Les
gens qui sont jeunes pourquoi dorment-ils ? Ce refrain fait
étrangement écho à celui chanté par le coq sur le pont (1). Ah si
seulement elle avait vu son ami, la fin de la chanson aurait été
tout autre ; encore une occasion manquée !
Il
lui a mis une rose dans la main. Nous laisserons aux spécialistes du
langage des fleurs et des relations amoureuses le soin de décoder ce
geste. Nous nous contenterons de relever dans cette chanson un autre
détail, vestimentaire, qui peut passer aujourd'hui pour
anachronique.
Pour
écouter la chanson et lire la suite :
Cette
chanson a été collectée au dix neuvième siècle dans le Pays de
Retz. Connue et répertoriée à cette époque dans à peu près
toute la francophonie, elle est, en revanche, peu présente dans les
collectes plus récentes. On peut y voir deux explications :
1
- Elle présente des traits caractéristiques d'une période révolue.
Ce n'est pas tant l'attitude de l'amoureux qui n'ose pas éveiller sa
belle. Aujourd'hui il hésiterait moins, quitte à se prendre une
baffe. Mais là n'est pas l'essentiel. La belle éveillée reconnaît
son ami grâce à la description de son vêtement :
Il
a l’habit vert, les parements gris
Cette
phrase nous reporte à une époque où le vêtement était coloré.
Des fresques anciennes aux tableaux de la renaissance, il ne manque
pas d'illustrations pour le rappeler. L'habit vert ne semble connu
que dans notre région ; ailleurs le galant porte plus
fréquemment :
Les
bas rouges et un pourpoint gris...
Les
bas rouges et l'habit cramoisi...
Un
habit rose doublé de satin gris...
etc
Conrad
Laforte (2) suppose la chanson originaire du moyen-âge où « on
sait que les couleurs avaient une signification emblématique au
temps de la chevalerie et que l'amant portait les couleurs de sa
belle ». Sans remonter jusque là, il faut bien admettre que la
mode a considérablement évolué. De nos jours cette reconnaissance
par le vêtement ne serait plus possible. Nous avons opté depuis
longtemps pour des couleurs ternes. Dans le milieu des affaires même
le costume bleu marine a laissé place à des nuances qui vont du
gris souris au gris anthracite, avec cravate assortie. Si vous
croisez aujourd'hui un quidam habillé en couleurs vives, c'est
probablement un supporter de football aux couleurs de son équipe.
2
- Elle devait servir à faire danser en rond. Ces rondes chantées
ont été assez bien préservées dans des territoires proches
(Noirmoutier, Yeu, Guérande). Dans le pays de Retz, comme en de
nombreux endroits, elles ont pratiquement disparu avant que le
mouvement folklorique ne puisse s'en emparer. Les rares exemples
actuels ne sont généralement que des tentatives de reconstitution.
Tel
n'est pas le cas dans le Berry, où le revivalisme a préservé les
ronds dits d'Argenton. Une version de cette chanson a été
enregistrée par Mic Baudimant sur le CD Hommage à Barbillat et
Touraine, paru en 1998.
Désuète
ou pas, cette chanson garde tout son intérêt avec son refrain qui
rappelle que la vie est trop courte pour passer son temps à dormir.
notes
1
– vive la jeunesse qui ne vit que d'amour. C'était il y a deux
semaines, la chanson n° 184. Vous aviez déjà oublié ?
2
– Survivances médiévales dans la chanson folklorique – Corad
Laforte – Presses de l'univertité de Laval (Canada) 1981
interprètes :
Jean-Louis Auneau avec Daniel
Lehuédé, Jean Auffray et Dominique Juteau
source :
quatre vingt chansons du Pays de Retz, cahier de chansons du
ménétrier Poiraud, compilé par Michel Gauthier
Catalogue
Coirault 1604 –
endormies : la belle endormie sur ces côtes
Catalogue
Laforte : 1, G-9, la belle dormeuse et la rose
Sous
un saule (les gens qui sont jeunes)
Là
bas sous un saule la belle s'endormit (bis)
Par
le chemin passe Colin son ami
Les
gens qui sont jeunes pourquoi dorment-ils (bis)
Par
le chemin passe Colin son ami
Cueillit
une rose, dans la main lui mit
L’odeur
de la rose, la belle s’éveillit
Ah
grand Dieu dit-elle, qui m’a mis ceci
Votre
amant la belle, passant par ici
Mon
amant dit elle, quel habit a-t-il
Il
a l’habit vert, les parements gris
Ah
grand Dieu dit-elle, c’est bien mon ami
Maudite
soit l’heure où j’ai tant dormi
Qui
m’a empêché de voir mon ami
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