vendredi 14 avril 2017

196 - Mon père n’avait que moi de fille

Les semaines se suivent et ne se ressemblent pas ; Les chansons et les filles non plus. Nous passons de celle qui était pressée de se marier à celle qui le regrette. Il faut dire que nous avons là le résultat d'un de ces mariages arrangés dans l'intérêt des parents plutôt que dans celui de la fille. Mariage d'argent ou mariage d'amour ? La chanson permet de se moquer de situations sans doute trop fréquentes en revalorisant les sentiments par rapport à la richesse.
Cette chanson, pas si courante dans la tradition, fait partie des petits trésors découverts par Jean Tricoire dans le pays de Chateaubriant. L'original, enregistré dans les années 60, n'étant pas de suffisamment bonne qualité pour être inclus dans le CD en préparation (1), nous avons choisi de le réinterpréter pour vous.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Parmi le grand nombre de chansons de maumariées (mal mariées) il en existe une ribambelle qui se plaignent de la trop grande différence d'âge. Dans une société où l'espérance de vie était bien inférieure à la nôtre, le terme vieillard ne désigne pas forcément un élément du troisième âge. Du point de vue de la jeune fille, cette vieillesse se compare surtout aux jeunes amoureux auxquels elle aurait pu prétendre. D'ailleurs, loin de se résigner, la maumariée s'ingénie souvent à faire cocu son vieux mari. Celle ci quitte carrément le domicile conjugal pour aller s'offrir à son amant.
Le point de départ de toute l'affaire c'est que l'argent n'est pas un remède au mal d'amour. Si la chanteuse croit bon de préciser que le vieux bonhomme n'est pas à son gré, l'argument principal de cette chanson c'est qu'il n'entend pas le jeu d'aimer. C'est ainsi que débutent souvent les doléances dans les autres versions connues. Car si nous avons à faire à un texte peu courant, d'autres collectages ont permis de retrouver des détails qui précisent un peu la situation. Nous compléterons donc cette histoire avec les textes notés en pays guérandais par Guériff, ainsi qu'en d'autres régions (2).
Il dort, il ronfle et la réveille au point du jour. Dans la chanson notée à Guérande la belle répond :
Comment voulez vous que je m'y lève
Je suis pucelle auprès de vous
Elle le quitte donc pour retrouver son jeune amant du temps passé à qui elle offre son cœur (cœur volage ou pucelage) après un simulacre d'enchères inversées dont le montant descend très rapidement. Cette transaction est plus facile à comprendre dans l'une des versions notées par Achille Millien :
J'en ai refusé cinq cent mille
A vous je le laisse pour cinq sous
Ce n'est donc pas, comme ici, l'amant qui marchande mais bien la fille qui rejette la richesse du vieux mari pour les sentiments de celui qui connaît bien le jeu d'aimer.
Moins prude que la version castelbriantaise, l'une de ces chansons nivernaises ajoute ce couplet qui fait intervenir directement l'amant :
Moi qui étais garçon bon drôle
oh je la prends je la renverse
et l'embrasse cinq ou six coups
Embrassons nous encore un coup
voilà le jeu d'amour
Et le mot de la fin est pour la chanteuse collectée par François Redhon dans le nord de la Mayenne (3) :
Ton cher époux serait jaloux
S'il est jaloux il sera coucou et moi je m'en fous

Notes
1 – dans la collection « Bretagne des pays » éditée par Dastum – sortie prévue mi septembre 2017
2 – Fernand Guériff, T.1 page 154, collecte de Gustave Clétiez – pour le Nivernais : Millien T.3 page 240 – pour l'Anjou et la Mayenne, collectes de F. Simon et F. Redhon
3 – Ecoutez gens de la Mayenne – édition Mayenne culture / Aedam musicae 2016 – page 181, chanson de Mme Duval, de Champéon

interprète : Janig Juteau
source: Mélanie Létang de Soudan (44) enregistrée le 4 février 1964 par Jean Tricoire
catalogue P. Coirault : L’épouse du vieillard qui offre son pucelage à son ami (Maumariées aux vieillards – N° 05720)

Mon père n’avait que moi de fille

Mon père n’avait que moi de fille
Encore veut-il m’y marier
Avec un vieillard bonhomme
Qui n’est point du tout à mon gré
C’est bien la vérité

Toutes les nuits il dort, il ronfle
Et moi je ne fais que pleurer
Encore vient-il me dire
Belle, levez-vous, car il est jour
Voici le point du jour

La belle fit tous ses bagages
Et chez son père, elle s’en alla
Dans son chemin rencontre
Son bel amant du temps passé
Qu’son cœur avait tant aimé

Où allez-vous ma jeune dame
Où allez-vous avant le jour ?
Je vas, répondit-elle
Mon cœur à vendre, mon bel amant, le voulez-vous
Me l’achèteriez-vous ?

A une autre j’en donn’rais cinq cent mille
Mais à vous j’n’en donn’rais pas cinq sous
Car ça n’est pas grand-chose
De cinq à quatre, de quatre à trois, de trois à deux, de deux à un

De un à rien du tout.

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