29 mai 1981 par Raphael Garcia à Kerbourg en St Lyphard – Texte communiqué par Vincent Morel d'après M. Piquet, enregistré à la Meilleraye de Bretagne par Patrick Bardoul – autre collecte: François Baholet, enregistré en Brière par Joseph Gervot

suite: couplets 13 à 24

Ce sinistre malfaiteur
Demanda logement
Dans la Loire-Inférieure
Il y fit un campement
Dans un gracieux chalet
Sans payer de loyer

Non loin de la demeure
De ce faux Enrici
Une bergère, par malheur
Qui gardait ses brebis
Sur elle, ce vagabond
Porta son intention

Le bandit l'assassine
Sans remords, sans pitié
La petite Clémentine
Il laissa étranglée
Aussitôt le bandit
Courut dans le maquis

Partout il cambriole
Chez Teilleur, chez Cousin
Dans les maisons il vole
On signale ses larcins
A la Turballe aussi
De près on le poursuit

Le bandit sans retard
Veut boire et puis manger
Il vole dans une gare
De quoi se rassasier
Il abandonne ici
Le livret d'Enrici

Ces papiers militaires
Lui appartenaient pas
Mauvaise était l'affaire
Et beaucoup d'embarras
Pour de bien pauvres gens
Qui étaient innocents

Jules grand cassa la croûte
Au château du Plessis
Près d'Orvault, là sans doute
Il abandonne aussi
Des papiers, un livret
Pris chez monsieur Rousset

Puis il réquisitionne
Au château de Krouzerat
Pas de peine il se donne
Tranquillement il quitta
Ce lieu la pour entrer
A la gare de Pintré

Puis il prit à son aise
Quelque chose, un louis d'or
Sur lequel Alphonse XIII
Y figurait encore
Cette pièce témoignera
Contre le scélérat

En passant près de Donges
Armé de son fusil
Une femme ne songe
Que c'est lui le bandit
Un peu plus loin bientôt
Laisse un chien, un vélo

Grand ne s'étonne guère
Pour vivre, le bandit
Chez une garde-barrière
Il entre comme chez lui
C'est pour dévaliser
Le fond du poulailler

Voyez cette canaille
Rentre à la Lissonnais
Fait rôtir des volailles
Pour les manger après
Caché dans un fournil
Sans quitter son fusil


dimanche 19 juillet 2020

348 - Complainte de Jules Grand (1)

Voilà plus d'un siècle la population locale se passionnait pour les aventures d'un criminel hors du commun. On en a fait des complaintes selon la mode de l'époque, relatant les faits et méfaits du bandit Jules Grand: comment sa vie l'a fait basculer dans le crime, comment il échappait aux recherches, jusqu'au châtiment final. Pour la seconde fois nous faisons le choix de ne pas vous présenter une chanson d'un seul bloc. La complainte de Jules Grand fait quand même 36 couplets! Ce sera notre feuilleton de l'été.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


Les 3 épisodes correspondent à trois parties de la complainte. D'abord ses faits et gestes dans le sud de la France; puis son périple à travers l'ouest; enfin ses derniers forfaits en pays nantais et son arrestation.
Un peu d'histoire: Jules Grand avait 26 ans quand a été écrite la complainte. Né en 1885 à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), c'est comme soldat déserteur qu'on le situe à Grasse, où ses parents sont commerçants. Le premier couplet passe rapidement sur son enfance dont, à vrai dire, on ne sait pas grand chose. On le dépeint déjà comme une brute cherchant querelle. “Scélérat” est le terme qui revient le plus souvent dans le texte. L'énumération de ses méfaits nous donne, en effet, le portrait d'un individu peu recommandable.
Déjà condamné à 17 ans à la prison avec sursis pour des blessures par arme à feu, il est incorporé dans un régiment de chasseurs alpins. Deux ans plus tard il est surpris à cambrioler la cantine du régiment. En s'enfuyant, il tue le caporal Ferminier, d’un coup de fusil. Traduit devant le conseil de guerre, il simule la folie, et s’échappe de l’hôpital militaire. S’arrêtant dans un café de Peymeinade pour voler la caisse, il poignarde une employée, Valentine Giraud. Sa cavale se poursuit dans le sud de la France: Marseille, Martigues, Bordeaux. En mai 1909, pour ces crimes d’assassinat, tentative d’assassinat et vol, le conseil de guerre le condamne, par contumace, à la peine de mort. C'est la première de trois condamnations ! Mais Jules Grand est toujours en fuite. Dans les prochains épisodes nous le retrouverons dans l'Ouest.
Le timbre sur lequel elle se chante est l'un des plus utilisés pour ce type de complainte: “le juif errant”. Pas autant qu'ont pu l'être l'air de Fualdès au 19è ou la Paimpolaise depuis sa création par Botrel. Mais avec une constance qui s'explique sans doute par la popularité de la chanson originelle. Non seulement l'air du juif errant a servi de base à des complaintes criminelles, mais il a aussi influencé les mélodies de plusieurs autres chansons traditionnelles.
La chanson que nous avons choisi d'interpréter n'est pas la seule composée sur ce fait divers. Elle est la plus complète, donnant à peu près fidèlement un aperçu des tribulations du criminel depuis son premier forfait jusqu'à ses derniers jours. Pour découvrir les autres chansons sur ce thème, il faut, bien sur, rechercher la base de données des complaintes criminelles sur Criminocorpus, un site remarquable que nous vous encourageons à consulter. Voici la liste des complaintes recensées par “Maxou” Heintzen:
- Complainte en souvenir des victimes: sur l'air de Béranger à l'académie (4 couplets)
- Ce que disent les victimes : également sur l'air du juif errant (13 couplets et une morale)
- une Complainte, sur l'air de Fualdès, signée Daran (8 couplets)
- La condamnation à mort du bandit Jules Grand
- Le satyre du Pouliguen : complainte collectée par Guy Belliot chez Marie-Edith Rialland qui la tenait de sa grand-mère Marie Loyer 
- Chant dramatique sur la troisième condamnation à mort de Jules Grand : sur l'air de Ça vous coupe la gueule à quinze pas (7 couplets)
- Chanson sur Jules Grand : sur l'air des Les Pioupious d'Auvergne (4 couplets et 2 refrains)
Comme on le voit, l'affaire Jules Grand a eu un tel retentissement que ce sont 8 complaintes, au moins, qui ont été écrites sur le sujet. Peu de criminels ont eu droit à une telle notoriété chantée.
Notre interprétation se réfère a plusieurs sources, dont certaines collectées en Brière; nous verrons pourquoi la semaine prochaine. Le texte le plus complet nous a été communiqué par Vincent Morel, dans son étude sur Le phénomène de la complainte criminelle locale en Haute-Bretagne, (maîtrise d'histoire inédite, Rennes, 1995).
Les illustrations et portraits de Jules Grand sont extraits de journaux d'époque disponibles sur Gallica, le site de la BnF.

interprète: Jean-Louis Auneau
sources: Gisèle Bourreau enregistrée le 21 mars 2003 à Oudon par Hugo Arribart - Lucie Rastel enregistrée le 29 mai 1981 par Raphael Garcia à Kerbourg en St Lyphard – Texte communiqué par Vincent Morel d'après M. Piquet, enregistré à la Meilleraye de Bretagne par Patrick Bardoul – autre collecte: François Baholet, enregistré en Brière par Joseph Gervot

les douze premiers couplets...

Jules Grand dans sa jeunesse
N'était qu'un polisson
Brutalisant sans cesse
D'autres jeunes garçons
Il était tapageur
Brutal et querelleur

Jules Grand étant à Grasse
Dans les chasseurs alpins
Il y marqua ses traces
Par de nombreux larcins
Une nuit il fut surpris
Par le sergent de nuit

Chez une cantinière
Un courageux sapeur
Voulut, sans plus de manières
Arrêter le malfaiteur
Jules Grand, le scélérat
Fit feu sur le soldat

Il fit une blessure grave
Au courageux sergent
Féminier, autre brave
Fut blessé mortellement
Pour ces crimes sanglants
On emprisonna Grand

Grand, conduit à Marseille
Pour y être jugé
Par devant le conseil
De guerre sans tarder
Mais Grand en vint à bout
Qu'on le soupçonne fou

Trompant la surveillance
De ses gardiens la nuit
Grand part sans prévenance
Par la rue de Lodi
Ses traces furent perdues
On ne le revit plus

Mais le conseil de guerre
Condamna Grand à mort
Depuis l'année dernière
On n'trouva pas d'abord
Les traces du brigand
On réclame Jules Grand

Jules Grand eut une maîtresse
Plus tard, le scélérat
Un enfant il lui laisse
Un jour de sur les bras
Car un gosse à nourrir
Vaut mieux le laisser mourir

Tout près de Peymeinade
Dans le café Cauvin
Il marqua sa passade
Il demanda du vin
On lui sert à manger
Comme à tout étranger

Il finit sa chopine
Et puis le scélérat
Sur la bonne Valentine
Sans raisons il frappa
La blessant sans égard
A grands coups de poignard

Quittant cette contrée
Grand, précipitamment
Il vola le livret
De gens biens innocents
A Gabriel Demay
L'un même appartenait

Du coté de l'Espagne
Aussi du Bordelais
Jules Grand dans les campagnes
Commit quelques méfaits
Il y sema partout
Des traces de mauvais coups


dimanche 12 juillet 2020

347 - Mariez-me donc


Avec un titre pareil on pourrait croire à une nouvelle supplique d'une jeune fille pressée de se marier. Pourtant, dès le troisième couplet, il parait évident que la belle va se passer de l'autorisation des parents pour s'offrir un avant goût de nuit de noces. Hélas ses espoirs seront déçus par la faute d'un galant qui tombe de sommeil. D'après certains informateurs, cette chanson moqueuse aurait eu un certain succès dans les repas de noces, à un moment ou la morale officielle s'estompe dans les plaisirs de la fête et les vapeurs de l'alcool !
Pour écouter la chanson et lire la suite :

dimanche 5 juillet 2020

346 – l'infanticide


Changement de décor: la semaine dernière nous fredonnions une chanson qui parlait d'un enfant jeté dans une rivière, sur un mode facétieux et avec une fin heureuse. Cette semaine nous allons chanter l'histoire d'un enfant jeté dans une rivière, en abandonnant le ton guilleret pour celui du drame. La conclusion n'est heureuse pour personne dans cette complainte qui aborde d'une toute autre façon, plus réaliste, le thème de l'infanticide. Nous quittons le monde fabuleux des grenouilles et des petits poissons pour l'atmosphère pesante et moralisatrice d'une justice expéditive.
Pour écouter la chanson et lire la suite: