vendredi 9 juin 2017

204 - Dessus le sable de la mer

Dessus le sable de la mer n'a rien d'une chanson maritime. Malgré la saison estivale qui approche elle n'est pas non plus une incitation au farniente sur la plage. Nous sommes aujourd'hui dans une aventure aux accents moyenâgeux où une fille en fâcheuse posture se voit proposer un mariage arrangé avec un soldat. Loin de se laisser faire elle réclame un capitaine plus en accord avec son rang social supposé.
Notre chanson vient du pays de la Mée. Dans la forme où elle a été collectée elle est assez rare ; Peu courante dans nos archives ce qui ne veut pas dire qu'on ne la trouve pas ailleurs et, surtout, son thème a fait l'objet de nombreuses variations. Si la jeune fille suit parfois les soldats de son plein gré, il est question ici de l'enlèvement de Margot.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Normands, anglais, hollandais...les soldats qui ont passé et repassé sur nos côtes au cours des siècles sont peut être à l'origine de cette aventure. Ils ne sont pas privés d'enlever des jeunes filles (1). Mais ce début romancé n'est pas le plus fréquent pour cette chanson. Quelles que soient les circonstances, l'argument principal tient dans le débat entre la jeune fille et ceux qui veulent la marier. Ses prétentions vont plutôt vers un capitaine qu'un simple soldat. Une question de rang à tenir semble-t-il. Par « demoiselle » il faut comprendre personne d'un certain rang par opposition à fille du peuple. Comme nous allons le voir, c'est souvent la richesse qui est mise en avant par la belle pour justifier son statut social. Ici, c'est surtout le lignage qui semble se dégager des derniers couplets assez énigmatiques. Questions de droit d’aînesse ou d'héritage ? Opposition entre noblesse et bourgeoisie ? La réponse est incertaine, d'autant que cet argument n’apparaît pas dans les autres sources les plus proches de celle ci (2).
Dans de nombreuses autres versions cette histoire de belle qui veut épouser un capitaine débute tout autrement. Un personnage qui n’apparaît pas dans notre chanson y est omniprésent : le fils du roi. On peut les regrouper en deux catégories. D'abord celles qui débutent justement par :
le fils du roi s'est endormi
C'est quand il se réveille que ça tourne mal : conquête d'une ville (les fils de roi ont généralement l'esprit batailleur) dans laquelle il ne trouve rien qu'une jolie fille qu'il veut absolument marier au meilleur de ses soldats. C'est une obsession. Refus de la belle rebelle, choix d'un capitaine récusé car elle n'est pas « demoiselle »...on connaît désormais la suite. Mais ce qui est plus intéressant c'est que la jeune fille se justifie par la richesse supposée de ses parents :
Mon père a bien cinq cent moutons dont je suis la bergère
...cinq cent moulins dont je suis la meunière
...cinq cent maisons dont je suis l'héritière
...cinq cents poulains dont je suis l’écuyère
Même si ça tourne parfois au comique involontaire :
...cinq cent écus dont je suis l'écuyère (mais si!)
Une certaine ironie paraît aussi dans les professions des parents :
...mon père est marchand de cochons ma mère de pommes cuites
...mon père est riche marchand il vend des allumettes
...ma mère vend des rubans ma sœur de la dentelle
...mon père vend des sabots et ma mère des écuelles
La formule du fils du roi endormi semble particulièrement prisée dans le pays de Loudéac, où, avec divers refrains, elle sert à faire danser le rond. Ailleurs le texte situe parfois l'action entre la rivière et le bois ou entre Paris et la Rochelle.
Mais revenons à nos moutons, justement. L'autre grand classique de ce thème débute par la formule :
Mon père avait cinq cent moutons...
Le fils du roi m'en enleva quatre
Encore lui ! Et le voilà qui utilise les moutons kidnappés comme monnaie d'échange. Mais pas plus que les autres la belle ne se laisse fléchir. On peut garder des moutons et être malgré tout une « demoiselle » ; non mais qu'est ce que c'est que ce mépris pour les éleveurs d'ovins !
Attention, ne confondons pas cette version, malgré son accroche moutonnière avec la chanson où un galant rapporte des moutons égarés à la belle en réclamant une récompense. Vous connaissez la réponse.
Quand les moutons seront tondus vous en aurez de la laine
ce qui n'est pas exactement ce que l'amant lourdaud espérait. Mais dans cette histoire de bergère il n'est plus question de capitaine. Le propos est donc complètement différent.

Notes
1 – et même des garçons. Pour exemple, l'origine du thème « Auprès de ma blonde » est attribuée (à tort ou à raison) à un sieur Joubert du Collet, enlevé à Noirmoutier par des hollandais.
2 - Par exemple dans celle publiée par Lucien Decombe (chansons populaires recueillies dans le département d'Ille et Vilaine – Rennes 1884) quasiment identique sauf les derniers couplets.

interprètes : Liliane Berthe, avec Janig Juteau et Martine Lehuédé
source : Aurélie Renaud – collecte de Pierre Guillard à Nozay le 3 juillet 1991
catalogue P. Coirault : Je veux un capitaine (Bergères et rois - N° 03804)
catalogue C. Laforte : La belle veut marier un capitaine (1-N–19)


Dessus le sable de la mer (bis)
Oh la digueda
Ou les soldats y passent - là
Oh la digueda
Ou les soldats y passent

Ont tant passé et repassé
Margot ont enlevée

Quand elle fut cent lieues sur l'eau
Je suis fille perdue

Fille perdue vous n'êtes point
Vous êtes fille mariée

Avec un de nos soldats
Le plus beau de l'armée

De vos soldats je n'en veux point
Je veux le capitaine

Le capitaine vous n'aurez point
Vous n'êtes point demoiselle

Si demoiselle je ne suis point
J'ai bien moyen de l'être

Si mon petit frère était mort
Je serais demoiselle

Je porterais les jupons blancs
La coiffure en dentelle


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire