Dessus le sable de la mer n'a rien
d'une chanson maritime. Malgré la saison estivale qui approche elle
n'est pas non plus une incitation au farniente sur la plage. Nous
sommes aujourd'hui dans une aventure aux accents moyenâgeux où une
fille en fâcheuse posture se voit proposer un mariage arrangé avec
un soldat. Loin de se laisser faire elle réclame un capitaine plus
en accord avec son rang social supposé.
Notre chanson vient du pays de la Mée.
Dans la forme où elle a été collectée elle est assez rare ;
Peu courante dans nos archives ce qui ne veut pas dire qu'on ne la
trouve pas ailleurs et, surtout, son thème a fait l'objet de
nombreuses variations. Si la jeune fille suit parfois les soldats de
son plein gré, il est question ici de l'enlèvement de Margot.
Pour écouter la chanson et lire la
suite :
Normands, anglais, hollandais...les
soldats qui ont passé et repassé sur nos côtes au cours des
siècles sont peut être à l'origine de cette aventure. Ils ne sont
pas privés d'enlever des jeunes filles (1). Mais ce début romancé
n'est pas le plus fréquent pour cette chanson. Quelles que soient
les circonstances, l'argument principal tient dans le débat entre la
jeune fille et ceux qui veulent la marier. Ses prétentions vont
plutôt vers un capitaine qu'un simple soldat. Une question de rang à
tenir semble-t-il. Par « demoiselle » il faut comprendre
personne d'un certain rang par opposition à fille du peuple. Comme
nous allons le voir, c'est souvent la richesse qui est mise en avant
par la belle pour justifier son statut social. Ici, c'est surtout le
lignage qui semble se dégager des derniers couplets assez
énigmatiques. Questions de droit d’aînesse ou d'héritage ?
Opposition entre noblesse et bourgeoisie ? La réponse est
incertaine, d'autant que cet argument n’apparaît pas dans les
autres sources les plus proches de celle ci (2).
Dans de nombreuses autres versions
cette histoire de belle qui veut épouser un capitaine débute tout
autrement. Un personnage qui n’apparaît pas dans notre chanson y
est omniprésent : le fils du roi. On peut les regrouper en deux
catégories. D'abord celles qui débutent justement par :
le fils du roi s'est endormi
C'est quand il se réveille que ça
tourne mal : conquête d'une ville (les fils de roi ont
généralement l'esprit batailleur) dans laquelle il ne trouve rien
qu'une jolie fille qu'il veut absolument marier au meilleur de ses
soldats. C'est une obsession. Refus de la belle rebelle, choix d'un
capitaine récusé car elle n'est pas « demoiselle »...on
connaît désormais la suite. Mais ce qui est plus intéressant c'est
que la jeune fille se justifie par la richesse supposée de ses
parents :
Mon père a bien cinq cent moutons
dont je suis la bergère
...cinq cent moulins dont je suis la
meunière
...cinq cent maisons dont je suis
l'héritière
...cinq cents poulains dont je suis
l’écuyère
Même si ça tourne parfois au comique
involontaire :
...cinq cent écus dont je suis
l'écuyère (mais si!)
Une certaine ironie
paraît aussi dans les professions des parents :
...mon père est marchand de cochons
ma mère de pommes cuites
...mon père est riche marchand il
vend des allumettes
...ma mère vend des rubans ma sœur
de la dentelle
...mon père vend des sabots et ma
mère des écuelles
La formule du fils
du roi endormi semble particulièrement prisée dans le pays de
Loudéac, où, avec divers refrains, elle sert à faire danser le
rond. Ailleurs le texte situe parfois l'action entre la rivière
et le bois ou entre Paris et la Rochelle.
Mais revenons à nos moutons,
justement. L'autre grand classique de ce thème débute par la
formule :
Mon père avait cinq cent moutons...
Le fils du roi m'en enleva quatre
Encore lui ! Et le voilà qui
utilise les moutons kidnappés comme monnaie d'échange. Mais pas
plus que les autres la belle ne se laisse fléchir. On peut garder
des moutons et être malgré tout une « demoiselle » ;
non mais qu'est ce que c'est que ce mépris pour les éleveurs
d'ovins !
Attention, ne confondons pas cette
version, malgré son accroche moutonnière avec la chanson où un
galant rapporte des moutons égarés à la belle en réclamant une
récompense. Vous connaissez la réponse.
Quand les moutons seront tondus vous
en aurez de la laine
ce qui n'est pas exactement ce que
l'amant lourdaud espérait. Mais dans cette histoire de bergère il
n'est plus question de capitaine. Le propos est donc complètement
différent.
Notes
1 – et même des garçons. Pour
exemple, l'origine du thème « Auprès de ma blonde » est
attribuée (à tort ou à raison) à un sieur Joubert du Collet,
enlevé à Noirmoutier par des hollandais.
2 - Par exemple dans celle publiée par
Lucien Decombe (chansons populaires recueillies dans le département
d'Ille et Vilaine – Rennes 1884) quasiment identique sauf les
derniers couplets.
interprètes : Liliane
Berthe, avec Janig Juteau et Martine Lehuédé
source : Aurélie Renaud –
collecte de Pierre Guillard à Nozay le 3 juillet 1991
catalogue P. Coirault : Je
veux un capitaine (Bergères et rois - N° 03804)
catalogue C. Laforte : La
belle veut marier un capitaine (1-N–19)
Dessus le sable de la mer (bis)
Oh la digueda
Ou les soldats y passent - là
Oh la digueda
Ou les soldats y passent
Ont tant passé et repassé
Margot ont enlevée
Quand elle fut cent lieues sur l'eau
Je suis fille perdue
Fille perdue vous n'êtes point
Vous êtes fille mariée
Avec un de nos soldats
Le plus beau de l'armée
De vos soldats je n'en veux point
Je veux le capitaine
Le capitaine vous n'aurez point
Vous n'êtes point demoiselle
Si demoiselle je ne suis point
J'ai bien moyen de l'être
Si mon petit frère était mort
Je serais demoiselle
Je porterais les jupons blancs
La coiffure en dentelle
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