Après plusieurs
semaines passées à vous conter les mauvais cotés du mariage d'un
point de vue féminin, il aurait été bien injuste de ne pas
rechercher une forme de parité. Voici donc les mésaventures d'un
mal marié. N'en concluez pas trop vite qu'il s'agit là des
lamentations d'un pauvre gars tyrannisé par sa femme. Tout nous
porte à croire que cette chanson fait aussi partie de ces textes qui
tournent en dérision le coté bancal de certains mariages et qui
sont plutôt un argument utilisé par des femmes. Celle ci force le
trait pour nous montrer un couple où – selon l'expression
consacrée – c'est madame qui porte la culotte. C'est donc plutôt
une chanson pour faire rire que pour faire pleurer sur le sort d'un
mari battu.
pour écouter la
chanson et lire la suite :
Nous sommes allés
chercher cette chanson hors de nos limites habituelles. Les limites
administratives n'ont aucun sens pour les chansons traditionnelles ,
mais cette fois notre source est située de l'autre coté de la
Vilaine, en face de la Roche-Bernard, en Morbihan. Comme souvent dans
ce secteur, c'est à Hervé Dréan que nous devons la collecte de
cette chanson (1).
Plutôt rare, ce
texte n'est pas répertorié dans les catalogues de la chanson
française. Mais on lui connaît des cousinages, en particulier dans
les territoires francophones d'outre-Atlantique. Un exemple ?
Voici une chanson provenant de l'ouvrage de Marius Barbeau « le
roi boit » qui débute de la même façon (2):
Je me suis marié
J'en ai du regret
dans l'âme...
Les couplets ont une
structure similaire utilisant des vers de six et huit pieds. Ils
n'ont pas tout à fait le même nombre de vers et n'alternent pas
rimes féminines et masculines de la même façon. Mais les aventures
du pauvre mari sont identiques : regret de s'être laissé
dominer, femme qui fréquente les cabarets, travaux ménagers assumés
par l'homme et comportement violent de la mégère ! Cette
chanson mérite bien le titre donné par Conrad Laforte : La
femme qui porte les culottes.
Robert Bouthiller en
signale aussi une version enregistrée en Louisiane par Alan Lomax
(3).
Cette tradition de
chansons de maris dominés par leur épouse s'est perpétuée jusque
dans la variété. L’archétype en est le grand succès de Georges
Milton, dans les années 30, « c'est pour mon papa » :
Papa ne rouspète
pas, c'est lui qui fait l'repas
Il r'çoit les
livraisons et balaie la maison
Vous ne vous en
souvenez plus ? Vous n'étiez pas nés ? Nous non plus, en
fait ; Et pour en revenir à notre chanson, il est difficile de
savoir d'où elle vient exactement et de quand elle date. Certaines
expressions se retrouvent dans d'autres chansons, comme par exemple
le dernier couplet. Il nous renvoie à celle de la femme du
bambocheur qui va chercher son mari dans les tavernes. Mais ici point
de bamboche, c'est le simple fait d'aller boire un coup avec les
copains qui déclenche les reproches habituels :
Tu mang'ras tout
mon bien...
Mes enfants
n'auront rien...
Cette chanson fait
donc partie de celles plaignant le sort des « maumariés ».
Mais si on les compare à leurs équivalents féminins dont nous
avons déjà donné des exemples, on se situe pratiquement dans un
rapport de un à dix. La rareté ne fait pas seule l'intérêt de
cette chanson. Mais si vous osez l'entonner, messieurs, on vous
garantit un certain succès.
Notes
1 – à découvririci, si vous ne le connaissez pas encore
2 – Le roi boit,
de Marius Barbeau – édition : musées nationaux du Canada
1987 – chanson page 327 collectée par Edouard-Zotique Massicotte
3 – précisions
données sur le récent double CD de Robert Bouthillier,
Temporel/Intemporel (CD audio + CDrom) représentant ses
collectes. A découvrir ici et à commander ici
Interprète :
Daniel Lehuédé
source :
Anne Marie Keribèche à Marzan (56) enregistrée en juin et
septembre 1980 par Hervé Dréan – publié dans « instants
de mémoire » volume 3, page 73
je me suis marié
Grand Dieu, je n'ai
pas d'veine
Ma femme est enragée
Je suis dans la
déveine
Il aurait mieux valu
pour vous
De vous mettre la
corde au cou
Mon brave
gentilhomme
Que de vous plonger
Dans la plus grande
misère
C'est de vous marier
Le lendemain matin
Tout brillant au
travail
Le soir quand je
t'arrive
Esquinté de
l'ouvrage
Mes vaches ne sont
pas tirées
Mes cochons n'sont
pas soignés
Mes enfants qui font
qu'pleurer
Tandis que madame
Est sur son lit
couchée
Disant qu'elle est
malade
Il me faut la
soigner
Tiens voilà ton
souper
Ton bouillon sur la
table
La soupe réchauffée
Du bon pain de
ménage
Madame prépare le
ragoût
Monsieur, ça n's'ra
pas pour vous
Du bon pain d'la
salade
Du bon vin de
Bordeaux
Et toi mon pauvre
diable
Tu n'boiras que de
l'eau
Quand le dimanche
arrive
Tout comme à
l'ordinaire
S'en va t' au
cabaret
Avec ses confrères
Et madame bien
décidée
Elle commence par
m'insulter
Me traitant
d'imbécile
Tu mang'ras tout mon
bien
Caressant la chopine
Mes enfants n'auront
rien
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