samedi 22 décembre 2018

278 - Dans la ville de Nantes (Buvons nous en allons)


La morale de cette aventure résonne dans plusieurs chansons traditionnelles : « ça ne se rend pas dit-elle, comme de l'argent prêté ». Notre version, entendue en pays d'Ancenis, se termine sur les moqueries du garçon avant qu'elle ne conclue sur les regrets de la fille.
Que regrette-elle si fort cette jeune personne ? Que pourrait bien lui rendre le garçon ? Chaque chanson nous propose une métaphore différente : anneau d'or, amourettes, innocence, cœur en gage, cœur volage, avantage...que de rimes en « age » ! pour un mot que peu de chanteurs osent prononcer.
Pour écouter la chanson et lire la suite :

La perte de son pucelage est un désagrément souvent évoqué dans l'ancienne société, particulièrement en milieu rural, où la virginité conservée jusqu'au mariage constitue un bien précieux. Oui, mais voilà, il suffit qu'un joyeux luron passe par là pour la belle cède à la tentation. Dans cette catégorie des amants suborneurs nous avons à faire à un charcutier. Mais la liste est longue des chasseurs, terrassier, pâtissier, boulanger et autres compagnons. Le plus fréquent est un garçon jardinier qui attire la belle dans son jardin
Mangez la pomme, mangez la poire
Si c'est un chasseur, il l’entraîne dans les bois et va même jusqu'à lui promettre, le petit malin, que son pucelage,
... vous sera rendu
Là bas sous ces feuillages
Peut être ira-t-il jusqu'à lui proposer de s'allonger sur sa « mantelle » (1). La scène du crime est bien plus confortable dans notre version qui a pour cadre la chambre du charcutier. Cette profession est souvent associée à des contextes graveleux. Avec le charcutier qui propose son andouillette ou sa saucisse à une cliente on atteint des sommets dans la métaphore charcutière. Il se contente ici de se moquer de la fille en lui proposant comme outil de restitution une poêle à châtaignes dont le principe est justement d'être définitivement percée !
L'histoire du pucelage qui ne se rend pas comme de l'argent prêté peut être entendue dans plusieurs chansons-type différentes. Les situations sont assez variables puisque le galant profite parfois d'une jeune fille qui vient de perdre son amant pour se proposer de la consoler. D'autres chansons sont bâties sur un thème semblable où, cette fois, la fille séduite se plaint de voir son amant la quitter. C'est le cas de la « Belle Françoise » qui finit par se jeter dans la mer, de dépit. Curieusement, la version de cette chanson publiée par Fernand Gueriff (2) utilise pour refrain, mais sur un air différent :
buvons nous en allons...
faut boire et s'en aller
On peut donc constater un certain cousinage entre toutes ces chansons, même si au final le sort de la jeune fille n'est pas toujours aussi triste. Il y en a même une (et une seule) où, sans doute pour sauver la morale,
l'amant promet :
Pleurez pas tant la belle
Je vous épouserai
Sur cette fin heureuse, buvons, nous en allons et retrouvons nous après les fêtes.

Cette chanson a été enregistrée pour la première fois sur la cassette audio « Tradition de veuze en pays nantais (Dastum et Sonneurs de veuze – 1990) où elle était interprétée par son collecteur, Pierre Guillard, avec Roland Brou et Roland Guillou.

Notes
1 – voir chanson de la semaine précédente. On a de la suite dans les idées avec ce blog !
2 - trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande, de F. Guériff, tome 1, page 125

interpète : Nicolas Pinel, accompagné de Francis Boissard, Jean-Louis Auneau, Dominique Juteau
source : collecte de Pierre Guillard auprès de Baptiste Bourgeois, à Ligné et Julien Verger, à Teillé
catalogue P. Coirault : La belle aux amourettes volées dedans le bois (Larcins II – N° 2209)
catalogue C. Laforte : L’occasion saisie (1-K-13)


Dans la ville de Nantes, buvons, nous en allons (bis)
Y’avait un boulanger, camarade il faut boire
Y’avait un boulanger, faut boire et s’en aller

Pendant que son four chauffe, buvons, nous en allons (bis)
S’en va s’y promener, camarades il faut boire…

Dans son chemin rencontre / La fille d’un charcutier

Où allez-vous la belle / Si tôt en matinée

Je vais chercher du poivre / Pour poivrer mes pâtés

Montez donc dans ma chambre / Je vous en pèserai

Quand elle fut dans la chambre / Elle se mit à pleurer

Qu’avez, qu’avez la belle / Qu’a’vous à tant pleurer

Je pleure mon avantage / Que vous m’avez volé

Ne pleurez plus, la belle / Je vous le renderai

Dans une poêle à châtaignes / Qui sera toute percée.

Ca ne se rend pas dit-elle, / Comme de l'argent prêté.

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