vendredi 22 mars 2019

288 - Dix filles à Nantes (joli bateau )


On dit souvent que les plus courtes sont les meilleures. Plaisanterie mise à part, cette maxime peut-elle s'appliquer au domaine de la chanson ? A plusieurs reprises nous avons déjà tenté de réhabiliter ce genre court tellement présent dans la tradition vivante et si peu dans les collectes anciennes.
Il est difficile de faire plus concis que le texte que nous vous proposons cette semaine. Ce qui ne signifie pas que son contenu soit vide de sens, même s'il laisse une grande part à l'imagination. De même sa mélodie n'est pas moins riche que celles de certaines complaintes. Des filles, des bateaux, des aventures...bienvenue dans le folklore du port de Nantes.
Pour écouter la chanson et lire la suite


Nous avons l'habitude, dans ces lignes, de comparer les versions d'une même chanson ; ce qui permet d'en apprendre davantage sinon sur ses origines, du moins sur son sens ou ses évolutions. Nous ne pourrons pas le faire pour cette dizaine qui, à notre connaissance, n'a été enregistré qu'à un exemplaire unique, par Mathieu Hamon dans le secteur de Guenrouet, sur les bords du canal de Nantes à Brest.
En dehors de ritournelles souvent utilisées par les musiciens pour mémoriser un air à danser, les textes courts sont généralement la base de chansons énumératives. Majoritairement, il s'agit de chansons à la dizaine, parmi lesquelles l'énumération décroissante, de 10 à 1, est la règle et l'énumération croissante l'exception. Notre région ne connaît pas d'exemples des chansons « de neuf » qui sont bien présentes dans le sud-ouest. A danser, à marcher ou pour accompagner le geste du travail, tout marche par dix. Les sujets sont aussi bien des animaux : dix pies, dix poules, dix vaches...que des objets divers : dix navires, dix brins de laine, ou dix lauriers fleuris comme dans l'exemple précédent(1). Le plus utilisé est l'argument temporel : c'est dans dix ans, ou y'a bien dix ans ; plus rarement des heures (il est dix heures et demie sonnées...) ou des minutes (c'est dans dix minutes la belle va dire oui...). Dernier sujet, et non des moindres, toutes les chansons qui prennent pour sujet les filles de tel ou tel endroit, pour en décrire les charmes, les défauts ou les aventures. Pour ne retenir que les dizaines qui évoquent la ville de Nantes on y trouve des fleurs, des rossignols, des filles et des bateaux. Nous voilà donc arrivés, après cette longue entrée en matière, au sujet de notre chanson de la semaine.
Nous ne prétendons pas faire une analyse précise de ce texte très court. A-t-il une existence propre ou bien est-il une réminiscence d'autres chansons ? On y trouve, en peu de mots, des thèmes récurrents du folklore nantais : les navires, les voyages, la vie à bord et les plaisirs du retour. La devise de la ville de Nantes depuis le 16è siècle : « Favet Neptunus eunti » (Neptune favorise ceux qui voyagent) trouve un écho dans ces trois lignes. Les jolis bateaux ont été l'emblème de la ville où la construction navale a lancé des navires par centaines des temps de la voile jusqu'à la fermeture des derniers grands chantiers en 1987. La vie des marins nantais a donné lieu à quantité de chansons traditionnelles. Elles évoquent pour beaucoup la navigation lointaine, avec ses séparations et l'inquiétude devant les dangers. L'expression qui mène et qui ramène peut tout autant faire penser à l'excitation des départs, au goût de l'aventure, à la découverte de terres inconnues qu'aux attentes du retour du navire chargé d'épices ou de sucre ainsi que de l'amant ou du mari partis trop longtemps. Départs, retours, périls en mer, aventures diverses...l'abondance des chansons de marins, ou maritimes, permet d'illustrer ce mouvement qui mène et qui ramène. On peut prendre à titre d'exemples deux chansons que nous avons publiées : En la rivière de Nantes (n°78 – oct 2014) pour les départs et le navire qui apporte des nouvelles de l'ami (n°64 – juil 2014) pour les retours. La chanson a aussi célébré le retour à terre. La longueur des campagnes justifie toutes les débauches et la recherche d'un plaisir qu'on sait de courte durée. L'absence se mesure en semaines pour le cabotage, en mois pour le long cours, parfois même en années pour les baleiniers. L'archétype de ce retour c'est le fameux Jean-François de Nantes dont les plaisirs finissent dans la douleur. Jean-François de Nantes n'est pas seulement une chanson entonnée à gorge déployée par tous les groupes de chants de marins. C'est aussi un roman d'Henry-Jacques (2) dont le héros lassé des campagnes au long cours cherche à s'établir à terre mais dont les amours déçues précipitent le retour à bord.
Plaisir charmant durera-t-il longtemps !
Tout ceci n'est bien entendu qu'une proposition. Cette chanson laisse suffisamment de place à l'imagination pour que chacun s'en fasse sa propre idée.

notes
1- chanson n° 285 ; reportez vous deux semaines en arrière.
2 – Henri-Edmond Jacques, dit Henry-Jacques (1886-1973) écrivain nantais. Le roman « Jean-François de Nantes » a été publié en 1929.

interprète : Janig Juteau - réponses : Dominique Juteau, Jean-Louis Auneau, Jean Ruaud, Francis Boissard
source : M. Joseph Roullaud de Guenrouet, enregistré par Mathieu Hamon en juillet 1991

Y'a plus que dix filles à Nantes, joli bateau
Joli bateau qui mène et qui ramène
Plaisir charmant durera-t-il longtemps

Y'a plus que neuf filles à Nantes...



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