L'atmosphère
actuelle semble propice aux grandes complaintes, aussi avons nous
choisi de continuer dans cette voie. D'autant que toutes ces chansons
ne sont pas des tragédies. La preuve avec celle ci et son dénouement
heureux que nous avons déjà évoqué récemment à propos d'une
autre chanson (1). L'histoire de Germaine est parfois intitulée “le
retour du croisé” ce qui nous permet de dater son origine. Comme
les deux précédentes complaintes, cette histoire d'anneau brisé
est connue dans de nombreux pays. Un détail particulier rattache
notre version au pays Nantais.
Pour écouter la
chanson et lire la suite:
Ah ! Les croisades;
une période si lointaine que son histoire nous semble un peu
oubliée. Dans chacun de nos petits pays des seigneurs ambitieux se
faisaient perpétuellement la guerre dès le retour des beaux jours.
Entre deux trêves c'est à qui taperait le plus fort sur son voisin
pour étendre son domaine et son pouvoir. Avec tout ce qu'on peu
imaginer de dommages collatéraux sur les paisibles populations dont
ces potentats locaux se souciaient fort peu. L'Eglise, fatiguée de prêcher la paix, et d'être parmi les victimes de ces dommages collatéraux, eut une idée géniale pour canaliser la violence des
jeunes noblaillons et les emmener déverser ailleurs leur trop plein
d'énergie. Autour de la Méditerranée, une religion concurrente
était en rapide expansion. Le motif d'occupation des lieux saints
donnant prétexte à des voyages organisés vers la Palestine, tout
manieur d'épée en âge de se battre fut aussitôt orienté vers une
carrière militaire et rédemptrice. Les propriétaires de châteaux abandonnèrent leurs demeures aux mains de leurs épouses et
d'intendants expérimentés. C'est, dit-on, par méfiance envers
cette “expérience” que le commerce de la ceinture de chasteté
connut un certain succès. Un accessoire presqu'aussi recherché que
le gel hydroalcoolique en période de Coronavirus!
Or, donc, Germaine
est seule depuis près de sept ans. Nous avons vu avec “le départ
pour la guerre” que le temps et l'éloignement ne favorisent pas la
reconnaissance d'un être, fut-il aimé. Ne pas vouloir se faire reconnaître au premier abord présente quelques risques. Plusieurs
chansons sur ce thème ont une issue tragique (2). Pourquoi ne pas se
précipiter dans les bras de sa chérie en rentrant au pays ? C'est
que le croisé veut éprouver la fidélité de son épouse. Sans
doute n'avait-il pas investi dans l'accessoire sus mentionné ! Plus
sérieusement, la chanson, d'un couplet à l'autre, fait monter la
tension et le suspense jusqu'à l'épisode final de l'anneau. Ce
n'est donc pas une surprise puisque nous avons déjà vu ce
stratagème utilisé. On franchit cependant un pas de plus dans le
romantisme avec le rappel de la façon dont ça s'est passé. Il ne
s'agit plus cette fois d'un bris volontaire mais de la conséquence
d'une étreinte que l'on devine fougueuse.
Que penser, en
revanche, de l'attitude de la belle mère qui semble prête à jouer
les entremetteuses, pour ne pas dire plus. Si ce n'est que la chanson
traditionnelle nous a habitué à ce genre de rôle joué vis à vis
d'une bru esseulée. Si parfois celle ci est réduite au rôle de la
porcheronne, ici elle n'est pas du genre à se laisser marcher sur
les poulaines. Elle menace de la faire dévorer par des chiens. Le
terme de chien-lion évoque sans doute quelque molosse. Ce qui reste
plus étrange c'est le lieu où est censée se produire cette
correction. Certes nous avons à faire à une version locale, la
seule à notre connaissance qui mentionne la ville de Nantes. Les
ponts et leur quartier du franchissement de la Loire ont connu bien
d'autres aventures chantées. Ils ont connu aussi des exécutions,
telle celle de Gilles de Retz. Peut-être faut-il voir là l'origine
de cette précision.
La version collectée
par Albert Poulain, à Pipriac propose une autre localisation:
Je vous mènerai
à Lyon
A Lyon sur le
pont
Je vous ferai
manger
Par le plus gros
poisson
Lyon et Nantes,
comme Avignon, sont des villes de ponts. Dans une version canadienne,
notée par Marius Barbeau, c'est à Paris qu'elle sera traînée par
des chiens. Le plus souvent Germaine se contente de s'offusquer de la
proposition en jurant vouloir garder son honneur et sa fidélité à
son mari.
Passé cet épisode,
la fin de la chanson peut se dérouler, avec ses signes de
reconnaissance, vers une fin heureuse après sept ans de patience (on
n'ose pas dire: de confinement !).
Notes
1 – chanson n°
328 “le départ pour la guerre” (février 2020)
2 – voir, par
exemple, la chanson n° 167 “Au lever de l'aurore” (septembre
2016)
interpète:
Annick Mousset
source :
chantée par Constance Crusson (La Baule) à Roland Brou, le 10 avril
1991
catalogue P.
Coirault: Germaine (5303 – aventures de mariage)
catalogue C.
Laforte : Le retour du mari soldat, l'anneau cassé, (II, I-03)
Par un soir Germaine
va au jardin d’amour
Par un soir Germaine
va au jardin d’amour
Dans son chemin
rencontre trois cavaliers jolis
Lui ont d’mandé
fillette que faites vous ici ?
Je ne suis pas
fillette messieurs j’ai mon mari
Voilà ce soir sept
ans il était au pays.
Oh dame bonsoir,
madame, pourriez-vous nous loger ?
Oh non mes bons
messieurs par la fidelité
Que je lui ai promis
je lui la tienderai
Allez là, beaux
messieurs, dans ce château joli
Là vous y trouverez
la mère de mon mari
Oh dame bonsoir
l’hôtesse pourriez vous nous loger ?
Oh oui, mes bons
messieurs, à boire et à manger
S’il vous en faut
des blondes, je vous en trouverai.
Le plus jeune des
trois veut ni boire ni manger
Il veut avoir
Germaine, Germaine à ses côtés
Mangez mes bons
messieurs, j’vais aller la chercher
Mais je ne suis pas
sûre que je la ramènerai
Oh dame bonsoir
Germaine, y’a trois messieurs chez nous
Le plus jeune des
trois veut ni boire ni manger,
Il veut avoir
Germaine, Germaine à ses côtés
Sinon qu’vous êtes
la mère, la mère de mon mari
Je vous mènerai à
Nantes, à Nantes de sur ces ponts
Je vous ferai
dévorer par ces grands chiens lions
Buvez mes bons
messieurs, elle ne veut pas venir
C’est la plus
méchante femme qu’il y a dans le pays
Le plus jeune des
trois dit à ses camarades
Dit à ses camarades
j’vais aller la chercher
Je le jure sur ma
foi que je l’amènerai.
Ouvre la porte,
Germaine, la porte à ton mari,
Voilà ce soir sept
ans, il était au pays.
Là si vous êtes
mon homme, mon homme et mon mari
Donne moi des
indices du jour qu’tu es parti
Par là je pourrai
croire que tu es mon mari
Te rappelles–tu
Germaine du jour que j’suis parti ?
Là tu es étais
monté sur ton cheval gris
Avec un de tes
frères et moi ton favori
Là si tu es mon
homme, mon homme et mon mari,
Donne-moi des
indices de la première nuit,
Par là je pourrai
croire que tu es mon mari
Te rappelles-tu
Germaine de la première nuit ?
En t’étreignant
le doigt ton anneau d’or cassit
Tu en as la moitié
et l’autre que voici
Appela sa servante
Jeanneton promptement
Va ouvrir la porte,
la porte à mon mari
Voilà ce soir sept
ans il était au pays.
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