samedi 8 décembre 2018

276 – Le miracle de Saint Nicolas


Ce miracle est une part de l'actualité de la semaine puisque nous venons tout juste de fêter la Saint Nicolas. Le saint n'a pas, dans nos régions, le rôle qui lui est attribué dans l'est de la France où il distribuait les cadeaux aux enfants avant que le père Noël ne lui pique sa place. La complainte n'en est pas moins présente dans nos traditions orales. Bien entendu cette histoire est très ancienne. Nicolas, évêque d'Anatolie (Turquie) a commencé à faire parler de lui au moyen-âge et sa popularité n'a cessé de croître dans les chansons traditionnelles
pour écouter la chanson et lire la suite :


Mais qui est donc ce Nicolas, super héros des chansons traditionnelles ? Car la complainte des enfants au saloir n'est pas le seul miracle qui lui soit attribué. On le retrouve encore une fois dans la chanson du nourrisson brûlé, le ramenant à la vie :
C’est la belle nourrice qui nourrissait Lisa...
...Dans son chemin rencontre le grand Saint Nicolas...
Il intervient aussi pour la fille changée en cane afin qu'elle échappe à ses tourmenteurs. Il sauve des marins de la noyade. Bref, ne nous étonnons pas si, en dehors des écoliers et des petits enfants, plusieurs corporations l'aient choisi comme saint patron : pêcheurs, marins et mariniers, voyageurs, prisonniers, avocats, tonneliers, kinés...et même des bouchers.
Cette légende de Saint Nicolas est très populaire. On y retrouve des thèmes récurrents dans les traditions contées ou chantées. Elle présente une similitude avec l'histoire de l'ogre et du petit Poucet, lui aussi avec ses frères, en danger d'être transformé en nourriture. L'attitude de la femme du boucher est identique à celle de la patronne de l'auberge rouge qui trucide les voyageurs pour leur argent. C'est elle qui emploie l'argument décisif dans le troisième couplet, nouvelle Eve entraînant son Adam de mari dans la voie du péché !
Remarquons au passage que dans plusieurs des miracles les personnages vont par trois : trois chevaliers, trois marins, trois écoliers. Mais puisqu'on parle de résurrection, les enfants vont aussi par trois dans la complainte où Jésus ressuscite leur mère.
L'histoire du miracle de Saint Nicolas remonte fort loin. De nombreux auteurs se sont penchés sur son exégèse : Doncieux, Davenson, Coirault... Nous vous laissons les consulter pour ne pas en rajouter (1).
Pour ce qui est de la version que nous vous proposons, elle se situe dans la moyenne de ce qu'on peut entendre ici et là. C'est à dire une chanson présente depuis fort longtemps dans la transmission populaire mais qui doit probablement autant à la tradition qu'à la diffusion littéraire. En effet, si on trouve de nombreuses variantes du texte, la musique est souvent identique. La responsabilité en revient à Gérard de Nerval qui fut le premier à en publier le texte en 1842, ou plutôt à Armand Gouzien, musicien qui en proposa immédiatement une harmonisation. Le succès de cette complainte diffusée sur feuille volante explique cette similitude entre les versions de toutes régions. C'est aussi Gouzien qui a transformé en refrain des deux premiers vers collectés par Nerval
Il était trois petits enfants,
Qui s'en allaient glaner aux champs.
Voilà encore une fois comment l'écrit a transformé l'oral, en retour. Car cette légende ne date pas d'hier. Nos chercheurs (voir plus haut) la situent au 17è siècle dans sa forme actuelle. Mais bien avant on en trouverait déjà trace dans un mystère moyenâgeux du 13è siècle. Le miracle est représenté dans plusieurs édifices religieux, par exemple sur un vitrail de la Cathédrale de Bourges. Puis il est imprimé dans « la grande bible des Noëls » publiée par Hernault à Angers en 1582 et ensuite dans la « grande bible des Noëls vieux et nouveaux de Nantes » éditée par Querro, à une date inconnue (2):
Saint Nicolas, vray escolier
qui des clercs avait quatre-vingts,
Trois il y en a de ses clergeons
qui sont frères et compagnons...
Quelle que soit son ancienneté, on peut encore chanter cette chanson aux enfants d'aujourd'hui ; il y a des textes comme celui là qui sont intemporels ; et puis si ça peut leur montrer qu'il n'y a pas que le père Noël des grandes surfaces qui s'intéresse à eux !

notes
1 – voyez, entre autres, cette analyse publiée sur Gallica, le site de la BnF
2 - cité par Martine David et Anne-Marie Delrieu : Aux sources des chansons populaires (Belin – 1984)

interprète :Jean Ruaud
source : chanson du répertoire de son père, Joseph Ruaud, du Dresny (44)
Catalogue P. Coirault : 8306 – St Nicolas et les enfants au saloir
Catalogue C. Laforte : II, B-16 – St Nicolas et ses trois clercs


Refrain
Il était trois petits enfants,
Qui s'en allaient glaner aux champs.

Tant sont allés tant sont venus
Que sur le soir se sont perdus
S'en sont allés chez un boucher :
« Boucher, voudrais-tu nous loger ? »

« Allez vous-en les garnements,
Nous avons trop d'empêchement. »
Mais sa femme qu'était derrière lui,
Bien vitement le gourmandit

«Assurément ils ont de l'argent,
Nous en serons riches d'autant.
Entrez, entrez, mes beaux enfants !
Y a de la place assurément

Ils n'étaient pas sitôt entrés,
Que le boucher les a tués,
Les a coupés en petits morceaux,
Mis au saloir comme pourceaux.

Saint Nicolas au bout de sept ans,
Vint à passer dedans ce champ.
Alla frapper chez le boucher :
« Boucher, voudrais-tu me loger ? »

« Entrez, entrez, Saint Nicolas !
Il y a de la place, il n'en manque pas. »
Il n'était pas sitôt entré,
Qu'il a commandé à souper.

« Voulez vous une tranche de jambon ? »
« Je n'en veux point, il n'est point bon. »
« Voulez-vous mieux une tranche de veau ? »
« Je n'en veux point, il n'est point beau. »

« Du petit salé je veux avoir,
Qu'y a sept ans qu'est dans le saloir. »
Quand le boucher entendit ça,
Hors de sa porte il s'enfuya.

« Boucher, boucher, ne t'enfuis pas !
Repens-toi, Dieu te pardonnera. »
Et le grand saint alla s'asseoir
Dessus le bord de ce saloir.

Et le saint étendit trois doigts
Les petits se lèvent tous les trois
Le premier dit : « J'ai bien dormi ! »
Le second dit : « Et moi aussi ! »
Et le troisième, le plus petit :
« Je croyais être au paradis ! »


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