vendredi 23 janvier 2015

89 - Le vingt et deux octobre

L'histoire de ce navire présente un cousinage certain avec une autre chanson déjà publiée dans ce blog : la petite galiote (1). Les deux se terminent dans l'estuaire de la Loire, l'une à Saint Nazaire, l'autre sur la rive sud, à Paimboeuf, jadis port important.
Cette chanson mélange deux versions d'aventures maritimes. La première est une chanson de corsaires qui raconte un combat naval à trois contre un. La seconde fait état des dangers de la navigation dans le gros temps.
Pour le folkloriste canadien Marius Barbeau (2) « c'est une chanson qui date de la période des corsaires et des grandes aventures navales du 15ème au 17ème siècles». D'après lui les textes retrouvés au Québec ont du traverser les mers entre 1640 et 1680, mais à ces dates avaient déjà vieilli. Si la petite galiote voyageait vers le Brésil, ce sont les Caraïbes qui semblent être la destination de la frégate.
Les thèmes communs à toutes les versions sont : les trois navires (flamands) qui attaquent la galiote et le refus de se rendre, pour le combat naval ; la tempête qui tombe sur les voiles et la mature pour la seconde version, et dans tous les cas, les charpentiers qui mettent le bateau étanche.
pour lire la suite et écouter la chanson:

Quelles que soient les aventures subies, la fin est identique : le retour au pays est annoncé à grands coups de canon pour saluer la ville et « faire assavoir » que le navire arrive.
Le terme assavoir, toujours employé avec faire est une expression très ancienne. Elle est tombée en désuétude après avoir survécu jusqu'au 19ème dans des circulaires administratives ou militaires avec le sens d'informer de façon officielle.
Nos marins avertissent les bourgeois de la ville. Le message est probablement destiné aussi aux filles du lieu. Une des versions notées par Barbeau sur les bords du Saint Laurent est assez explicite :
Et vous jeunes coquettes qui portez jupons blancs
si vous saviez sur mer ce qu'on a de misère
Vous viendriez à nous d'un cœur tendre et sincère
Ça ne vous rappelle rien ? Reportez vous deux semaines en arrière aux lamentations du mousse qui embarque à bord de la Bretagne : et vous jeunes fillettes ...le propos est le même ; la forme aussi.
Enfin, comme nous l'avons déjà observé pour une autre chanson (3) qui se rapporte à un combat maritime, nous avons encore le choix dans la date (4) entre toutes les versions : 25 ou 27 septembre, 22 ou 25 octobre, 27 novembre...c'est étrange chez le marin ce besoin de faire des phrases avec le calendrier !
La chanson est suivie d'un court instrumental que vous aurez probablement reconnu. Il s'agit du fameux « Soldier's joy » un air connu dans tout l'Atlantique nord : Suède, Danemark, iles britanniques et Etats Unis. Cette mélodie de danse a été notée pour la première fois en Ecosse par Josuah Campbell en 1779. Elle a aussi été adopté en France où on la rencontre sous forme de pas d'été, dans le Poitou, mais aussi en Pays Nantais (5)

Notes
1 – chanson n° 2 – mai 2013 – la petite galiote
2 – dans « le rossignol y chante » de Marius Barbeau – éd. Musées nationaux du Canada (1979) – pages 437 et suivantes
3 – chanson n° 22 septembre 2013 – le vingt et un du mois de mars ou la mort du quartier maître (ou du colonel)
4 - Oui, je sais, j'avais promis de ne plus le faire. Difficile de résister à l'appel du contrepet.
5 - D'après Fernand Guériff – tome 4 des chansons du pays guérandais (danses et répertoire enfantin) page 134.

collecté par Abel Soreau le 20 septembre 1895 - chanté par E. Porcher de St Nazaire, mais originaire de Prinquiau, 80 ans
interprètes : Martine Lehuédé (chant) Jean-Louis Auneau (concertina)
catalogues : Coirault : 7108 – la galiote qui s'en va au Brésil - Laforte : II K 08 Navigation périlleuse – la petite galiote

Le vingt et deux octobre

Le vingt et deux octobre, tous prêts pour naviguer
Dessus une frégate nous nous sommes embarqués
Nous nous sommes embarqués en prompte diligence
C'était pour aller sur les îles de France

Quand nous fûmes hors rivière, cinq cent lieux sur l'eau
J'avons fait la rencontre : c'est trois gros vaisseaux
Petit navire français os'rais-tu 'y défendre ?
Trois gros navires anglais sont venus pour t'y prendre

Le capitaine avance, hardi comme un lion
A pris son épée claire et montit sur le pont
- Si nous devons mourir, que l'seigneur nous écoute
Mettons les voiles au vent et suivons notre route !

Mais quand nous fûmes aux îles, aux îles de Saint-Vincent
Le tonnerre, les éclairs, et les dragons volants
Et les dragons volants qui sur nous se déchaînent
A la fois plus de cent y tomba sur nos vergues.

Nous avions forc' bonhommes calfats et charpentiers
Qui nuit et jour travaill' c'est pour nous étancher
Ils ont tant travailler, ils nous mis étanches
Par la grâce de Dieu, somm's revenus en France

En arrivant en France, tir' un coup de canon
Pour saluer Paimboeuf, Paimboeuf et le Migron
Pour saluer Paimboeuf, les bourgeois de la ville
Et lui faire assavoir que le navire arrive

Les bourgeois de la ville sont tous au bord de l'eau
Pour voir ce beau navire chargé de matelots
Pour voir ces matelots revenant de la guerre
N'y a bien six ans au moins qu'ils ont mis pied à terre

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