vendredi 22 septembre 2017

216 – Cric-crac

Comme vous pourrez le lire par ailleurs, le CD-livret Dastum du pays de Châteaubriant est bien arrivé. Il a été fêté, chanté, arrosé (mais pas trop) dansé, conté...et n'attend plus que de rejoindre votre discothèque. Cette semaine encore nous resterons donc dans cette partie du département avec une chanson où l'on met carrément la main au panier.
Le titre que nous avons retenu est l'onomatopée qui sert de refrain. Le bois du lit qui craque suffit à résumer la situation. Pour une fois nous avons un refrain qui fait partie intégrante du développement de l'histoire et qui vient en renforcer le sens. Difficile de faire plus imagé !
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Quelle drôle de façon d'envisager l'hospitalité que de faire coucher un visiteur dans le lit de la fille aînée ! Certes, il faut imaginer que dans la société rurale d'il y a quelques siècles, les conditions de vie amenaient souvent tous les membres d'une famille à partager la même et unique pièce de vie et à dormir à plusieurs dans le même lit. Mais les gens de passage devaient en général se contenter d'une botte de paille dans l'étable. Qu'est ce qui vaut donc à notre marchand de paniers d'être accepté au sein de la famille ? Comme d'habitude c'est en cherchant d'autres versions de cette chanson qu'on peut en saisir les subtilités.
Il semble bien qu'à l'origine le personnage principal soit un moine ; et plus précisément un cordelier. Avoir à faire à un religieux donnerait l'explication de la confiance qui lui est accordée, mais à condition de prendre l'histoire au second degré. Car ces moines, qui portent une grosse corde en guise de ceinture de leur habit de bure, ont plutôt mauvaise réputation. Les contes et les chansons en parlent d'une façon satirique. On trouve donc des versions où le moine qui secouait sa robe pour la décrotter (1) se voit proposer de dormir au grenier, où il a peur des rats, près du foyer, où il craint d'être brûlé, dans le cellier, où il redoute d'être noyé, jusqu'à ce qu'on lui propose le lit de la fille aînée. Cette énumération se retrouve par exemple dans la chanson notée par Claude Pavec en pays guérandais (2). Quand les parents s'inquiètent de l'agitation et des rires de leur fille, le moine répond :
je lui apprend à dire son pater et son avé !
Mais dans notre chanson il n'est plus question de curé, ni de moine cordelier. Une première évolution de cette scène apparaît dans d'autres versions où le cordelier s'est transformé en cordonnier. Cette quasi homonymie évacue la satire de la religion en conservant le même argument puisque le visiteur répond cette fois :
j'apprends à votre fille à faire des souliers
y'en a un qu'est déjà fait et l'autre est commencé
quand je repasserai je le rachèverai
Avec les mêmes outils que j'ai commencé (3)
Changement de profession avec notre chanson : nous voici avec un marchand de paniers. On peut dire que la métaphore y est encore plus facile avec le double sens du mot panier. On trouve des versions analogues en particulier en Haute-Bretagne et en Poitou, avec ce refrain si spécifique et si réaliste qui nous donne à entendre les craquements du bois de lit. Plusieurs chanteurs ajoutent un dernier couplet :
Tout au bout de douze mois
L'on pourra recommencer
C'est le cas, entre autres, d'Alain Sébire, collecté au Sel de Bretagne par Charles Quimbert, ou de Mme Grimaud, chanteuse des Deux-Sèvres.
Il existe bien des variantes de cette chanson. Nous ne pouvons par toutes les recenser. Pour terminer voici un aperçu d'une version québécoise, reprise par plusieurs groupes folk (4). Elle explique le titre retenu par Conrad Laforte pour son catalogue de chansons types, « Le bonhomme mouillé à l’hôtel » :
C'était un beau page qui voulait naviguer
En faisant la traverse il s'était mouillé les pieds
il rentre dans une auberge c'est pour s'y faire sécher
Se réfugier des intempéries sert donc de prétexte au faiseur de paniers, car malgré son titre de page c'est encore par cette activité qu'il se signale :
je montre à votre fille à faire des petits paniers
les anses sont toutes faites, y'a plus qu'à les poser.

Notes
1 – tiens, ça ne vous rappelle rien ? Voyez donc la chanson du petit moine (n°115 – juin 2015)
2 – chanson reprise à la fois par Fernand Guériff et Armand Guéraud dans leurs ouvrages respectifs auxquels nous avons déjà fait référence
3 – extrait d'une chanson récoltée dans l'est de la France et publiée dans le tome 2 des recueils de chansons populaires d'E. Rolland (édité en 1883)
4 – Les Chauffeurs à pied, la Bottine souriante, le Diable dans la fourche...

Interprète : Barberine Blaise
source : Baptiste Bourgeois, enregistré le 12 juillet 1986 à Joué-sur-Erdre par Pierre Guillard
catalogue P. Coirault : Le moine mis à coucher avec la fille aînée II (Moines – N° 9303)
catalogue C. Laforte : Le bonhomme mouillé à l’hôtel (1-O-07)


C’était un p’tit bonhomme
Qui faisait de paniers (bis)
Allant de bourg en ville, demandant à loger

refrain
Cric-crac, j’entends l’bois du lit qui craque
Ohé, j’entends l’bois du lit craquer

Allant de bourg en ville
Demandant à loger (bis)
Une bonne dame charitable a dit : bonhomme, entrez

Une bonne dame charitable
A dit : bonhomme, entrez (bis)
Avec ma fille aînée, ce soir vous coucherez

Avec ma fille aînée
Ce soir vous coucherez (bis)
Vers les onze heures, minuit, s’entend le lit craquer

Vers les onze heures, minuit
S’entend le lit craquer (bis)
Que faites-vous, bonhomme, j’entends le lit craquer

Que faites-vous, bonhomme
J’entends le lit craquer (bis)
J’apprends à votre fille à faire des p’tits paniers

J’apprends à votre fille
A faire des p’tits paniers (bis)
Et au bout de trois mois l’panier s’ra commencé

Et au bout de trois mois
L’panier s’ra commencé (bis)
Et au bout de six mois l’panier s’ra terminé

Et au bout de six mois
L’panier s’ra terminé (bis)
Et au bout de neuf mois l’panier s’ra défoncé.


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