Cette chanson est organisée comme une
fable. En utilisant la farce qui conduit une chèvre devant la
justice, c'est une satire de tout l'appareil judiciaire qui nous est
présentée. Tout comme le clergé, les juges et les avocats sont
souvent tournés en ridicule par des chansons aux allures innocentes.
La présentation comique permet de critiquer des institutions dont il
n'est pas possible de dénoncer ouvertement les travers. La
littérature du 15è siècle nous en donne un bel exemple avec la
farce de maître Pathelin. La « bique au parlement » fait
partie des chants les plus souvent collectés (1) dans toutes les
régions et particulièrement dans la notre.
pour écouter la chanson et lire la
suite :
D'après l'étude réalisée par
Patrice Coirault, c'est en 1701 que ce texte a été imprimé pour la
première fois. Il apparaît dans les « chansons gaillardes et
sérieuses » de Nicolas Parmentier. Une seconde publication en
1728 précise que c'est « une chanson qui n'a pas cent ans ».
Nous n'avions que l'embarras du choix
entre les recueils anciens et les collectes récentes pour vous la
présenter. La version que nous vous proposons est extraite du tome 3
du « Trésor des chants populaires du pays de Guérande »
de Fernand Guériff. Il tenait cette version de sa grand mère
paternelle Jeanne Barbier, qui la lui a chanté en 1936 alors qu'elle
avait 78 ans. La grande diffusion de ce texte a donné tellement de
versions différentes que nous pouvons faire quelques comparaisons.
Neuf fois sur dix le procès est
intenté à une chèvre. Mais il arrive encore assez souvent que
l'accusée soit une vache, un âne ou une ânesse. Les publications
du 18ème siècle ont pour refrain des ritournelles en lantire
lire lire ou mon enfant, qu'on retrouve parfois dans les
collectes récentes. Toutefois, les refrain les plus courants sont
basés soit sur la formule :
Elle a de l'entendement ma bique
Elle a de l'entendement
soit, comme ici, sur la ritournelle
En gragrinotant de la goule
Et grinçant des dents...
Des quasi onomatopées qui, selon les
endroits, se déclinent en babinochant ou birebinottant pour les
mouvements de la gueule et encore plus pour le grincement de dents :
rechignant, guenochant, gringuenassant, gringuenaudant, grichotant,
fringolentant, etc
Intéressons nous maintenant au
déroulement de l'histoire, immuable, mais avec des épisodes plus ou
moins mis en avant. Quel que soit le motif de son incartade (elle
n'avait pas envie d'aller au champ ou bien voulait visiter ses
parents) le motif du litige (quelques choux ou poireaux détériorés)
entraîne une réaction disproportionnée : elle est assignée
par quatre vingt sergents !
Celui qui est lésé dans l'histoire,
et fait figure de procédurier, s'appelle le plus souvent Durand,
patronyme tellement répandu que ce pourrait être n'importe qui.
Mais c'est parfois chez Jean Bertrand ou Grand Jean que l'animal fait
du dégât, quand ce n'est pas simplement chez un Normand, ou un
Allemand.
La satire de l'appareil judiciaire ne
s'arrête pas à la mise en branle de tout un système pour une
broutille. Le principal reproche fait à la justice c'est que les
gens du peuple y sont toujours perdants. Les juristes utilisent des
formulations incompréhensibles et qui plus est, en latin. Des
versions de la chanson, comme celle notée par Abel Soreau (2), nous
le résument ainsi :
Avisant un grand livre
E' s'met à lire dedans
J'n'y comprend rien dit-elle
C'est du nèr' et du bianc
Mais j'vois ben qu'mon procès
N'ira point en maudrant (avançant)
Un autre épisode de l'affaire n'est
pas mené à son terme dans notre version mais apparaît dans
d'autres. Quand la bique enfonce ses cornes dans le cul du
président :
elle en retire de l'onguent
pour en graisser la langue
aux avocats plaidant
On peut imaginer que la grand-mère de
Fernand Guériff n'ait pas souhaité apprendre à son petit fils
cette autre manière de chanter « j'emmerde les gendarmes » !
Les archives du moyen-âge nous
apprennent que des procès d'animaux ont été organisés. Il
s'agissait en particulier d'animaux s'étant attaqués à des
humains. On cite le cas d'enfants dévorés par des porcs,
solennellement condamnés à mort en représailles. Orain dans son
« folklore de L'Ille et Vilaine » en donne un exemple
jugé à Rennes où une truie fut pendue. La chanson semble plus
récente que ces faits qui remontent au 14è siècle pour les plus
proches.
Quoi qu'il en soit ce ne sont pas les
procès d'animaux que dénonce cette chanson, mais bien le
fonctionnement d'un appareil judiciaire dont les petites gens –
représentés ici par la chèvre – sortent toujours perdants.
notes
1 - Coirault 116 occurrences dans le
répertoire de la chanson de P. Coirault ; 121 versions
recensées par C. Laforte
2 – vieilles chansons du pays
nantais, fascicule 3 – Abel Soreau (1903)
interprète : Francis
Boissard
source : La chèvre au
parlement – Fernand Gueriff, chansons de Brière, de Saint Nazaire
et de la presqu'ile guérandaise, tome 3 p 60 (édition : Dastum
44 et Parc naturel régional de Brière – 2009)
catalogue Coirault : 10607
– la chèvre au parlement
catalogue C. Laforte : I,
C-11 - la chèvre au parlement
Mon père avait une bique
qui avait de l'entendement
Un jour lui prit envie
D'aller voir ses parents
R.
En gragrinotant de la goule
Et grinçant des dents
Elle a voulu passer Par le champ à
Durand
Elle a mangé trois choux, en a cassé
autant
Durand la fit appeler chez le juge au
canton
Elle fut assignée par quatre vingt
sergents
Elle s'asseoit sur un banc la queue
toujours dressant
Elle a fait un gros pet pour monsieur
le président
Et un panier de crottes pour messieurs
les sergents
C'est pour les écoutants
Elle enfoncit ses cornes
dans l'derrière du président
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire