vendredi 28 avril 2017

198 - Je me suis marié

Après plusieurs semaines passées à vous conter les mauvais cotés du mariage d'un point de vue féminin, il aurait été bien injuste de ne pas rechercher une forme de parité. Voici donc les mésaventures d'un mal marié. N'en concluez pas trop vite qu'il s'agit là des lamentations d'un pauvre gars tyrannisé par sa femme. Tout nous porte à croire que cette chanson fait aussi partie de ces textes qui tournent en dérision le coté bancal de certains mariages et qui sont plutôt un argument utilisé par des femmes. Celle ci force le trait pour nous montrer un couple où – selon l'expression consacrée – c'est madame qui porte la culotte. C'est donc plutôt une chanson pour faire rire que pour faire pleurer sur le sort d'un mari battu.
pour écouter la chanson et lire la suite :


Nous sommes allés chercher cette chanson hors de nos limites habituelles. Les limites administratives n'ont aucun sens pour les chansons traditionnelles , mais cette fois notre source est située de l'autre coté de la Vilaine, en face de la Roche-Bernard, en Morbihan. Comme souvent dans ce secteur, c'est à Hervé Dréan que nous devons la collecte de cette chanson (1).
Plutôt rare, ce texte n'est pas répertorié dans les catalogues de la chanson française. Mais on lui connaît des cousinages, en particulier dans les territoires francophones d'outre-Atlantique. Un exemple ? Voici une chanson provenant de l'ouvrage de Marius Barbeau « le roi boit » qui débute de la même façon (2):
Je me suis marié
J'en ai du regret dans l'âme...
Les couplets ont une structure similaire utilisant des vers de six et huit pieds. Ils n'ont pas tout à fait le même nombre de vers et n'alternent pas rimes féminines et masculines de la même façon. Mais les aventures du pauvre mari sont identiques : regret de s'être laissé dominer, femme qui fréquente les cabarets, travaux ménagers assumés par l'homme et comportement violent de la mégère ! Cette chanson mérite bien le titre donné par Conrad Laforte : La femme qui porte les culottes.
Robert Bouthiller en signale aussi une version enregistrée en Louisiane par Alan Lomax (3).
Cette tradition de chansons de maris dominés par leur épouse s'est perpétuée jusque dans la variété. L’archétype en est le grand succès de Georges Milton, dans les années 30, « c'est pour mon papa » :
Papa ne rouspète pas, c'est lui qui fait l'repas
Il r'çoit les livraisons et balaie la maison
Vous ne vous en souvenez plus ? Vous n'étiez pas nés ? Nous non plus, en fait ; Et pour en revenir à notre chanson, il est difficile de savoir d'où elle vient exactement et de quand elle date. Certaines expressions se retrouvent dans d'autres chansons, comme par exemple le dernier couplet. Il nous renvoie à celle de la femme du bambocheur qui va chercher son mari dans les tavernes. Mais ici point de bamboche, c'est le simple fait d'aller boire un coup avec les copains qui déclenche les reproches habituels :
Tu mang'ras tout mon bien...
Mes enfants n'auront rien...
Cette chanson fait donc partie de celles plaignant le sort des « maumariés ». Mais si on les compare à leurs équivalents féminins dont nous avons déjà donné des exemples, on se situe pratiquement dans un rapport de un à dix. La rareté ne fait pas seule l'intérêt de cette chanson. Mais si vous osez l'entonner, messieurs, on vous garantit un certain succès.

Notes
1 – à découvririci, si vous ne le connaissez pas encore 
2 – Le roi boit, de Marius Barbeau – édition : musées nationaux du Canada 1987 – chanson page 327 collectée par Edouard-Zotique Massicotte
3 – précisions données sur le récent double CD de Robert Bouthillier, Temporel/Intemporel (CD audio + CDrom) représentant ses collectes. A découvrir ici et à commander ici

Interprète : Daniel Lehuédé
source : Anne Marie Keribèche à Marzan (56) enregistrée en juin et septembre 1980 par Hervé Dréan – publié dans « instants de mémoire » volume 3, page 73

je me suis marié
Grand Dieu, je n'ai pas d'veine
Ma femme est enragée
Je suis dans la déveine
Il aurait mieux valu pour vous
De vous mettre la corde au cou
Mon brave gentilhomme
Que de vous plonger
Dans la plus grande misère
C'est de vous marier

Le lendemain matin
Tout brillant au travail
Le soir quand je t'arrive
Esquinté de l'ouvrage
Mes vaches ne sont pas tirées
Mes cochons n'sont pas soignés
Mes enfants qui font qu'pleurer
Tandis que madame
Est sur son lit couchée
Disant qu'elle est malade
Il me faut la soigner

Tiens voilà ton souper
Ton bouillon sur la table
La soupe réchauffée
Du bon pain de ménage
Madame prépare le ragoût
Monsieur, ça n's'ra pas pour vous
Du bon pain d'la salade
Du bon vin de Bordeaux
Et toi mon pauvre diable
Tu n'boiras que de l'eau

Quand le dimanche arrive
Tout comme à l'ordinaire
S'en va t' au cabaret
Avec ses confrères
Et madame bien décidée
Elle commence par m'insulter
Me traitant d'imbécile
Tu mang'ras tout mon bien
Caressant la chopine
Mes enfants n'auront rien


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