vendredi 5 avril 2019

290 - La joyeuse veuve


Pas de pitié pour les maris ! La chanson traditionnelle réserve parfois un sort funeste aux époux que l'on voit partir sans regret. Certains finissent grillés dans leur paillasse ou bouffés par le chat, d'autres sont envoyés à la tannerie pour faire de leur peau une descente de lit. Sans parler des victimes de bouillons d'onze heures et autres décoctions guérissant définitivement de tous les maux. Dans cette chanson, c'est la médecine officielle qui se charge d'accélérer le processus, brocardant au passage une profession qui nous paraît aujourd'hui fort honorable mais dont on se méfiait énormément jadis. Dans cette affaire, la déclaration d'amour de la veuve n'est rien moins que suspecte.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Pour être tout à fait juste – et respecter les règles de la parité – il faut bien reconnaître qu'il ne manque pas non plus de chansons où l'homme ne fait aucun cas de sa femme. De l'ivrogne au cabaret en passant par le manieur de bâton de vert pommier, jusqu'au « veuf joyeux » qui demande à Satan de barrer les portes de l'enfer pour empêcher sa moitié de revenir le hanter.
Voici donc une chanson en forme de revanche, qui est universellement connue, mais qui se présente ici sous une forme un peu particulière. Nous l'avons extraite d'un manuscrit compilé au 19è siècle par le ménétrier Poiraud (violoneux), dans le Pays de Retz et plus particulièrement dans le secteur de Pornic. Nous manquons de renseignement sur ce M. Poiraud. Cependant les 80 chansons qu'il nous a transmis représentent un témoignage intéressant de l'évolution de la tradition. L'ancienneté de la collecte permet d'y repérer trois types de chansons :
Celles qui sont restées immuables et qu'on a pu retrouver pratiquement mot pour mot dans les enregistrements de ces dernières années.
Celles qui ont totalement disparu, soit parce qu'elles ne correspondaient plus aux goûts des interprètes, soit qu'elles ne trouvaient plus d'utilisation (pour la danse par exemple)
Enfin celles qui ont suivi l'évolution naturelle de la tradition orale : toujours le même récit mais avec des adaptations dans la forme.
Cela semble bien le cas avec cette veuve joyeuse. Dans la plupart des chansons sur ce thème la femme va chercher de quoi contenter son homme (vin ou médecine) ou le secourir : médecin, voire prêtre, ce qui déjà moins encourageant. Dans tous les cas elle tarde à revenir
Je partis sur le dimanche
Je revins le vendredi
ou mieux (ou pire)
Je suis partie à la pentecôte
Et revenue au mois d'avril...
soit juste au moment où il est prêt à être enseveli. Elle ne regrette guère que le drap qui l'enveloppe. Les versions où intervient le fameux Duchesne sont nettement moins nombreuses. Un certain Joseph Du Chesne fut le médecin personnel de Henri IV, ce qui ne date pas d'hier. Est-ce cet illustre personnage qui sert de médecin référent dans notre chanson ? Ou bien est-ce un personnage de fiction ?. Savant ou charlatan, toujours est-il que son intervention est fatidique. Dès lors comment doit-on interpréter la supplique :
Ne le faites pas languir
Seule une version collectée par Millien dans le Morvan a remplacé cette phrase par
Ne le faites point mourir
A contrario, les autres exemples que nous avons pu consulter finissent régulièrement par :
Faites en autant mesdames
Si vos maris vous ennuient
envoyez chercher Duchêne...
Pas très flatteur pour l'homme de l'art ! Mais la chanson nous a habitués à la moquerie des professions élitistes : gens d'église, hommes de lois et maintenant thérapeutes en tous genres. Etait-ce bien la peine d'aller chercher un ponte parisien alors que quelques « remèdes de bonne femme » permettaient d'obtenir le même résultat ? Une version très proche (géographiquement parlant) de la nôtre parle de rapporter des pommes de paradis ! Les ressources de la médecine traditionnelle sont inépuisables. Seul le résultat compte et en manière de morale un couplet conclut :
Au bout de la quinzaine
Je fis un nouvel ami

interprète : Armelle Petit
source : manuscrit du ménétrier Poiraud – 80 chansons du Pays de Retz
catalogue P. Coirault : le mari que l'on aime mieux mort qu'en vie (maumariées - 5521)
Catalogue C. Laforte : I, F-07 – Mon mari est bien malade

1
Depuis trois mois je suis veuve
De monsieur le trop tôt pris
De monsieur le trop tôt pris
Qui passait ses nuits à boire
et ses journées à dormir
R
Je l'aimais tant mon mari
Que j'l'aime mieux mort qu'en vie
2
Qui passait ses nuits à boire
et ses journées à dormir
Il fit tant par ses fredaines
Qu'il se réduisit au lit
3
On envoie chercher Duchesne
Apothicaire à Paris
4
Ah, monsieur l'apothicaire
Ne le faites pas languir
5
Il fit tant par sa science
Qu'en trois jours ce fut fini
6
Et au bout de trois semaines
J'ai trouvé un autre ami


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