vendredi 24 février 2017

189 - La fille au cresson

On voit régulièrement dans la presse des articles consacrés à des sauveteurs qui n'ont pas hésité à se jeter à l'eau pour secourir une personne qui allait se noyer. Ceux là sont totalement désintéressés et méritent bien leur moment de gloire dans les feuilles de choux locales. En revanche, ceux qui s'occupent de notre fille au cresson marchandent leurs services à la belle qui est en train de couler. Pas étonnant qu'elle se venge en leur « chantant une chanson ». Ces trois personnages sont décrits comme des barons c'est à dire de petits nobles qui n'hésitent pas à abuser du peuple et en particulier des filles. On pourrait presque entendre en écho dans cette description un « j'aime pas la noblesse ». La fille au cresson est un tube de la chanson traditionnelle ; certainement l'une des plus interprétées et collectées en toutes régions.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Le statut de ces godelureaux paraît bien dévalorisé aux yeux de la jeune fille qui leur préfère son mignon, souvent dépeint comme un homme de guerre avec du poil au menton, symbole de virilité. En tout cas son « cœur en gage » n'est pas pour un baron ou un de ses synonymes trouvés dans les variantes de cette chanson pour les besoins de la rime : poltron, cochon...
Voilà pour les considérations au premier degré. Et maintenant posons quelques questions indiscrètes :
Qu'allait-elle faire à la fontaine ? Cueillir du cresson, ou du jonc, remplir son cruchon, pêcher du poisson...tout ceci n'est qu'accessoire. Dans les chansons, la fontaine est un lieu symbolique. Image de la pureté de l'eau qui coule, c'est aussi bien une source dans la nature, une construction urbaine, ou même le bord d'une rivière. C'est surtout un lieu de rencontre. Certes, les jeunes filles y vont puiser de l'eau pour un usage quotidien. Mais que vont y faire les barons si ce n'est voir les filles ?
Comment est-elle tombée au fond ? Le cresson pousse-t-il si profond qu'il soit risqué de le cueillir. On est encore là dans le second degré. Cette chute est probablement le symbole du risque encouru à entretenir des relations amoureuses avec des inconnus. Mais notre jeune fille est rusée et sait se sortir du mauvais pas. Elle s'en tire avec une chanson. Parfois la moquerie va plus loin. Dans des versions notées en Mayenne ou en Poitou on trouve cette réponse à la demande du petit cœur volage :
des petits cœurs volages nous vous en fricasserons
dans une poêle à châtaignes ou dans un vieux chaudron
(1)
Un mot, pour finir, sur les refrains qui accompagnent cette chanson. On en a retrouvé tant qu'ils présentent des versions très différentes. Par exemple :
Comme ici, une quantité de laridon / faridon dondaine / gai ma don don / fa la ridaine ma dondon / delin delon delaine / digue digue dondaine / rititon leriton
Une bonne dose de verdin verdillon verdillette, verduron verdurette et autres lenturlurette lenturluron
Quelques refrains en rouli roulons roulette
Parmi les plus littéraires, ceux qui font référence à la situation :
Les cannes de mon père dans les marais s'en vont
Coupant taillant la fougère
Fontaine la lalira fontaine la jolie
Ceux qui n'ont rien à voir mais sont parfois liés à l'usage de la chanson :
Gué gué la bouteille au bon garçon
Buvons nous en allons
Un petit tour de vielle, de violon
et un qui nous renvoie à une chanson précédente :
Tant dormir belle n'est pas bon
Reste une catégorie de refrains relevés par les collecteurs du 19ème siècle exprimant des opinions politiques divergentes, preuve que la chanson elle même était alors en plein succès :
Vive la république, vive la nation
A bas les royalistes, vive Napoléon
Vive le roi la reine vive le roi Bourbon
C'est tout pour aujourd'hui, sauf si vous en connaissez d'autres...

note
1 – chansons traditionnelles recueillies dans la Mayenne par François Redhon (1983) réédité et complété en 2016 sous le titre « Ecoutez gens de la Mayenne » (Mayenne culture/éditions Aedam musicae). La chanson se trouve page 128.

interprète : Daniel Lehuédé
source : Jean Rivalant, de Saillé, en Guérande (Loire-Atlantique) collectage de Francine Lancelot le 4 mai 1974
catalogue P. Coirault : La fille au cresson (Eau – N° 01722)
catalogue C. Laforte : La fille au cresson (I, H-04)

Quand j’étais chez mon père (la fille au cresson)

Quand j’étais chez mon père, ridondon ridondaine
Petite à la maison, ridondaine daine
Petite à la maison, ridondon

M’envoie t’à la fontaine, ridondon ridondaine
Pour cueillir du cresson, ridondaine daine…

La fontaine est profonde, j’y tombe tout du long

Par le chemin passent trois chevaliers barons

Que donnerez-vous belle pour vous tirer du fond

Tirez, tirez, dit-elle, après ça nous verrons

Quand la belle fut tirée, s’en fut à la maison

S’en fut à sa fenêtre, compose une chanson

Ce n’est pas ça la belle que nous vous demandons

C’est votre cœur en gage, savoir si nous l’aurons

Mon petit cœur en gage n’est pas pour un baron

Mais pour mon ami Pierre, pour Pierre mon mignon.


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