Comme vous pourrez le lire par
ailleurs, le CD-livret Dastum du pays de Châteaubriant est bien
arrivé. Il a été fêté, chanté, arrosé (mais pas trop) dansé,
conté...et n'attend plus que de rejoindre votre discothèque. Cette
semaine encore nous resterons donc dans cette partie du département
avec une chanson où l'on met carrément la main au panier.
Le titre que nous avons retenu est
l'onomatopée qui sert de refrain. Le bois du lit qui craque suffit à
résumer la situation. Pour une fois nous avons un refrain qui fait
partie intégrante du développement de l'histoire et qui vient en
renforcer le sens. Difficile de faire plus imagé !
Pour écouter la chanson et lire la
suite :
Quelle drôle de façon d'envisager
l'hospitalité que de faire coucher un visiteur dans le lit de la
fille aînée ! Certes, il faut imaginer que dans la société
rurale d'il y a quelques siècles, les conditions de vie amenaient
souvent tous les membres d'une famille à partager la même et unique
pièce de vie et à dormir à plusieurs dans le même lit. Mais les
gens de passage devaient en général se contenter d'une botte de
paille dans l'étable. Qu'est ce qui vaut donc à notre marchand de
paniers d'être accepté au sein de la famille ? Comme
d'habitude c'est en cherchant d'autres versions de cette chanson
qu'on peut en saisir les subtilités.
Il semble bien qu'à l'origine le
personnage principal soit un moine ; et plus précisément un
cordelier. Avoir à faire à un religieux donnerait l'explication de
la confiance qui lui est accordée, mais à condition de prendre
l'histoire au second degré. Car ces moines, qui portent une grosse
corde en guise de ceinture de leur habit de bure, ont plutôt
mauvaise réputation. Les contes et les chansons en parlent d'une
façon satirique. On trouve donc des versions où le moine qui
secouait sa robe pour la décrotter (1) se voit proposer de dormir au
grenier,
où il a peur des rats, près du foyer, où il craint d'être
brûlé, dans le cellier, où il redoute d'être noyé, jusqu'à ce
qu'on lui propose le lit de la fille aînée. Cette énumération se
retrouve par exemple dans la chanson notée par Claude Pavec en pays
guérandais (2). Quand les parents s'inquiètent de l'agitation et
des rires de leur fille, le moine répond :
je lui apprend à dire son pater et son avé !
Mais dans notre chanson il n'est plus
question de curé, ni de moine cordelier. Une première évolution de
cette scène apparaît dans d'autres versions où le cordelier s'est
transformé en cordonnier. Cette quasi homonymie évacue la satire de
la religion en conservant le même argument puisque le visiteur
répond cette fois :
j'apprends à votre fille à faire des souliers
y'en a un qu'est déjà fait et l'autre est commencé
quand je repasserai je le rachèverai
Avec les mêmes outils que j'ai commencé (3)
Changement de profession avec notre chanson : nous voici avec un
marchand de paniers. On peut dire que la métaphore y est encore plus
facile avec le double sens du mot panier. On trouve des versions
analogues en particulier en Haute-Bretagne et en Poitou, avec ce
refrain si spécifique et si réaliste qui nous donne à entendre les
craquements du bois de lit. Plusieurs chanteurs ajoutent un dernier
couplet :
Tout au bout de douze mois
L'on pourra recommencer
C'est le cas, entre autres, d'Alain Sébire, collecté au Sel de
Bretagne par Charles Quimbert, ou de Mme Grimaud, chanteuse des
Deux-Sèvres.
Il existe bien des variantes de cette chanson. Nous ne pouvons par
toutes les recenser. Pour terminer voici un aperçu d'une version
québécoise, reprise par plusieurs groupes folk (4). Elle explique
le titre retenu par Conrad Laforte pour son catalogue de chansons
types, « Le bonhomme mouillé à l’hôtel » :
C'était un beau page qui voulait naviguer
En faisant la traverse il s'était mouillé les pieds
En faisant la traverse il s'était mouillé les pieds
il rentre dans une auberge c'est pour s'y faire sécher
Se réfugier des intempéries sert donc de prétexte au faiseur de
paniers, car malgré son titre de page c'est encore par cette
activité qu'il se signale :
je montre à votre fille à faire des petits paniers
les anses sont toutes faites, y'a plus qu'à les poser.
Notes
1 – tiens, ça ne vous rappelle
rien ? Voyez donc la chanson du petit moine (n°115 – juin
2015)
2 – chanson reprise à la fois par
Fernand Guériff et Armand Guéraud dans leurs ouvrages respectifs
auxquels nous avons déjà fait référence
3 – extrait d'une chanson récoltée
dans l'est de la France et publiée dans le tome 2 des recueils de
chansons populaires d'E. Rolland (édité en 1883)
4 – Les Chauffeurs à pied, la
Bottine souriante, le Diable dans la fourche...
Interprète :
Barberine Blaise
source : Baptiste
Bourgeois, enregistré le 12 juillet 1986 à Joué-sur-Erdre par
Pierre Guillard
catalogue P. Coirault : Le
moine mis à coucher avec la fille aînée II (Moines – N° 9303)
catalogue C. Laforte : Le
bonhomme mouillé à l’hôtel (1-O-07)
C’était un p’tit bonhomme
Qui faisait de paniers (bis)
Allant de bourg en ville, demandant à
loger
refrain
Cric-crac, j’entends l’bois du lit
qui craque
Ohé, j’entends l’bois du lit
craquer
Allant de bourg en ville
Demandant à loger (bis)
Une bonne dame charitable a dit :
bonhomme, entrez
Une bonne dame charitable
A dit : bonhomme, entrez (bis)
Avec ma fille aînée, ce soir vous
coucherez
Avec ma fille aînée
Ce soir vous coucherez (bis)
Vers les onze heures, minuit, s’entend
le lit craquer
Vers les onze heures, minuit
S’entend le lit craquer (bis)
Que faites-vous, bonhomme, j’entends
le lit craquer
Que faites-vous, bonhomme
J’entends le lit craquer (bis)
J’apprends à votre fille à faire
des p’tits paniers
J’apprends à votre fille
A faire des p’tits paniers (bis)
Et au bout de trois mois l’panier
s’ra commencé
Et au bout de trois mois
L’panier s’ra commencé (bis)
Et au bout de six mois l’panier s’ra
terminé
Et au bout de six mois
L’panier s’ra terminé (bis)
Et au bout de neuf mois l’panier s’ra
défoncé.
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