vendredi 8 mars 2019

286 - La fée Carabosse


C'est une double transformation qui s'opère avec cette chanson, pas si ancienne mais déjà bien folklorisée. La première c'est l'adoption d'un nom, synonyme de mauvaise fée ou méchante sorcière, pour un personnage légendaire antérieur. La seconde c'est la mise en musique de l'histoire et sa diffusion par des chanteurs de tradition orale. Étonnant pour une composition même pas centenaire !
Le thème de la femme transformée en pierre est bien présent dans la littérature populaire, les contes et même la bible (1). Qu'un ecclésiastique soit à l'origine de cette chanson très « païenne » ne nous surprend donc pas. C'est la façon dont elle s'est diffusée qui nous intéressera le plus.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


La chanson de la fée Carabosse a été collectée à une dizaine de reprises dans tout le département et pas seulement dans le secteur ou sévissait ce personnage légendaire. Ce texte est une composition d'un folkloriste que nous avons déjà rencontré avec d'autres chansons : l'abbé François Thuard, curé de Saillé. La fée Carabosse a été publiée dans son premier recueil des « Chansons de Saillé » en 1925. Deux autres livrets l'ont suivi, plus orientés sur les chansons à caractère religieux. Le timbre choisi, déjà bien connu (2), a sans doute contribué à populariser ce récit.
La légende est connue dans le secteur de Guémené-Penfao et la vallée du Don. Elle sert à expliquer la présence de massifs rocheux sur le site de Juzet. Il peut être risqué pour les habitants de se moquer d'une vieille femme laide et un peu sorcière. Elle se venge en jetant sa malédiction sur les terrains alentours qui deviennent stériles. Le secteur comporte beaucoup de landes et de terres au rendement agricole faible. A l'origine de cette légende on trouverait la reine des fées de Tréguely qui se serait vengée des jeunes femmes moqueuses de l'endroit, y rendant impossible la culture du lin. A partir de quand cette reine des fées a-t-elle été affublée du pseudonyme de Carabosse ? C'est difficile à dire. Carabosse est souvent associée à la méchante sorcière de la belle au bois dormant. Mais cette association est également plus récente que l'histoire elle même. Dans le conte de Perrault elle ne porte pas ce nom. Ceci dit, voilà un patronyme bien commode pour faire ressortir la laideur supposée du personnage.
La chanson n'a retenu qu'un aspect de la légende puisque c'est contre elle même que la malédiction se retourne et qu'elle se retrouve progressivement pétrifiée.
De la légende à la chanson il y a donc l'intervention d'un lettré qui savait adroitement tourner la chanson populaire. Nous lui devons plusieurs chansons rencontrées dans le répertoire d'interprètes de tradition orale collectés en Loire-Atlantique (3). Cette fréquence pose donc la question des modes de transmission des chansons folkloriques sinon traditionnelles. Que ces textes aient été popularisés par le truchement de l'école, des patronages et autres mouvements de jeunesse ne fait guère de doute. Il faut donc rester prudent devant certains textes qui nous paraissent tenir de la tradition et qui doivent plus à l'habileté ou au talent d'auteurs eux-même nourris du folklore local. Ce qui n'enlève rien à l'intérêt de ces chansons dont certaines méritent une écoute attentive.
La chanson originale comporte 16 couplets que nous vous délivrons en intégralité. L'interprétation est ici basée sur celle de M. Joseph Ruaud, du Dresny, qui n'en avait retenu qu'une partie. Le reste du texte figure en italique.

notes
1 - la femme de Loth transformée en statue de sel, qui est aussi un minéral.
2 - Perrine était servante chez monsieur le curé
3 – par exemple : le moulin de Saillé (N° 232 – janvier 2018) la prise de tabac (n°153 – mai 2016) mon parapluie (n° 143 – mars 2016)

interprète : Jean Ruaud, avec Dominique Juteau, Jean-Louis Auneau,, Francis Boissard
source : Chansons de Saillé, de François Thuard, curé de Saillé – volume 1, page 32 – publié en 1925
D'après la version chantée en 1988 par Joseph Ruaud, du Dresny (Plessé - 44) – les couplets en italique n'ont pas été chantés

C'est la fée Carabosse lon la
C'est la fée Carabosse
Qui n'est pas loin du Don, Ma di don ma don daine
Qui n'est pas loin du Don, Ma di don ma don don

En passant la rivière
E s'fit mal au talon

E ne marchait plus guère
Qu'avec un gros bâton

S'en fut chercher un remède
Chez l'pharmacien de R'don

Mais l'sapristi de remède
Lui durcit le talon

Il lui durcit la jambe
Et le corps jusqu'au menton

Il lui durcit le visage
la bouche, le nez et le front

E devint tout en pierre
De la tête au talon

Quand son père vint la voire
Y n'trouva qu'un perron

Mais la fée Carabosse
N'est pas mort' pour de bon

Elle a l'air d'une pierre
Mais elle est fée au fond

Le jour é ne bouge guère
Mais la nuit ses pieds vont

E va faire sa toilette
A l'étang du vallon

Et puis è saut' les buttes
On n'peut rien voir pu prompt

Zt quand le jour se lève
E se remet d'aplomb

Si vous voulez la voire
Allez dans le vallon

Pas loin d'une colline
Qui n'est pas loin du Don


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