Nous venons juste d'échapper au régime
hyper calorique des galettes des rois à la frangipane pour entrer
dans le cycle des crêpes de la chandeleur, en attendant les
bottereaux de mardi gras. Autant dire que nos soucis alimentaires
sont bien éloignés du texte chanté cette semaine.
Comment une terrible complainte qui
traite d’anthropophagie est elle devenue un tube des chansons
enfantines ? Comment a-t-elle fait le tour des mers
européennes ? Où a-t-telle pris sa source, d'une légende ou
d'un fait réel ? Nous laisserons à d'autres le soin de
l'expliquer. Certains l'ont fait de manière fort détaillée (1). Le
point commun entre toutes ces chansons ou on frise le cannibalisme,
c'est la façon de tirer au sort « à la courte paille ».
Les autres éléments varient avec les latitudes et le temps. Depuis
que de hardis navigateurs s'aventurent sur les mers le ravitaillement
a toujours posé problème. Il ne manque pas de chants de marins pour
se plaindre du régime imposé à bord.
La présence dans un grand nombre de
versions de trois galions d'Espagne peut faire penser aux trois
caravelles de Colomb dont les marins menacèrent...
pour lire la suite et écouter la chanson
pour lire la suite et écouter la chanson
... de se mutiner à
cause de la longueur du voyage « sans jamais terre y aborder ».
Le mousse qui aperçoit la terre pourrait bien être ce marin de la
Nina qui eut le premier les Caraïbes en vue.
Si nous suivons l'hypothèse de
Doncieux qui voit cette chanson « évidemment originaire du
littoral de la France d'oïl et plutôt, à tenir compte de son
principal foyer, du littoral breton ou poitevin », force est de
constater que cette version à bien évolué. Sinon comment
expliquer la présence de marins de Terre Neuve dans cette version
collectée au Dresny, village assez éloigné des traditions
maritimes.
La courte paille est connue sur toutes
les mers, avec des versions spécifiques en Provence, en Catalogne ou
au Portugal, en Angleterre, en Norvège et même en Islande. Toutes
ne connaissent pas une fin heureuse, en particulier certaine gwerz où
le matelot n'a pas la chance d'apercevoir des bergères qui gardent
leurs moutons mais une procession qui se rend au cimetière. Au lieu
d'épouser la fille du capitaine il aura droit à l'extrême onction
du recteur. Ça ne rigole pas toujours en Basse Bretagne !
Pour en revenir aux versions collectées
près de chez nous, toutes aboutissent aux tours de Babylone et au
pays de Barbarie. Ces références bibliques et méditerranéennes
renvoient probablement à une version originelle ancienne. Curieux de
constater que même en partance pour les bancs de Terre Neuve on
puisse dériver vers ces rivages. Ce sont, bien sur, des lieux
mythiques où l'imaginaire rejoint parfois la réalité des bergères
et du clocher ou des moulins, plus connus du chanteur (2).
Nous entrons là dans l'univers magique
des chiffres. Trois, comme trois navires, galions, matelots du port
St Jacques, belles bergères...Sept, comme sept ans sur mer. Au 19ème
siècle des auteurs de vaudeville se sont emparés du thème et des
paroles pour aboutir à la version que tout le monde connaît. Des
trois galions on est passé au petit navire ; de l'univers
merveilleux on est passé au monde de l'enfance qui adore les
histoires à faire peur. Qui d'entre nous ne s'est jamais identifié
au petit mousse risquant d'être bouffé tout cru (3) comme au petit
poucet menacé par l'ogre ?
Et pour en revenir au menu proposé à
bord, avant d'envisager de sacrifier un membre d'équipage, une
version d'outre-atlantique (4) précise « avons mangé nos
chiens nos chats, jusqu'au courroies de nos souliers ». Cette
description est aussi présente dans une version anglaise de la
courte paille !
Bon appétit.
notes
1 – Deux sources en particulier :
L'analyse faite par Doncieux et Tiersot dans le romancero populaire
de la France publié en 1896 et disponible via Gallica – Une autre analyse avec les textes de
versions étrangères à cette adresse
2 - tout comme dans Auprès de ma
blonde: « les tours de Notre Dame et le clocher de mon pays ».
3 – ou avec de la sauce blanche,
selon les versions.
4 – dans « le rossignol y
chante » de Marius Barbeau, p. 435.
chanson tirée de chansons de Brière, de saint
Nazaire et du pays guérandais de F.Gueriff tome 3, p 335 - vient du fonds Soreau, air 27, chanté
par Alphonse Rolland à Saint Joseph du Dresny le 17 mai 1894
interprètes : Dominique
Juteau, Daniel Lehuédé, Jean-Louis Auneau, Janig Juteau, Martine
Lehuédé
catalogues : Coirault 7103
la courte paille - Laforte 1 B 13 la courte paille
Les matelots de
terre neuve
Les matelots de terre neuve
Pendant sept ans ont navigué
sans pouvoir terre aborder
Au bout de la septième année
que sur mer ils ont navigué
Le pain, le vin leur a manqué
Faut tirer à la courte paille
Lequel d'entre eux sera tué
Lequel d'entre eux sera mangé
Le maître a fait tirer les pailles
la plus courte lui a resté
C'est donc lui qui sera mangé
A-t-appelé son valet Pierre
Le voudrais tu là haut monter
Voir si la terre est éloignée
Pierre il a monté z à la hune
A la grand hune il a monté
A regardé de tous cotés
Courage, courage mes camarades
Je vois la pointe d'un clocher
La terre n'est pas éloignée
Je vois de grands bœufs dans la plaine
Je vois des moutons dans les prés
Et des bergères à les garder
Je vois maintenant des hirondelles
Je vois des moineaux voltiger
Près des maisons dans les landiers
Je vois des cheminées qui fument
Pour nous préparer à dîner
Le maître il ne fut pas mangé
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire