Pour écouter la chanson et lire la
suite:
L'histoire du Roi Renaud est
suffisamment connue pour qu'on vous épargne son analyse. L'origine de
la chanson a déjà fait couler tellement d'encre que nous
n'entrerons pas non plus dans les débats sur son origine
prétendument nordico-celtique. Tout juste constaterons nous qu'elle
est connue dans un grand nombre de pays d'Europe. Intéressons nous
plutôt à ce qui fait l'originalité de cette version et de quelques
autres recueillies dans le même secteur géographique.
La chanson se découpe habituellement
en quatre parties. Tout d'abord, le héros rencontre la mort, à la
chasse, à la guerre ou à cause d'un sort jeté par des fées (1).
Deuxième épisode: le retour à la maison avec la mère qui annonce
la naissance d'un fils, suivie quasi immédiatement du décès du
héros. Commence alors un long dialogue entre la belle fille et la
mère qui essaye de lui cacher la tragédie. Puis le dénouement
intervient avec la femme qui rejoint son mari dans la mort. Dans les
versions francophones, l'histoire débute souvent avec le retour de
Renaud tenant ses tripes dans ses mains, occultant l'épisode
ou celui ci affronte le personnage à la faux. Dans plusieurs des
versions trouvées en Loire-Atlantique la mort dialogue avec le héros
qui est un comte et non un roi, s'appelle Louis plutôt que Renaud
(2).
La version que nous avons choisi
d'interpréter est celle recueillie par M. Noblet, inspecteur de
l'enseignement primaire, dans le cadre de la fameuse enquête Ampère
– Fortoul des années 1850 et archivée dans les “poésies
populaires de la France” à la Bibliothèque Nationale. Le texte et
la mélodie y sont correctement recopiés mais peu d'indications les
accompagnent: seule la mention Pays de Retz pour l'origine
géographique mais rien de plus précis sur la commune ou
l'interprète.
Cette version mélodique a été
publiée un certain nombre de fois. Le collectage extrait des
“poésies populaires de la France” a été reproduit dans la
revue Romania (volume XI), dans la Revue des traditions populaires en
1897, et par Eugène Rolland dans le tome 3 de ses “Recueils de
chansons populaires”. Deux autres personnages que nous connaissons
bien se sont intéressés à cette chanson. Armand Guéraud en donne
deux exemples originaires de la même commune, Viellevigne. Tout
comme Abel Soreau qui donne, lui aussi, pour origine la même
informatrice: Victorine Allain.
Est-il possible que toutes ces versions
de la chanson aient la même source ? Les variations de texte et de
mélodie pourraient être dues à la touche personnelle de chaque
collecteur soit en notant air et paroles, soit en les transcrivant ou
même, pour Soreau, en l'harmonisant.
Comme nous l'avons déjà signalé,
Guéraud, embarrassé par l'incipit qui pourrait tout aussi bien être
“C'est du comte le fils Louis” a préféré proposer cette
alternative de “La vengeance de la mort”. Sa seconde version suit
la même ligne mélodique et parle du “roi Louis”. Chez Abel
Soreau, le roi est redevenu comte:
Dans la forêt de Guémené
Le comte Louis s'en fut chasser
Dans son chemin a rencontré
La mort qui lui a demandé;..
Le chanoine n'oublie pas de préciser
que “Monsieur Pitre de Lisle du Drenneuc l'a recueillie aussi au
Grand-Auverné de la bouche de Jeanne Hardy au village de Villechoux
le 19 décembre 1875”.
Laissons encore une fois la parole à
Fernand Gueriff. Lui aussi nous présente une version, collectée à
Saint-André des eaux, en Brière, dont le héros s'appelle également
Louys (3). Un nom qui aurait pu “ s'introduire localement, quand on
sait que la petite ville de Guémené fut gouvernée depuis 1443 par
des comtes qui s'appelaient Louis de père en fils...” Il s'agit de
Guémené sur Scorff (Morbihan) ce qui semble apporter de l'eau au
moulin de ceux qui veulent voir à cette chanson une origine
bretonne.
Comme on le voit ces mélodies
antérieures à la publication de la complainte de Jean Renaud, ont
été supplantées par l'autre version, plus moderne. Quoi qu'il en
soit, force est de constater que cette aventure a donné de multiples
versions remarquablement bien réparties dans l'espace de cet Ouest
de la France où les limites administratives ou même provinciales ne
présentent que peu d'intérêt dès lors qu'on parle de traditions
orales.
Un autre grand intérêt de cette
chanson, comme celle de la semaine précédente, c'est de montrer
l'importance des collectes à chaque époque. Il est plus que rare de
trouver dans les enregistrements récents des interprètes de cette
complainte. Le genre est passé de mode. C'est aux recueils anciens
que nous devons faire référence pour conserver ces textes.
Pour en savoir plus sur Louis ou
Renaud:
Nos sources pour ces versions provenant
de notre secteur:
- Le premier des deux volumes des “chants
populaires du comté nantais et du Bas Poitou” rassemblés par
Armand Guéraud. Un ouvrage qui vous est familier si vous consultez
régulièrement ce blog.
- Le site de la BnF “Gallica” pour
les autres sources: Poésies populaires de la France, la revue
Romania, la Revue des traditions populaires, et les recueils d'Eugène
Rolland.
Vous trouverez également sur Gallica
cinq des six premiers cahiers édités au début du 20è siècle par
Abel Soreau. Le reste de ses collectes – dont cette chanson ci –
est encore inédit. On y travaille.
Consultez également les commentaires
de Robert Bouthiller sur le livret du CD “grandes complaintes de
Bretagne” (co-édition: Ar Men / La Bouèze / G.C.B.P.V. / Dastum
44 - 1998)
Notes
1 - c'est la deuxième fois en l'espace
d'une semaine que nous sommes victimes de fées au caractère
irrascible ! (voir n° 331, la blanche biche)
2 - quelques uns des héros: Olaf
(scandinavie) Hemann (Tchéquie) Marko (Serbie) Nann (Basse Bretagne)
Léondo ou Redor (Haute Bretagne) Renaud ou Jean Renaud (France
d'oil) Arnaud (France d'oc) Angelino (Italie) Pedro (Espagne) Ramon
ou Arnaldo (Catalogne) Léonardo (Portugal), etc
3 – Le trésor des chants populaires
folkoriques du Pays de Guérande, tome 3, page 172 (éd. Dastum 44 /
Parc de Brière - 2009)
interprète: Jean-Louis Auneau
source: Poésies populaires de
la France - volume 3, document 118 - manuscrits conservés à la
Bibliothèque Nationale (source: Gallica) – informateur: M. Noblet,
Insp. Prim. Pays de Retz - réponse à l'enquête objet du décret du
13 septembre 1852 en vue de la constitution d'un recueil des poésies
populaires de la France.
catalogue P. Coirault: Jean
Renaud (aventures de mariage - 05311)
catalogue C. Laforte: Jean
Renaud (II, A-01)
C'est le conte du fils Louis
Qui se promène en ses prairies
En son chemin a rencontré
La Mort qui lui a demandé
A rencontré dans son chemin
La Mort, qui lui dit pour certain
Aimes tu mieux mourir cette nuit
Que d'être sept ans à languir
Aimes tu mieux mourir à présent
Que d'être sept ans languissant
Réjouis toi, beau fils Louis
Car tu es le père d'un fils
Un homme qui se voit mourir
Comment peut-il se réjouir ?
Tournez mon lit du haut en bas
Que ma femme n'entende pas
Le lit fut pas plus tôt tourné
Que le beau Louis a trépassé
Oh! dites moi, ma mère, ma mie,
Qu'est-ce que j'entends sonner ainsi ?
Ma fille on fait la procession
Tout à l'entour de la maison
Oh! dites moi, ma mère, ma mie,
Pourquoi j'entends pleurer ici ?
Ma fille il y a bien de quoi pleurer
Un couvert d'or nous est volé
Oh! dites moi, ma mère, ma mie,
Pourquoi j'entends frapper ici ?
Ma fille ce sont les maçons
Qui raccommodent la maison
Ah! dites moi, ma mère, ma mie,
Quel habit mettrai-je aujourd'hui ?
Prenez le noir, prenez du blanc
Mais le noir est plus convenant
Oh! dites moi, ma mère, ma mie,
Pourquoi la terre est rafraîchie ?
Je ne peux plus vous le cacher
Votre mari est enterré
Ouvre tombeau, ouvre rocher
Avec mon mari je veux aller !
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