vendredi 17 mars 2017

192 - Les marins de Redon

Cette chanson des marins de Redon est une déclinaison tout à fait locale d'un thème connu dans toute la francophonie et même au delà. C'est l'histoire d'une jeune fille qui échappe, par la ruse, aux visées de messieurs trop entreprenants. Ses péripéties vont nous entraîner jusqu'au plus profond du moyen-âge, mais son déroulement fait écho à des préoccupations bien actuelles. En ce sens elle pourrait être considérée comme un hymne à la tolérance.
Nous devons ce texte à M. Félix Aoustin, de Saint Joachim, en Brière, par l'intermédiaire de Raphael Garcia. A ce propos, Dastum 44 consacre prochainement un atelier « chants du tiroir » (1) à la découverte des collectes de R. Garcia. Notez la date du 28 mars sur votre agenda.
Mais revenons à notre chanson de la semaine. Sous son aspect assez simple elle recèle des détails qui méritent quelques explications.
pour lire la suite et écouter la chanson :


Toutes les occurrences de la chanson mettant en scène les marins de Redon et la belle sarrasine proviennent d'une aire géographique limitée : Saint Nazaire, Saint Joachim, La Baule, Assérac...Mais le thème en lui même est beaucoup plus répandu. A l'origine il s'agit d'une jeune fille qui veut « passer le bois », se rend compte que celui ou ceux qui se sont proposés n'ont pas que des intentions honnêtes et s'invente des parents infréquentables pour pouvoir s'échapper. Une fois sortie du bois elle se moque de la sottise des messieurs en dévoilant qu'elle est la fille du plus riche bourgeois de la ville, quand ce n'est pas un prince ou un roi.
On trouve très souvent cette chanson associée au refrain
Sommes nous dans la rive du bois
La première version imprimée de cette histoire serait d'origine normande (2). Mais parmi les formes les plus anciennes nous retrouvons celles notées en Provence ou en Italie (3). La jeune fille y déclare textuellement que son père est un lépreux et qu'elle même vit dans la léproserie ; que si on touche un seul de ses cheveux la contamination est inévitable. La réaction du cavalier qui l'avait prise en selle est immédiate. Il la descend de son cheval. Et, malgré l'offre d'une forte somme, la conclusion de la belle est à chaque fois identique,  :
quan l'on la ten / fau plumar la gallino
qui dans toutes les verions en français se traduit par
Il fallait plumer la perdrix / Tandis qu’elle était prise
Toutes les (nombreuses) versions de cette chanson suivent le même schéma. Mais avec le temps la lèpre a disparu du paysage et d'autres motifs sont utilisés. La maladie est encore bien présente dans la plupart des cas. Même quand la fille se déclare de parents pauvres savetiers ou boulangers, remplis de maladie. On retrouve là, dans l'ancien temps, deux des professions avec la plus faible espérance de vie due à des conditions de travail déplorables qui les rendent sujets aux maladies pulmonaires. Elle se déclare parfois fille du bourreau, profession infréquentable s'il en est et en rapport direct avec la mort. Ces aventures se déroulent aussi sur mer, comme dans la chanson que vous venez d'écouter.
Nous voici donc maintenant embarqués avec une fille qui n'a pas demandé à passer le bois ; sa situation est celle d'un enlèvement par des marins. Et à notre connaissance être sarrasine ne peut être assimilé à une maladie (4). Cependant, dans certaines versions, comme celle chantée par Constance Crusson, on trouve ce vers :
sortez de notre vaisseau, vous nous feriez périr
La version recueillie par Armand Guéraud (malheureusement sans indication d'origine) fait aussi référence à la maladie. Mais à l'inverse c'est le refrain qui semble solliciter de la sarrasine :
belle ne voudrais tu pas guérir / un amant qui s'en va mourir
Se pourrait-il qu'une survivance de l'idée de maladie soit contenue dans l'appartenance à une communauté ? Dans la période allant du moyen-âge à la révolution cette idée était fort répandue et associée à une partie de la population vivant en marge des cités : les cagots. Ces familles qui n'avaient que peu de contacts avec le reste de la population et exerçaient des métiers particuliers étaient réputés pour être propagateurs de la lèpre. Cette partie occultée de l'histoire de France, trop complexe pour être développée ici, concernait essentiellement le sud ouest de la France (5). Mais d'après les historiens l'origine des cagots n'a rien à voir avec la présence de sarrasins au moyen-âge mais serait une survivance d'invasions antérieures (Goths = Cagots). Bref, cela ne nous apprend rien sur l'origine de la chanson.
Il nous reste à déterminer pourquoi les exploits de « l'embarquement de la fille du bourgeois » sont attribués dans cette région en particulier aux marins de Redon. Ce qui est d'autant plus étrange c'est de trouver près de Redon, à Saint Congard, dans les collectes de Louisette Radioyes, une chanson identique qui met en scène les marins de Toulon !
La présence de sarrasins dans les chansons traditionnelles est plus fréquente dans les régions proches de la méditerranée. On pense en particulier à cette histoire de jeune épouse enlevée par les sarrasins connue sous le titre de « l'escrivette ». Mais sous nos latitudes le terme sarrasin fait plutôt référence aux galettes !
Alors ? Pourquoi Redon ? Pourquoi une sarrasine ? Pourquoi une maladie disparue reste-t-elle si présente dans les traditions et l'inconscient collectif ? Comment cette chanson a-t-elle fait souche sur notre territoire ?
A moins que vous n'ayez la réponse à toutes ces questions, contentons nous de savourer cette histoire qui est un véritable plaidoyer contre l'exclusion, plus efficace que tous les discours.

notes
1 – pour rappel les « chants du tiroir » sont des séances de découvertes des chansons du terroir pour les faire sortir des tiroirs où elles ne doivent pas rester enfermées. Une sorte de conférence chantée, qui aura donc lieu mardi 28 mars à 17h15 aux archives départementales , 6 rue de Bouillé à Nantes. (sur inscriptions. Soyez à l'heure !)
2 – manuscrit de Bayeux ? je suis la fille d'un mezeau (lépreux)de cela vous advise
3 – plusieurs versions similaires chez Damase Arbaud (Provence) et Constantino Nigra (Piémont italien)
4 – quoique, à entendre d'autre genre de Marine on pourrait parfois en douter.
5 – un article wikipédia signale tout de même l'existence de cagots en Bretagne, nommés cacous ou caqueux et spécialisés dans les occupations de cordiers et tonneliers.

interprète : Daniel Lehuédé
source : Félix Aoustin, de Saint-Joachim (Loire-Atlantique) – collecte de Raphaël Garcia, en mai 1991
catalogue Coirault : Le passage du bois (Occasions manquées - N° 01907)
catalogue C. Laforte : L’embarquement de la fille du bourgeois (I, K-06)

Les marins de Redon

Ce sont les marins de Redon, monti monta falalira
Ce sont les marins de Redon qui ont pris une ville
Qui ont pris t’une pris ville, monti monta lirelire

Mais ils n’ont rien trouvé dedans, monti monta…
Mais ils n’ont rien trouvé dedans qu’une tant jolie fille
Qu’une tant jolie fille…

Ils l’ont prise, ils l’ont emmenée / A bord de leur navire

Et là ils lui ont demandé / A qui êtes-vous, fille

Je suis la fille d’un sarrasin / Ma mère est sarrasine

Si vous êtes fille d’un sarrasin / Sortez de mon navire

Mais quand la belle fut dehors / Elle se mit à rire

Belle qu’avez-vous à sourier / Belle, qu’avez-vous à rire

Je ris de toi mais pas de moi / Je ris de ta sottise

Je suis la fille d’un riche marchand / Le plus riche de la ville

Si vous êtes fille d’un riche marchand / Montez dans mon navire

Il fallait plumer la perdrix / Tandis qu’elle était prise

Mais maintenant qu’elle est au vol / Faut la laisser partir.


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