Cette chanson des
marins de Redon est une déclinaison tout à fait locale d'un thème
connu dans toute la francophonie et même au delà. C'est l'histoire
d'une jeune fille qui échappe, par la ruse, aux visées de messieurs
trop entreprenants. Ses péripéties vont nous entraîner jusqu'au
plus profond du moyen-âge, mais son déroulement fait écho à des
préoccupations bien actuelles. En ce sens elle pourrait être
considérée comme un hymne à la tolérance.
Nous devons ce texte
à M. Félix Aoustin, de Saint Joachim, en Brière, par
l'intermédiaire de Raphael Garcia. A ce propos, Dastum 44 consacre
prochainement un atelier « chants du tiroir » (1) à la
découverte des collectes de R. Garcia. Notez la date du 28 mars sur
votre agenda.
Mais revenons à
notre chanson de la semaine. Sous son aspect assez simple elle recèle
des détails qui méritent quelques explications.
pour lire la suite
et écouter la chanson :
Toutes les
occurrences de la chanson mettant en scène les marins de Redon et la
belle sarrasine proviennent d'une aire géographique limitée :
Saint Nazaire, Saint Joachim, La Baule, Assérac...Mais le thème en
lui même est beaucoup plus répandu. A l'origine il s'agit d'une
jeune fille qui veut « passer le bois », se rend compte
que celui ou ceux qui se sont proposés n'ont pas que des intentions
honnêtes et s'invente des parents infréquentables pour pouvoir
s'échapper. Une fois sortie du bois elle se moque de la sottise des
messieurs en dévoilant qu'elle est la fille du plus riche bourgeois
de la ville, quand ce n'est pas un prince ou un roi.
On trouve très
souvent cette chanson associée au refrain
Sommes nous dans
la rive du bois
La première version
imprimée de cette histoire serait d'origine normande (2). Mais parmi
les formes les plus anciennes nous retrouvons celles notées en
Provence ou en Italie (3). La jeune fille y déclare textuellement
que son père est un lépreux et qu'elle même vit dans la
léproserie ; que si on touche un seul de ses cheveux la
contamination est inévitable. La réaction du cavalier qui l'avait
prise en selle est immédiate. Il la descend de son cheval. Et,
malgré l'offre d'une forte somme, la conclusion de la belle est à
chaque fois identique, :
quan l'on la ten
/ fau plumar la gallino
qui dans toutes les
verions en français se traduit par
Il fallait plumer
la perdrix / Tandis qu’elle était prise
Toutes les
(nombreuses) versions de cette chanson suivent le même schéma. Mais
avec le temps la lèpre a disparu du paysage et d'autres motifs sont
utilisés. La maladie est encore bien présente dans la plupart des
cas. Même quand la fille se déclare de parents pauvres savetiers
ou boulangers, remplis de maladie. On retrouve là, dans l'ancien
temps, deux des professions avec la plus faible espérance de vie due
à des conditions de travail déplorables qui les rendent sujets aux
maladies pulmonaires. Elle se déclare parfois fille du bourreau,
profession infréquentable s'il en est et en rapport direct avec la
mort. Ces aventures se déroulent aussi sur mer, comme dans la
chanson que vous venez d'écouter.
Nous voici donc
maintenant embarqués avec une fille qui n'a pas demandé à passer
le bois ; sa situation est celle d'un enlèvement par des
marins. Et à notre connaissance être sarrasine ne peut être
assimilé à une maladie (4). Cependant, dans certaines versions,
comme celle chantée par Constance Crusson, on trouve ce vers :
sortez de notre
vaisseau, vous nous feriez périr
La version
recueillie par Armand Guéraud (malheureusement sans indication
d'origine) fait aussi référence à la maladie. Mais à l'inverse
c'est le refrain qui semble solliciter de la sarrasine :
belle ne voudrais
tu pas guérir / un amant qui s'en va mourir
Se pourrait-il
qu'une survivance de l'idée de maladie soit contenue dans
l'appartenance à une communauté ? Dans la période allant du
moyen-âge à la révolution cette idée était fort répandue et
associée à une partie de la population vivant en marge des cités :
les cagots. Ces familles qui n'avaient que peu de contacts avec le
reste de la population et exerçaient des métiers particuliers
étaient réputés pour être propagateurs de la lèpre. Cette partie
occultée de l'histoire de France, trop complexe pour être
développée ici, concernait essentiellement le sud ouest de la
France (5). Mais d'après les historiens l'origine des cagots n'a
rien à voir avec la présence de sarrasins au moyen-âge mais serait
une survivance d'invasions antérieures (Goths = Cagots). Bref, cela
ne nous apprend rien sur l'origine de la chanson.
Il nous reste à
déterminer pourquoi les exploits de « l'embarquement de la
fille du bourgeois » sont attribués dans cette région en
particulier aux marins de Redon. Ce qui est d'autant plus étrange
c'est de trouver près de Redon, à Saint Congard, dans les collectes
de Louisette Radioyes, une chanson identique qui met en scène les
marins de Toulon !
La
présence de sarrasins dans les chansons traditionnelles est plus
fréquente dans les régions proches de la méditerranée. On pense
en particulier à cette histoire de jeune épouse enlevée par les
sarrasins connue sous le titre de « l'escrivette ». Mais
sous nos latitudes le terme sarrasin fait plutôt référence aux
galettes !
Alors ?
Pourquoi Redon ? Pourquoi une sarrasine ? Pourquoi une
maladie disparue reste-t-elle si présente dans les traditions et
l'inconscient collectif ? Comment cette chanson a-t-elle fait
souche sur notre territoire ?
A
moins que vous n'ayez la réponse à toutes ces questions, contentons
nous de savourer cette histoire qui est un véritable plaidoyer
contre l'exclusion, plus efficace que tous les discours.
notes
1 – pour rappel
les « chants du tiroir » sont des séances de découvertes
des chansons du terroir pour les faire sortir des tiroirs où elles
ne doivent pas rester enfermées. Une sorte de conférence chantée,
qui aura donc lieu mardi 28 mars à 17h15 aux archives
départementales , 6 rue de Bouillé à Nantes. (sur inscriptions.
Soyez à l'heure !)
2 – manuscrit de
Bayeux ? je suis la fille d'un mezeau (lépreux)de
cela vous advise
3 – plusieurs
versions similaires chez Damase Arbaud (Provence) et Constantino
Nigra (Piémont italien)
4 – quoique, à
entendre d'autre genre de Marine on pourrait parfois en douter.
5 – un article
wikipédia signale tout de même l'existence de cagots en Bretagne,
nommés cacous ou caqueux et spécialisés dans les occupations de
cordiers et tonneliers.
interprète :
Daniel Lehuédé
source
: Félix Aoustin, de Saint-Joachim (Loire-Atlantique) –
collecte de Raphaël Garcia, en mai 1991
catalogue
Coirault : Le passage du bois (Occasions manquées - N°
01907)
catalogue C.
Laforte : L’embarquement de la fille du bourgeois (I,
K-06)
Les marins de Redon
Ce sont les marins
de Redon, monti monta falalira
Ce sont les marins
de Redon qui ont pris une ville
Qui ont pris t’une
pris ville, monti monta lirelire
Mais ils n’ont
rien trouvé dedans, monti monta…
Mais ils n’ont
rien trouvé dedans qu’une tant jolie fille
Qu’une tant jolie
fille…
Ils l’ont prise,
ils l’ont emmenée / A bord de leur navire
Et là ils lui ont
demandé / A qui êtes-vous, fille
Je suis la fille
d’un sarrasin / Ma mère est sarrasine
Si vous êtes fille
d’un sarrasin / Sortez de mon navire
Mais quand la belle
fut dehors / Elle se mit à rire
Belle qu’avez-vous
à sourier / Belle, qu’avez-vous à rire
Je ris de toi mais
pas de moi / Je ris de ta sottise
Je suis la fille
d’un riche marchand / Le plus riche de la ville
Si vous êtes fille
d’un riche marchand / Montez dans mon navire
Il fallait plumer la
perdrix / Tandis qu’elle était prise
Mais maintenant
qu’elle est au vol / Faut la laisser partir.
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