On
ne présente plus cette marchande d'oranges et ses relations
délicates avec le fils d'un avocat. Ce thème fait partie des
chansons pour lesquelles on trouve le plus grand nombre de versions.
C'est particulièrement vrai dans toute la Haute-Bretagne, mais son
succès déborde largement le cadre de nos anciennes provinces. On va
jusqu'à en trouver des versions bilingues parmi les nombreuses
notées outre-Atlantique.
Celle
ci vient du répertoire d'un des grands interprètes auxquels Dastum
a consacré un CD : l'accordéoniste Jean Debeix, alias le Père
Jean (1).
pour
écouter la chanson et lire la suite :
Le
scénario de cette chanson est immuable jusqu'à la rencontre avec le
fils l'avocat. L'arbre est tant chargé d'oranges qu'il est plus que
temps de les cueillir et d'aller les vendre là où elles trouveront
preneur. Une belle métaphore dans une chanson qui n'en manque pas. A
elle seule elle aurait pu faire classer l'histoire parmi celles des
filles pressées de se marier. Malheureusement elle ne choisit pas le
bon prétendant. C'est un avocat, ou son fils plutôt, un godelureau
qui s'imagine qu'une situation de notable peut tout permettre. Il
aurait du savoir que la chanson traditionnelle se moque justement de
ces gens de loi et de leur arrogance. Mais il a de l'argent, c'est
celui de ses parents et la fille naïve se laisse convaincre :
« ma mère vous les paiera ».
A
partir de là plusieurs conclusions existent pour cette chanson :
-
La première, celle qui prévaut généralement, consiste à terminer
là cette aventure en laissant l'imagination de l'auditeur la
compléter. C'est le cas de notre version. Tout au plus quelques
couplets peuvent s'y ajouter pour constater que la fille s'est fait
avoir et qu'à défaut de mère au domicile du garçon on ne trouve :
...qu'un
vieux bonhomme
qui
allumait sa pipe avec la queue de son chat
-
La seconde issue détaille d'une façon plus réaliste la suite des
événements. Soyons clairs : ça se passe mal. Métaphore ou
pas, c'est pratiquement d'un viol qu'il s'agit. Le garçon obtient ce
qu'il veut de la fille qui s'inquiète des conséquences :
Tu
diras à ta mère « c'est le fis d'un avocat »
mais
la chanson n'en rapporte généralement que les séquelles:
Il
la serra si fort qu'il lui cassa un bras
On
sait ce que représente cette « fracture » qu'on retrouve
dans d'autres chansons ou une orange (tiens, tiens!) a cassé la
jambe de l'amoureuse. Faut-il y voir une tentative de morale du
genre : si tu fréquentes les mauvais garçons tu finiras en
cloque ?
-
La troisième fin est plus heureuse. Plus rusée qu'on ne
l'imaginait, la marchande d'oranges parvient à s'échapper :
Elle
saute par la fenêtre
Dans
la rue elle s'en va
et
n'oublie pas de nous confirmer toute la symbolique de l'acte
inachevé :
j'ai
sauvé mes oranges
Un
autre les aura
Après
la fille, l'orange est donc bien l'autre vedette de cette chanson. Ce
fruit était encore un produit de luxe dans nos campagnes, donné en
cadeau aux enfants pour Noël jusqu'au début du vingtième siècle.
Son utilisation dans la chanson est tantôt symbole de pureté ou de
virginité (la fleur d'oranger) tantôt celui de la fertilité, et
assez souvent la cause d'une grossesse non désirée. Que voilà un
beau sujet d'études ! Mais l'érudition n'est pas l'objet de
ces pages qui cherchent juste à vous donner envie de découvrir un
répertoire si riche et varié.
Aussi
en resterons nous là.
Si
ça vous a donné soif, allez vous presser une orange !
notes
1
– grands interprètes de Bretagne, volume 3, le Père Jean, sonneur
d'accordéon des pays de Redon et de la Mée (paru en 2008) – sur
ce CD la chanson est interprétée par sa fille. Le CD est en promo ;
profitez-en.
interprètes :
Jean Ruaud, Jean-Louis Auneau
source :
version chantée par Hélène Nevoux fille de l'accordéoniste Jean
Debeix (le père Jean)
catalogue
P. Coirault : 2205 – la marchande d'oranges chez l'avocat
catalogue
C. Laforte : I, H-01 – la fille aux oranges
Derrière
de chez mon père, draw, draw (x2)
Un
oranger l’y a lonlaine
Un
oranger l’y a lonla
Qui
amène tant d’oranges
Que
la branche en cassa
Elle
demande à son père
Quand
on les cueillira
A
la Saint-Jean ma fille
La
saison en sera
V’là
la Saint-Jean qu’arrive
Et
personne les cueilla
Elle
prit son échelette
La
[coubeille] à son bras
Elle
choisit les plus mûres
Les
vertes elle les laissa
Dans
son chemin rencontre
Le
fils d’un avocat
Où
allez-vous donc la belle ?
A
la foire à [Loyat]
Que
portez-vous la belle
Dans
ce petit panier là ?
Ah
ce sont des oranges
Que
j’y porte à [Loyat]
Vendez-moi
trois douzaines
Ma
mère vous les paiera
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire