La
morale de cette aventure résonne dans plusieurs chansons
traditionnelles : « ça ne se rend pas dit-elle, comme
de l'argent prêté ». Notre version, entendue en pays
d'Ancenis, se termine sur les moqueries du garçon avant qu'elle ne
conclue sur les regrets de la fille.
Que
regrette-elle si fort cette jeune personne ? Que pourrait bien
lui rendre le garçon ? Chaque chanson nous propose une
métaphore différente : anneau d'or, amourettes, innocence,
cœur en gage, cœur volage, avantage...que de rimes en « age » !
pour un mot que peu de chanteurs osent prononcer.
Pour
écouter la chanson et lire la suite :
La
perte de son pucelage est un désagrément souvent évoqué dans
l'ancienne société, particulièrement en milieu rural, où la
virginité conservée jusqu'au mariage constitue un bien précieux.
Oui, mais voilà, il suffit qu'un joyeux luron passe par là pour la
belle cède à la tentation. Dans cette catégorie des amants
suborneurs nous avons à faire à un charcutier. Mais la liste est
longue des chasseurs, terrassier, pâtissier, boulanger et autres
compagnons. Le plus fréquent est un garçon jardinier qui attire la
belle dans son jardin
Mangez
la pomme, mangez la poire
Si
c'est un chasseur, il l’entraîne dans les bois et va même jusqu'à
lui promettre, le petit malin, que son pucelage,
...
vous sera rendu
Là
bas sous ces feuillages
Peut
être ira-t-il jusqu'à lui proposer de s'allonger sur sa
« mantelle » (1). La scène du crime est bien plus
confortable dans notre version qui a pour cadre la chambre du
charcutier. Cette profession est souvent associée à des contextes
graveleux. Avec le charcutier qui propose son andouillette ou sa
saucisse à une cliente on atteint des sommets dans la métaphore
charcutière. Il se contente ici de se moquer de la fille en lui
proposant comme outil de restitution une poêle à châtaignes dont
le principe est justement d'être définitivement percée !
L'histoire
du pucelage qui ne se rend pas comme de l'argent prêté peut être
entendue dans plusieurs chansons-type différentes. Les situations
sont assez variables puisque le galant profite parfois d'une jeune
fille qui vient de perdre son amant pour se proposer de la consoler.
D'autres chansons sont bâties sur un thème semblable où, cette
fois, la fille séduite se plaint de voir son amant la quitter. C'est
le cas de la « Belle Françoise » qui finit par se jeter
dans la mer, de dépit. Curieusement, la version de cette chanson
publiée par Fernand Gueriff (2) utilise pour refrain, mais sur un
air différent :
buvons
nous en allons...
faut
boire et s'en aller
On
peut donc constater un certain cousinage entre toutes ces chansons,
même si au final le sort de la jeune fille n'est pas toujours aussi
triste. Il y en a même une (et une seule) où, sans doute pour
sauver la morale,
l'amant
promet :
Pleurez
pas tant la belle
Je
vous épouserai
Sur
cette fin heureuse, buvons, nous en allons et retrouvons nous après
les fêtes.
Cette
chanson a été enregistrée pour la première fois sur la cassette
audio « Tradition de veuze en pays nantais (Dastum et Sonneurs
de veuze – 1990) où elle était interprétée par son collecteur,
Pierre Guillard, avec Roland Brou et Roland Guillou.
Notes
1
– voir chanson de la semaine précédente. On a de la suite dans
les idées avec ce blog !
2
- trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande,
de F. Guériff, tome 1, page 125
interpète :
Nicolas Pinel, accompagné de Francis Boissard, Jean-Louis Auneau,
Dominique Juteau
source :
collecte de Pierre Guillard auprès de Baptiste Bourgeois, à Ligné
et Julien Verger, à Teillé
catalogue
P. Coirault : La
belle aux amourettes volées dedans le bois (Larcins II – N° 2209)
catalogue
C. Laforte :
L’occasion saisie (1-K-13)
Dans
la ville de Nantes, buvons, nous en allons (bis)
Y’avait
un boulanger, camarade il faut boire
Y’avait
un boulanger, faut boire et s’en aller
Pendant
que son four chauffe, buvons, nous en allons (bis)
S’en
va s’y promener, camarades il faut boire…
Dans
son chemin rencontre / La fille d’un charcutier
Où
allez-vous la belle / Si tôt en matinée
Je
vais chercher du poivre / Pour poivrer mes pâtés
Montez
donc dans ma chambre / Je vous en pèserai
Quand
elle fut dans la chambre / Elle se mit à pleurer
Qu’avez,
qu’avez la belle / Qu’a’vous à tant pleurer
Je
pleure mon avantage / Que vous m’avez volé
Ne
pleurez plus, la belle / Je vous le renderai
Dans
une poêle à châtaignes / Qui sera toute percée.
Ca ne se rend pas
dit-elle, / Comme de l'argent prêté.
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