On voit régulièrement dans la presse
des articles consacrés à des sauveteurs qui n'ont pas hésité à
se jeter à l'eau pour secourir une personne qui allait se noyer.
Ceux là sont totalement désintéressés et méritent bien leur
moment de gloire dans les feuilles de choux locales. En revanche,
ceux qui s'occupent de notre fille au cresson marchandent leurs
services à la belle qui est en train de couler. Pas étonnant
qu'elle se venge en leur « chantant une chanson ». Ces
trois personnages sont décrits comme des barons c'est à dire de
petits nobles qui n'hésitent pas à abuser du peuple et en
particulier des filles. On pourrait presque entendre en écho dans
cette description un « j'aime pas la noblesse ». La fille
au cresson est un tube de la chanson traditionnelle ;
certainement l'une des plus interprétées et collectées en toutes
régions.
Pour écouter la chanson et lire la
suite :
Le statut de ces godelureaux paraît
bien dévalorisé aux yeux de la jeune fille qui leur préfère son
mignon, souvent dépeint comme un homme de guerre avec du poil au
menton, symbole de virilité. En tout cas son « cœur en gage »
n'est pas pour un baron ou un de ses synonymes trouvés dans les
variantes de cette chanson pour les besoins de la rime :
poltron, cochon...
Voilà pour les considérations au
premier degré. Et maintenant posons quelques questions indiscrètes :
Qu'allait-elle faire à la fontaine ?
Cueillir du cresson, ou du jonc, remplir son cruchon, pêcher du
poisson...tout ceci n'est qu'accessoire. Dans les chansons, la
fontaine est un lieu symbolique. Image de la pureté de l'eau qui
coule, c'est aussi bien une source dans la nature, une construction
urbaine, ou même le bord d'une rivière. C'est surtout un lieu de
rencontre. Certes, les jeunes filles y vont puiser de l'eau pour un
usage quotidien. Mais que vont y faire les barons si ce n'est voir
les filles ?
Comment est-elle tombée au fond ?
Le cresson pousse-t-il si profond qu'il soit risqué de le cueillir.
On est encore là dans le second degré. Cette chute est probablement
le symbole du risque encouru à entretenir des relations amoureuses
avec des inconnus. Mais notre jeune fille est rusée et sait se
sortir du mauvais pas. Elle s'en tire avec une chanson. Parfois la
moquerie va plus loin. Dans des versions notées en Mayenne ou en
Poitou on trouve cette réponse à la demande du petit cœur volage :
des petits cœurs volages nous vous
en fricasserons
dans une poêle à châtaignes ou dans un vieux chaudron (1)
dans une poêle à châtaignes ou dans un vieux chaudron (1)
Un mot, pour finir, sur les refrains
qui accompagnent cette chanson. On en a retrouvé tant qu'ils
présentent des versions très différentes. Par exemple :
Comme ici, une quantité de laridon
/ faridon dondaine / gai ma don don / fa la ridaine ma dondon / delin
delon delaine / digue digue dondaine / rititon leriton
Une bonne dose de verdin verdillon
verdillette, verduron verdurette et
autres lenturlurette lenturluron
Quelques refrains en rouli roulons
roulette
Parmi les plus littéraires, ceux qui
font référence à la situation :
Les cannes de mon père dans les
marais s'en vont
Coupant taillant la fougère
Fontaine la lalira fontaine la jolie
Ceux qui n'ont rien à voir mais sont
parfois liés à l'usage de la chanson :
Gué gué la bouteille au bon garçon
Buvons nous en allons
Un petit tour de vielle, de violon
et un qui nous renvoie à une chanson
précédente :
Tant dormir belle n'est pas bon
Reste une catégorie de refrains
relevés par les collecteurs du 19ème siècle exprimant des opinions
politiques divergentes, preuve que la chanson elle même était alors
en plein succès :
Vive la république, vive la nation
A bas les royalistes, vive Napoléon
Vive le roi la reine vive le roi
Bourbon
C'est tout pour aujourd'hui, sauf si
vous en connaissez d'autres...
note
1 – chansons traditionnelles
recueillies dans la Mayenne par François Redhon (1983) réédité et
complété en 2016 sous le titre « Ecoutez gens de la Mayenne »
(Mayenne culture/éditions Aedam musicae). La chanson se trouve page
128.
interprète : Daniel
Lehuédé
source : Jean Rivalant, de
Saillé, en Guérande (Loire-Atlantique) collectage de Francine
Lancelot le 4 mai 1974
catalogue P. Coirault : La
fille au cresson (Eau – N° 01722)
catalogue C. Laforte : La
fille au cresson (I, H-04)
Quand j’étais chez mon père (la fille au cresson)
Quand j’étais chez mon père,
ridondon ridondaine
Petite à la maison, ridondaine daine
Petite à la maison, ridondon
M’envoie t’à la fontaine, ridondon
ridondaine
Pour cueillir du cresson, ridondaine
daine…
La fontaine est profonde, j’y tombe
tout du long
Par le chemin passent trois chevaliers
barons
Que donnerez-vous belle pour vous tirer
du fond
Tirez, tirez, dit-elle, après ça nous
verrons
Quand la belle fut tirée, s’en fut à
la maison
S’en fut à sa fenêtre, compose une
chanson
Ce n’est pas ça la belle que nous
vous demandons
C’est votre cœur en gage, savoir si
nous l’aurons
Mon petit cœur en gage n’est pas
pour un baron
Mais pour mon ami Pierre, pour Pierre
mon mignon.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire