samedi 1 décembre 2018

275 - Le crime de la Chapelle des Marais


Encore du sang à la une sur le blog de Dastum 44. Cette complainte criminelle est conforme aux canons du genre. Pourtant elle est intéressante pour plusieurs raisons. Tout d'abord elle illustre le travail d'un collecteur dans un territoire singulier : la Grande Brière, près de Saint Nazaire. Ensuite parce qu'elle est un bon exemple de ces chansons qui ont rapporté des faits divers à une époque où les média avaient une diffusion limitée. Enfin parce que son timbre a servi abondamment à tous les auteurs de chansons d'actualités pendant plus de 150 ans.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Guy Belliot est l'un des collecteurs les plus présents sur le territoire du département de Loire-Atlantique : près d'un millier d'enregistrements et cinq cent photographies, aujourd'hui versés dans la base Dastumedia. Ces témoignages se rapportent à une parcelle du territoire, la Grande Brière, qui a fait l'objet d'études et d'enregistrements dès que les moyens modernes l'ont permis (1). Les collectes de Guy Belliot ont débuté dans les années 70, à titre personnel et dans un cadre associatif (2).
Comme beaucoup d'événements similaires le crime de la Chapelle des Marais a donné lieu à la composition et à la diffusion d'une complainte criminelle. Revenons à l'affaire elle même : Le 15 août 1910 au village de Québtitre, sur cette commune de la Chapelle des Marais, le crime est découvert par des gens revenant de la messe. Les circonstances n'ayant pas posé trop de soucis aux enquêteurs, c'est sur les caractères opposés des protagonistes que s'attarde la complainte. La chanson a été composée début 1911, avant l'ouverture du procès. Voilà pourquoi les trois derniers couplets ne sont pas une conclusion de l'affaire mais un appel au châtiment du coupable. Pour une fois nous connaissons l'auteur du texte ; il s'appelle Louis Garnier. D'après les informations recueillies par Guy Belliot, l'assassin aurait finalement échappé à la déportation au bagne de Cayenne.
Le timbre de cette complainte ne vous est pas inconnu. C'est celui de Fualdès qui, depuis l'affaire intervenue en 1817, a servi à un si grand nombre de chansons qu'il est impossible de les recenser toutes. Comment expliquer le succès de ce timbre si ce n'est par le retentissement de l'affaire Fualdès ainsi que par la simplicité de la mélodie. Un spécialiste résume ainsi l'intérêt de cette pratique : « Le recours aux airs connus permet des économies : celle d'une notation musicale, coûteuse et risquée, mais plus encore, celle d'un effort d'apprentissage. Aucun temps ne se perd à explorer une nouvelle mélodie ; l'attention est d'avantage portée sur le récit »(3). L'air de la complainte de Fualdès était, à l'origine, l'adaptation d'une composition antérieure connue sous le titre « d'air du Maréchal de Saxe ». Sa popularité fut telle que non seulement il a servi de base aux relations des crimes tout au long du 19è siècle et jusqu'à la première guerre mondiale, mais aussi pour des chansons d'actualités, des pamphlets politiques, des chansons satiriques et autres faits divers. Seule la Paimpolaise depuis le début du 20è siècle a pu prendre le relais, en terme de fréquence, pour les chansons sur feuilles volantes.
Nous consacrons au travail de Guy Belliot un atelier « les chants du tiroir » samedi 8 décembre à la Chapelle des Marais(4). C'est une bonne façon de découvrir l’étonnant et foisonnant patrimoine oral de ce territoire.

notes
1 – par exemple ceux réalisés dès l'après guerre par les ATP chez les vanniers de Mayun.
2 – en tant qu'animateur de l'association « la Fouée de feu ».
3 – d'après jacques Cheyronnaud, dans « le fait divers », musée national des arts et traditions populaires, 1982
4 – en partenariat avec le Parc naturel régional de Brière (voir précisions dans la rubrique actualités)

interprète : Jean-Louis Auneau
source : collecte de Guy Belliot à la Chapelle des Marais – chanson diffusée sur feuille volante – auteur : Louis Garnier – sur l'air de Fualdès.

Horrible crime à la Chapelle des Marais
complainte à ce sujet – air : Fualdès

Écoutez la brève histoire
De ce triste assassinat
qui tout le monde étonna
Lorsqu'on apprit, c'est notoire
Que le nommé Jean Mahé
Venait d'être assassiné

L'auteur de ce crime atroce
Jean Guiheneuf c'est son nom
Avait un mauvais renom
Il était violent, féroce
Tout le monde le redoutait
A la Chapelle des Marais

Au service militaire
Il fut très mauvais soldat
Pour ce fait on le garda
Après sa classe dernière
Afin qu'il fit aussitôt
…(Près de six mois de rabiot)

La victime tout au contraire
Était partout estimée
Jamais Jean-François Mahé
Dans toute la Grande-Brière
Ne se faisait d'ennemis
Il n'avait que des amis

Les deux hommes se rencontrèrent
Puis s'offrirent mutuellement
A boire mais seulement
Trop de chopines ils vidèrent
Jean Mahé devenait gai
Mais l'autre réfléchissait

Tout à coup...(cherchant querelle)
Jean Guihéneuf prend son couteau
Et frappa tout aussitôt
Son compagnon à l'oreille
Puis dans la gorge lâchement
Il le planta tout sanglant

Il s'acharne, c'est atroce
A coups de talons de soulier
Le féroce meurtrier
Abusait de toute sa force
Car il voulait voir venir
(de Mahé le)...dernier soupir

Il retourna sa victime
Afin de mieux la voler
Ses poches il avait fouillées
Pour profiter de son crime
Puis il n'a aucun remords
Pas même devant la mort

Le lendemain la justice
Fit arrêter l'assassin
Qui fut conduit, c'est certain
Tout droit devant sa victime
Habilement interrogé
Il fut forcé d'avouer

Les juges sans défaillance
Prononceront le jugement
Jean Guiheneuf, ce garnement
Écoutera la sentence
Les jurés pour le punir
Le condamneront à mourir

C'est une peine infamante
De finir sur l'échafaud
Entre les mains du bourreau
Que cette fin épouvante
Pour une telle atrocité
La peine lui est méritée

Que ça serve de remontrance
A tous les mauvais sujets
Imbus que d'affreux projets
Ce qui déshonore la France
N'ayons pas pitié de ceux
Qui tuent comme Jean Guihéneuf


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire