Biche, oh ma biche, lorsque tu
soulignes, au crayon noir, tes grands yeux...Ah!, c'est vrai qu'il
est fort, Alamo (1), pour la métaphore cynégétique. Mais, bien
avant les années yé-yé, la biche a tenu la vedette d'une chanson
qui, pour être une des plus anciennes du répertoire, n'en conserve
pas moins un accent très actuel. Sauf à vouloir la prendre au
premier degré comme une histoire de chasseurs à caractère
merveilleux, son fonds nous parle d'un sujet récurent où les
acteurs tiennent deux rôles intemporels: prédateur et victime.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Combien de fois a-t-elle été
enregistrée cette complainte, du 33 tours au CD, par tout ce que la
vague folk des années 70 compte de groupes comme Malicorne, Tri
Yann, Crèche, Grand-mère funnibus ou Gratton labeur... ou
d'interprètes comme Serge Kerval et Guy Béart, pour n'en citer
qu'un petit nombre. Le plus souvent les folkeux (2) se sont servis
d'une seule source, avec une seule mélodie, tirée du livre des
chansons d'Henri Davenson (3). Celui ci précise pourtant que l'air
utilise le timbre d'une autre chanson. Armand Guéraud, au 19è
siècle, avait noté lui aussi la version que nous vous proposons,
recueillie à Machecoul. Dans ses commentaires de cette publication,
Joseph Le Floc'h précise qu'il s'agit d'une “mélodie notée pour
la toute première fois en France...D'autres proches parents
viendront confirmer plus tard, qu'elle est bien en voie de
disparition, au profit de l'air généralement associé à la chanson
des oreillers”. Comme souvent, c'est de l'autre coté de
l'Atlantique qu'il faut aller chercher des versions utilisant une
mélodie similaire, “démontrant s'il en est besoin, que le
répertoire canadien, fut-ce encore aujourd'hui, nous livre
fréquemment des images antérieures à celles des recueils de nos
folkloristes français”(4).
La blanche biche a tout de même été
recueillie de façon significative dans tout l'ouest de la France. Cela ne signifie rien sur son origine puisque le thème existe dans
d'autres contrées européennes, jusqu'en Scandinavie. Quoi qu'il en
soit, toutes les versions connues (en France) ont été collectées
au 19è siècle. On ne chante plus ce genre de complainte
aujourd'hui. Dans le trash ou le gore, le cinéma a fait beaucoup
mieux depuis.
La transformation d'un humain en
animal, dans les contes comme dans les chansons, peut avoir des
raisons très différentes. Il s'agit parfois d'une échappatoire
comme dans le cas de la jeune fille changée en canne (voir chanson
n° 26 en octobre 2013). Il est parfois question de malédictions, ce
qui pourrait bien être le cas ici. Plusieurs versions notées en
Acadie par Geneviève Massignon parlent d'un sort jeté par des fées.
La fée est d'un naturel susceptible!
Il vaut mieux éviter de prendre au
premier degré l'épisode du repas au château, qui relève du cannibalisme. Si le frère est choqué d'avoir tué et mangé sa sœur au point d'en devenir instantanément végétarien, que dire alors de
la mère. Si elle n'intervient pas dans notre version, dans d'autres
elle s' écrie :
Sainte vierge Marie faut-il
Qu' j'aurais mangé du cœur de ma
fille,
attrape un poignard et se le plante
dans le cœur, histoire d'en rajouter dans l'aspect dramatique.
On aurait sans doute également tort de
vouloir interpréter cette histoire avec nos arguments actuels, même
si la situation correspond effectivement à un thème assez
intemporel. Chasseur et chassée, prédateur et victime, attention à
ne pas se méprendre sur les intentions en chantant cette chanson.
N'est-ce pas de la même veine que les métamorphoses ? En beaucoup
moins “soft” évidement.
Dans cette chanson, le frère de la
jeune fille est souvent prénommé Renaud. Un prénom à la mode
ancienne que nous retrouverons dans d'autres complaintes.
Présentement le frère de Marguerite s'appelle René. Ailleurs on
trouve encore Honoré; des prénoms qui ont en commun une certaine
assonance.
Pour finir quelques précisions sur un
vocabulaire suranné : les hasiers sont des fourrés d'arbustes et de
broussailles, la ressie c'est l'heure du goûter, le milieu d'après
midi, et les landiers sont des gros chenets pour les grillades.
Pour les recettes de biche grillée,
voyez marmiton.com;
Pour la recette de la biche aux abois melba, voyez Pierre Desproges.
Pour la recette de la biche aux abois melba, voyez Pierre Desproges.
A bientôt pour de nouvelles
complaintes.
notes
1 – pour les plus jeunes d'entre
vous: “Ma biche” chanson de Frank Alamo en 1963. Les calembours
approximatifs sont une marque de fabrique de ce blog qui déteste se
prendre au sérieux. Qu'on se le dise.
2 – Guy Béart, folkeux ! C'est du
grand n'importe quoi dans ce blog ! Ceci dit, le terme n'a pour nous
rien de péjoratif.
3 – Henri-Irénée Marrou pour les
intimes; un historien spécialiste de la musique ancienne.
4 – chants populaires du pays nantais
et du bas Poitou, recueillis par Armand Guéraud; édition critique
de Joseph le Floc'h (FAMDT / Modal – 1995)
interprète: Barberine Blaise
source : « Vieilles
chansons du pays Nantais », volume VI, chanson N° 51 –
chantée à Machecoul (44) en 1867 par Jenny Monnier, originaire de
Paulx (communiquée à Abel Soreau par Gabrielle Praud de la
Nicollière)
Catalogue P. Coirault : La
blanche biche (Saints - N° 08910)
Catalogue C. Laforte : La
blanche biche (I, B–01)
Celles qui vont au bois, c'est la mère
et la fille
L'une s'en va chantant, l'autre se
désespère
Qu'avez-vous à pleurer Marguerite ma
chère
J'ai un grand ire au cœur qui me fait
pâle et triste
Je suis fille le jour, la nuit la
blanche biche
La chasse est après moi par haziers et
par friches
Et de tous les chasseurs, le pire ma
mère, ma mie
C'est mon frère René, vite allez
qu'on lui di-e
Qu'il arrête ses chiens, jusqu'à
demain, ressie
Arrête tes chiens René, arrête je
t'en prie
Trois fois les a cornés sans que pas
un l'ait ouï
La quatrième fois la blanche biche est
pri-e
Mandons le dépouilleur qu'il dépouille
la bête
Mais le dépouilleur a dit : il y a
encore méfaite
Elle a sein d'une fille, blonds cheveux
sur la tête
Quand ce fut pour souper, que tout le
monde vienne vite
Nous voici tous assis hors ma sœur
Marguerite
Quand je la vois venir, ma vue est
réjouie
Vous n'avez qu'à manger, tueur de
pauvres filles
Ma tête est dans le plat, et mon cœur
aux chevilles
Le reste de mon corps devant les
landiers grille
Le bras du dépouilleur est rouge
jusqu'à l'aissène
Dans le sang que ma mère avait mis
dans nos veines
J'ai laissé boire mes chiens, comme à
l'eau des fontaines
Pour un si fort malheur, je ferai
pénitence
Serai pendant sept ans, sans mettre
chemise blanche
Et j'aurai sous l'épine, pour toit
rien qu'une branche
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