La chanson de cette semaine met un
terme à notre saga des mariés du mois de mai. Ça devait bien finir
par arriver ! Depuis le temps que nos héroïnes de chansons se
vantent de trouver le bonheur avec leurs trois prétendants. La
« fille qui a trois serviteurs » ne voit pas pourquoi
elle devrait s'attacher à un seul, au grand dam de ses parents. Ce
qui est plus surprenant c'est qu'elle les choisit parmi le même
corps de métier. Fantasmes corporatifs ?(1) Cette série de
chansons qui d'un bout à l'autre du territoire racontent la même
histoire avec presque les mêmes paroles ne vaut-elle que par ses
subtiles nuances ?
Avant de chercher son origine,
reconnaissez que parmi toutes les chansons qui nous vantent les
mérites du mariage, les impatiences des amoureux, les difficultés
du choix de l'élu et les conseils des parents, celle ci adopte un
point de vue hors norme. La fille de la maison qui abandonne le
confort ou le conformisme pour l'aventure se situe délibérément en
marge.Certaine chanson plus récente nous parlait de « la
bohème » ce qui pourrait se rapprocher d'une célèbre balade
anglaise où la fille du château prend la route avec « seven
yellow gypsies » ; encore des bohémiens !
lire la suite et écouter la chanson
Difficile de savoir d'où est
originaire ce texte. Fernand Guériff l'utilise dans le volume 1 de
ses collectes, comme exemple des affinités folkloriques entre le
pays de Guérande et les autres régions de France. La liste des
endroits où elle a été notée pourrait étayer l'idée d'une
circulation des chansons par la vallée de la Loire. En effet, elle
fait le plus souvent référence aux villes de Nantes ou d'Orléans,
selon les versions. Mais si les exemples du centre France situent
l'action dans l'Orléanais, ce sont les versions collectées dans les
Alpes ou la vallée du Rhône qui font référence à une fille de
Nantes. Quand à la version notée près d'Orléans, elle parle de
rameurs du port de Saint Nazaire. Voilà une réciprocité qui donne
du crédit à cette propagation des chansons le long des cours d'eau.
Le sel de Guérande a longtemps remonté la Loire sur des
embarcations qui faisaient le voyage retour avec d'autres
marchandises. Sans parler des « petits mercelots », des
colporteurs ou des ramoneurs savoyards qui visitaient du pays à
longueur d'année. Mais ce brassage culturel ne nous éclaire pas
pour autant sur les origines de notre hymne à l'union libre.
L'étude des professions citées ne
nous en apprend guère plus. Marc Robine, dans son anthologie de la
chanson traditionnelle (2) ne craint pas d'affirmer que « bien
que faisant allusion à Orléans la version donnée ici vient du
Berry. Elle date de l'époque ou fut construite la première ligne de
chemin de fer traversant le centre de la France (1847). Les mineurs
en question étaient des terrassiers qui creusaient collines et talus
pour permettre le passage des voies ». Mais pour la même
chanson, Laurian Touraine (3) le contredit: « cette chanson
nous semble, surtout par son air, antérieure de beaucoup à la
création des chemins de fer ...il est plus que probable qu'elle a
pris naissance chez les extracteurs de minerais qui alimentaient les
forges très nombreuses jadis dans le centre de la France » .
Les lieux où cette chanson a été recueillie renforcent son opinion
que le texte originel devait être « mineurs des mines de
fer ».
Peut on parler de version d'origine
adaptée ensuite en fonction des circonstances ? Les rameurs de
Saint Nazaire ont pu remonter la Loire jusqu'à Orléans. Les
ouvriers bretons ou vendéens ont pu mettre en valeur les « soudeux
d'haricots verts » préposés à la délicate opération de
sertissage des boites de conserves, en supposant que ce terme de
soudeux soit bien une déformation de « soudeurs ». Mais
alors qui étaient ces dragons proches de l'hermitage cités dans les
versions les plus à l'est ? Après le texte collecté par
Guériff nous avons cité quelques uns des premiers couplets d'autres
versions ; la liste est loin d'être exhaustive.
Ce qui est intéressant avec les
chansons traditionnelles c'est que plus on se pose de questions moins
ont obtient de réponses. Peut être serez vous en mesure de nous
éclairer ? N'hésitez pas à le faire.
notes
1 - ou fantasmes corporatistes ?
Que les grammairiens distingués nous fassent l'honneur de corriger
si besoin.
2 – Marc Robine : Anthologie de
la chanson française – des trouvères aux grans auteurs du 19 ème
siècle – Le commentaire reprend les notes de la pochette d'un
disque du groupe La Bamboche qui a enregistré cette version en 1975
3 – chansons populaires dans le Bas
Berry – Barbillat et Touraine – vol 2. p. 35
La belle se promène (les trois
mineurs du chemin de fer)
La belle se promène dans son petit
jardin
Bien gentiment, bien doucement, tout le
long de la rivière
Avec ses trois petits mineurs, mineurs
du chemin d’fer
Son père et sa mère, qui l’ont
cherchée partout
Ils l’ont cherchée, ils l’ont
trouvée, tout le long de la rivière
Avec ses trois petits mineurs, mineurs
du chemin d’fer
Veux-tu venir, ma fille, nous suivre à
la maison
Oh non, papa, oh non, maman, je suis
fille abandonnée
Avec mes trois petits mineurs, je suis
la bien-aimée
Si vous saviez, mon père, comme je
suis bien avec eux
L’un coupe mon pain, l’autre tire
mon vin et l’autre me verse à boire
Tous les trois lèveront la main :
mignonne, voulez-vous boire
Encore mieux le dimanche quand j’suis
à la maison
L’un fait mon lit, l’autre babille
et l’autre chauffe ma chemise
Tous les trois frisent mes cheveux à
la mode de la ville
Quand vous serez, mon père, de r’tour
à la maison
Vous f’rez bien tous mes compliments
à mes amis, à mes parents, aux jeunes gens du village
A ceux qui n’ont pas eu l’honneur
d’avoir mon cœur en gage.
Informateur non identifié à
Prézégat (Saint-Nazaire), date inconnue – collecté par G. Le
Floc’h – inclus dans le « Trésor des chansons populaires
folkloriques recueillies au pays de Guérande » par Fernand
Guériff, volume 1 page 14
Interprétation : Bruno
Nourry
catalogue Coirault : la
fille chez les trois dragons - 1215
Catalogue Laforte : la
fille et les trois soldats - 2 M 14
autres versions, avec leurs sources:
Maurice Chevais (Orléanais)
Viens donc la belle fille, viens donc
t'y promener
bien gentiment bien doucement sur le
bord de la rivière
Avec ces deux, ces trois jolis rameurs,
ces trois rameurs de Saint Nazaire
Eugène Rolland (Lorient)
venez vous en mignonne, venez vous
promener
Vous promener tout doucement, au long
de la rivière
avec ces quatre joli soudeux, soudeux
d'haricots verts
Eugène Rolland (Lozère)
Veux tu venir la blonde, veux tu venir
t'y promener
le long du vert feuillage
Mais avec un joli dragon sortant de
l'hermitage
Vincent D'Indy (Vivarais) – id.
Julien Tiersot (Savoie) – id. Achille Millien (Nivernais)
Une fille de Nantes s'en allant
promener
Se promenant tout doucement dessous le
vert feuillage
Avecque trois jolis dragons proches de
l'hermitage
Albert Poulain (Ille et Vilaine)
Veux tu venir mignonne, mignonne t'y
promener
t'y promener bien doucement bien
gentiment tout du long de la rivière
avec ces trois joli garçons, mineurs
du chenin de fer
Jérôme Bujeaud (Angoumois)
Veux tu venir la belle, n'irons nous
promener
Nous promener tout doucement le long de
la rivière
Avecque trois gentils garçons tu seras
la bien aimée
André Drumel (Morbihan)
Me merh Marie-Louise, un dé ‘m es hé
hollet (Ma fille Marie-Louise, un jour je l'ai perdue)
Je l’ai cherchée, je l’ai trouvée,
le long de la rivière
Get deu pé tri chiminod yaouank, éh
obér en amour (Avec deux ou trois jeunes cheminots en train de lui
faire l'amour)
et encore une très jolie chanson, merci
RépondreSupprimerMarie Annick
Balzac, dans la cousine Bette, publiée en 1836, fait explicitement référence à cette chanson.
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