samedi 4 juillet 2015

112 - Bonjour, belle bergère

Le personnel féminin en charge du cheptel ovin (1) est omniprésent dans la chanson traditionnelle. Ce goût pour les bergères a atteint son paroxysme au 18ème siècle où la vogue des bergères, bergerettes, bergeries et pastourelles...a donné naissance à tout un répertoire. Il existe toute une série de chanson dialoguées entre une bergère et un « monsieur ». La nuance a son importance car il ne s'agit pas du dialogue entre deux amoureux mais bien d'un prétendant d'une condition et d'un âge supérieurs qui tente de séduire une petite jeunette exerçant une occupation du bas de l'échelle sociale (2). Garder les animaux aux champs ne requiert aucune compétence particulière. On y envoyait souvent les enfants et les jeunes filles malgré les dangers inhérents à cet isolement. De nombreuses chansons populaires nous décrivent les risques encourus.
pour écouter la chanson et lire la suite


La plus connue, dès l'enfance, dépasse le simple avertissement météorologique :
Il pleut, il pleut bergère
Ça se termine plutôt bien. 
Le risque animalier est symbolisé par un carnassier :
Prend garde au loup, petiote
Mais le loup peut prendre des formes diverses :
Ah dis moi donc bergère n'as tu pas peur du loup
Eh par ma foi monsieur, pas plus du loup que de vous
L'art et la manière d'envoyer promener l'importun est bien détaillé dans tous ces textes. Dans la joute oratoire, la bergère sans éducation est souvent plus adroite que le citadin. Avec les arguments développés ici, on ne l'envoie pas dire. Tout est dans la franchise directe et l'ironie mordante. Un texte, hélas non attesté en Loire-Atlantique, conseille même au monsieur d'aller se tremper dans l'eau froide pour refroidir ses ardeurs. Enfin, d'autres chansons utilisent des arguments de dernier recours : casse toi ou je lâche les chiens...
D'après les sources citées dans le catalogue Coirault, la version chantée ici semble localisée dans l'ouest. Une histoire similaire a été notée dans le Choletais par François Simon (3) ; elle se termine par le même conseil d'aller voir dans l'autre monde.
Bien que cette chanson n'ait aucun rapport avec celle de la semaine dernière, on peut imaginer que ce dialogue aurait pu éviter les désagréments du vieux mari dont on cherche à se débarrasser à tout prix.
Interpréter des chansons en forme de dialogue nécessite une bonne complicité entre les chanteurs. C'est un exercice souvent difficile mais toujours très apprécié. Nous essaierons de vous en proposer d'autres.

Notes
1 – Langue de bois ou langue des bois ?
2 - contrairement à celle de couvreur qui est généralement en haut de l'échelle (!) - Si vous trouvez que ce blog manque de sérieux, n'hésitez pas à nous le faire savoir.
3 - chansons populaires de l'Anjou – François Simon – p. 301

source : chanson apprise par J. Juteau et J. Peniguel en 1997 de Mme Rinfray, de Soulvache (44) qui la tenait d'une grand-mère originaire de Ruffigné
interprètes : Janig Juteau et Dominique Juteau
catalogue P. Coirault : La bergère qui aime mieux la jeunesse (Bergères et monsieurs… - N° 04222)

Bonjour, belle bergère

Bonjour, belle bergère, seulette en ces vallons
Aimable bocagère en gardant tes moutons
Je voudrais bien t’y dire un mot, t’y parler d’amourette
Dans un second désir puissant je t’aimerai, la belle

Vieux vieillard que vous êtes, vous qui êtes tout cassé
Vous parlez d’amourette, d’où vous vient cette pensée
Vous m’avez l’air d’avoir cent ans, vieux vieillard, vieille rosse
Et m’y parler, d’faire le galant sur le bord de la fosse

Tu n’as point dans ton village un homme aussi joyeux
Je suis fort et loquace et je suis amoureux
Je suis fort gai, fort beau galant, j’aime les demoiselles
Une jeune fille de quinze ans serait bien satisfaite

Pourriez-vous, sans béquilles, monsieur, marcher tout seul
Votre corps est de bille et vous n’avez qu’un œil
Vous avez la roupie au nez, plus de dents dans la bouche
Vous m’avez bien l’air d’accomplir un animal farouche

Si je n’suis pas si drôle que ces jeunes amoureux
J’ai encore autre chose, il faut ouvrir les yeux
J’ai de l’argent en quantité, belle, que je t’apporte
Avec une aussi jolie clé, j’croyais ouvrir ta porte

Je m’soucis d’vos richesses tout comme de vos trésors
J’aime mieux la jeunesse, on est bien plus d’accord
J’aime bien mieux mon content’ment que l’or de votre bourse
Retire-t’en, mon vieux galant, il n’y plus d’ressource

Faut-il que je m’éloigne, hélas, de si beaux yeux
Sans pouvoir, ma mignonne, être ton amoureux
Je te dis adieux pour longtemps, mignonne, p’tite ivresse
Puisque je ne puis rien gagner, adieu, je t’abandonne

Adieu, donc, vieille vrille, vieux morveux, vieux grogneux
Vieux rêve de basilique, vous qui êtes jasieux (?)
Je t’y dis adieu pour longtemps, que l’amour t’y confonde
Puisque tu veux faire le galant, va-t’en dans l’autre monde.


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