La ville de Saint-Nazaire fête en ce
moment le centenaire de l'arrivée des troupes américaines en 1917.
Mais contrairement à une chanson des semaines précédentes, la
brune en question ne s'intéresse ni aux soldats ni aux capitaines.
Elle est amoureuse d'un marin. Pourtant c'est encore une différence
de classe qui rend cet amour impossible.
Cette chanson au thème peu courant est
principalement connue dans l'ouest. Plusieurs versions ont été
collectées en Loire-Atlantique et en Morbihan. Celle que nous vous
proposons vient des collectes de Fernand Guériff. Sa mélodie est
moins connue que celles déjà enregistrées sur disques (1).
pour lire la suite et écouter la
chanson :
Le propos de cette chanson ne justifie
guère le titre générique qui lui a été donné par Patrice
Coirault : « celle dont personne ne veut ». Si
la belle est repoussée c'est en raison de sa situation sociale
symbolisée par ses atours vestimentaires. A l'inverse de celle que
nous avons vue refuser un soldat pour choisir un capitaine, ici le
galant refuse le mariage avec une femme qui dépasse sa condition
sociale. Cette chanson fait écho à une autre où un prétendant
s'interroge sur le parti à prendre. S'il épouse la fille d'un riche
homme :
elle me dira de temps à autre
tu n'avais rien quand je t'ai pris
tu couchais ton dos sur la paille
et aujourd'hui dans un bon lit.
Il est en effet assez rare dans la
chanson de voir une jeune fille prendre l'initiative de la demande et
se faire rejeter. Il existe, certes, une chanson ou le petit
couturier refuse une fille quand bien même elle lui donnerait des
cent et des mille...pour regretter aussitôt son geste. Avec la brune
de Saint-Nazaire, il n'est pas question d'argent mais de signes
extérieurs de richesse qui se traduisent par des robes et des
dentelles qui ne sont pas l'ordinaire du milieu dont est originaire
le garçon. Le plus souvent celui ci fait partie du personnel
navigant, marin ou marinier, quand la chanson situe l'action à
Saint-Nazaire ou à Rochefort. Mais nous nous trouvons parfois en
présence de boulangers, de maçons ou de terrassiers dans des
versions moins maritimes.
Aux falbalas, rubans et frisons de la
demoiselle, symboles de luxe sinon de richesse (comme la montre
portée au coté) le garçon oppose systématiquement des attributs
salissants de son métier, comme pour mieux repousser la belle :
brouette, wagon, truelle et surtout le goudron qui sert à calfater
les bateaux.
La fille n'insiste pas et laisse
s'exprimer son dépit. Notre texte d'inspiration très maritime
ajoute des adieux aux îles lointaines et au port de Toulon. La
conclusion habituelle est celle de l'avant dernier couplet :
adieu mes qualités, ma beauté...puisqu'un marin m'a refusée, et :
adieu mes bien, adieu mes rentes
puisqu'au marin n'ai pu prétendre
la version donnée par Armand Guéraud
paraît même plus logique, disant :
puisqu'un marin n'y veut prétendre
Car c'est bien l'argent, la richesse et
le rang social qui sont l'argument principal. A cette résignation de
la belle, une seule version (2) oppose une tentative de négociation :
J'y vendrai toutes mes dentelles et
mes frisons
ce sera pour avoir le maçon...
mais sans plus de succès.
notes
1 – écoutez en particulier celles
enregistrées par Roland Brou (sur les CD : Trois garçons du
Lion d'or/ Roquio / Anthologie de la chanson française vol. 15) ou
Charles Quimbert (CD : j'entends la seraine) reprenant une
mélodie d'André Drumel.
2 – dans les chansons populaires de
l'Anjou, de François Simon (1926) – texte faisant référence aux
villes de Jallais et Loiré (Maine et Loire)
interprète : Hugo Aribart
source : Fernand Guériff,
Le trésor des chansons folkloriques populaires recueillies au pays
de Guérande, volume I, page 189 - informateur : Mme Thobie, à
Piriac (44), en 1953
catalogue P. Coirault :
Celle dont personne ne veut (02810)
A Saint-Nazaire y’a t’une brune
Qui voudrait bien faire sa fortune
Elle voudrait bien s’y marier
Avec un garçon marinier
Elle s’en va chez madame l’hôtesse
(bis)
N’y a-t-il pas marin ici
Ah, je voudrais parler avec lui
Il est là-haut dedans la chambre
Allez, vous parlerez ensemble
Il est là-haut dessus son lit
Allez, vous parlerez à lui
Oh, d’un bonjour, votre servante
A toi, marin, je viens me rendre
Je suis venue te demander
Si tu voulais te marier
Vous êtes un peu trop magnifique
Pour moi, marin qui n’est pas riche
Vous portez robes et falbalas
Cela surpasse mon état
Vous portez encore autre chose
J’en suis surpris, j’en suis morose
Vous portez dentelles et rubans
Cela dépasse la raison
Vous portez encore autre chose
J’en suis surpris, j’en suis morose
Vous portez la montre au côté
Cela surpasse mon métier
Adieu mes biens, adieu mes rentes
Puisqu’au marin n’ai pu prétendre
Adieu les îles où je suis née
Puisqu’un marin m’a refusée
Adieu les îles de l’Amérique
La Guadeloupe, la Martinique
Adieu la belle ville de Toulon
Où j’ai si bien passé mon temps.
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