On
dit souvent que les plus courtes sont les meilleures. Plaisanterie
mise à part, cette maxime peut-elle s'appliquer au domaine de la
chanson ? A plusieurs reprises nous avons déjà tenté de
réhabiliter ce genre court tellement présent dans la tradition
vivante et si peu dans les collectes anciennes.
Il
est difficile de faire plus concis que le texte que nous vous
proposons cette semaine. Ce qui ne signifie pas que son contenu soit
vide de sens, même s'il laisse une grande part à l'imagination. De
même sa mélodie n'est pas moins riche que celles de certaines
complaintes. Des filles, des bateaux, des aventures...bienvenue dans
le folklore du port de Nantes.
Pour
écouter la chanson et lire la suite
Nous
avons l'habitude, dans ces lignes, de comparer les versions d'une
même chanson ; ce qui permet d'en apprendre davantage sinon sur
ses origines, du moins sur son sens ou ses évolutions. Nous ne
pourrons pas le faire pour cette dizaine qui, à notre connaissance,
n'a été enregistré qu'à un exemplaire unique, par Mathieu Hamon
dans le secteur de Guenrouet, sur les bords du canal de Nantes à
Brest.
En
dehors de ritournelles souvent utilisées par les musiciens pour
mémoriser un air à danser, les textes courts sont généralement la
base de chansons énumératives. Majoritairement, il s'agit de
chansons à la dizaine, parmi lesquelles l'énumération
décroissante, de 10 à 1, est la règle et l'énumération
croissante l'exception. Notre région ne connaît pas d'exemples des
chansons « de neuf » qui sont bien présentes dans le
sud-ouest. A danser, à marcher ou pour accompagner le geste du
travail, tout marche par dix. Les sujets sont aussi bien des
animaux : dix pies, dix poules, dix vaches...que des objets
divers : dix navires, dix brins de laine, ou dix lauriers
fleuris comme dans l'exemple précédent(1). Le plus utilisé est
l'argument temporel : c'est dans dix ans, ou y'a bien dix ans ;
plus rarement des heures (il est dix heures et demie sonnées...) ou
des minutes (c'est dans dix minutes la belle va dire oui...). Dernier
sujet, et non des moindres, toutes les chansons qui prennent pour
sujet les filles de tel ou tel endroit, pour en décrire les charmes,
les défauts ou les aventures. Pour ne retenir que les dizaines qui
évoquent la ville de Nantes on y trouve des fleurs, des rossignols,
des filles et des bateaux. Nous voilà donc arrivés, après cette
longue entrée en matière, au sujet de notre chanson de la semaine.
Nous
ne prétendons pas faire une analyse précise de ce texte très
court. A-t-il une existence propre ou bien est-il une réminiscence
d'autres chansons ? On y trouve, en peu de mots, des thèmes
récurrents du folklore nantais : les navires, les voyages, la
vie à bord et les plaisirs du retour. La devise de la ville de
Nantes depuis le 16è siècle : « Favet Neptunus eunti »
(Neptune favorise ceux qui voyagent) trouve un écho dans ces trois
lignes. Les jolis bateaux ont été l'emblème de la ville où
la construction navale a lancé des navires par centaines des temps
de la voile jusqu'à la fermeture des derniers grands chantiers en
1987. La vie des marins nantais a donné lieu à quantité de
chansons traditionnelles. Elles évoquent pour beaucoup la navigation
lointaine, avec ses séparations et l'inquiétude devant les dangers.
L'expression qui mène et qui ramène peut
tout autant faire penser à l'excitation des départs, au goût de
l'aventure, à la découverte de terres inconnues qu'aux attentes du
retour du navire chargé d'épices ou de sucre ainsi que de
l'amant ou du mari partis trop longtemps. Départs, retours, périls
en mer, aventures diverses...l'abondance des chansons de marins, ou
maritimes, permet d'illustrer ce mouvement qui mène et qui ramène.
On peut prendre à titre d'exemples deux chansons que nous avons
publiées : En la rivière de Nantes (n°78 – oct 2014) pour
les départs et le navire qui apporte des nouvelles de l'ami (n°64 –
juil 2014) pour les retours. La chanson a aussi célébré le retour
à terre. La longueur des campagnes justifie toutes les débauches et
la recherche d'un plaisir qu'on sait de courte durée. L'absence se
mesure en semaines pour le cabotage, en mois pour le long cours,
parfois même en années pour les baleiniers. L'archétype de ce
retour c'est le fameux Jean-François de Nantes dont les plaisirs
finissent dans la douleur. Jean-François de Nantes n'est pas
seulement une chanson entonnée à gorge déployée par tous les
groupes de chants de marins. C'est aussi un roman d'Henry-Jacques (2)
dont le héros lassé des campagnes au long cours cherche à
s'établir à terre mais dont les amours déçues précipitent le
retour à bord.
Plaisir
charmant durera-t-il longtemps !
Tout
ceci n'est bien entendu qu'une proposition. Cette chanson laisse
suffisamment de place à l'imagination pour que chacun s'en fasse sa
propre idée.
notes
1-
chanson n° 285 ; reportez vous deux semaines en arrière.
2
– Henri-Edmond Jacques, dit Henry-Jacques (1886-1973) écrivain
nantais. Le roman « Jean-François de Nantes » a été
publié en 1929.
interprète :
Janig Juteau - réponses : Dominique Juteau, Jean-Louis Auneau,
Jean Ruaud, Francis Boissard
source :
M. Joseph Roullaud de Guenrouet, enregistré par Mathieu Hamon en
juillet 1991
Y'a
plus que dix filles à Nantes, joli bateau
Joli
bateau qui mène et qui ramène
Plaisir
charmant durera-t-il longtemps
Y'a plus que neuf filles à Nantes...
Y'a plus que neuf filles à Nantes...
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