vendredi 27 juin 2014

61 – Le gaz au Pouliguen

Ce n'est pas souvent qu'on vous propose une chanson dont l'auteur est connu. Ce qui, au cas présent, ne veut pas seulement dire identifié, mais également connu dans le monde de la musique. Il s'agit de Paul Marinier (1), auteur de plus de 250 chansons dont les plus célèbres : la cabane bambou (Mayol) ou bonsoir, madame la lune (Tino Rossi). Son passage au Pouliguen a donné cette chansonnette qui n'a donc rien de traditionnelle.
Nez en moins (2), elle peut figurer au rayon des chansons folkloriques ou des folksongs car elle décrit des événements d'une histoire locale et populaire. La tradition orale ne se limite pas aux complaintes immémoriales et aux amourettes de bergères. La vie citadine est aussi bien présente dans les fonds récoltés, préservés et transmis...
Nous devons cette chanson à Marcel Baudry, historien du Pouliguen, qui a compilé dans un ouvrage (3) toutes les chansons inspirées par sa commune. Nous avons déjà mis celle ci à l'honneur avec les filles du Pouliguen (4). Aujourd'hui, ça gaze.
Lire la suite et écouter la chanson


Le gaz d'éclairage a fait son apparition dans les grandes villes d'Europe dès le milieu du 19ème siècle. A Nantes, les premiers réverbères datent de 1841. L'installation a été beaucoup plus tardive dans les localités éloignées des grands centres urbains. C'est ce que souligne cette chanson, le développement du tourisme balnéaire justifiant cet apport de modernité dans les stations de la côte.
Les becs de gaz ont tenu bon dans certains endroits malgré la généralisation de l'électricité. Les gazomètres et leurs usines à gaz ont longtemps fait partie du paysage urbain. Ces dernières continuent aujourd'hui à servir de modèle d'organisation à certaines institutions. Mais c'est une autre histoire !

Au Pouliguen, dès 1897 les édiles locaux ont souhaité équiper leur station d'un éclairage à la hauteur de son standing. De délibérations en tergiversations, après avoir hésité pour l'électricité, c'est finalement le gaz qui l'emporte. Les travaux se terminent par une inauguration le 8 août 1906. La chanson a été composée quelques jours plus tard. Paul Marinier passait là ses vacances, en location, pendant une dizaine d'années. Durant ses séjours, il a collaboré à la presse locale (5) dans laquelle furent publiées plusieurs chansons souvent inspirées par l'actualité locale.  
Si Paul Marinier est l'auteur des paroles, la musique est un timbre beaucoup plus ancien. Elle est empruntée à la chanson le petit chaperon rouge, de Charles Delange et Charles Plantade. Ce dernier fut l'un des fondateurs de la SACEM et son premier président (6). Vous pouvez écouter un extrait de leur chanson sur le site « du temps des cerises aux feuillesmortes » véritable encyclopédie de la chanson française d'avant guerre. Toutefois Plantade n'est pas le compositeur mais seulement l'arrangeur de cette musique qui figurait déjà sous le titre Bonjour mon ami Vincent au N° 63 dans la « clé du caveau ».

notes
1 - auteur, compositeur, interprète, monologuiste, chansonnier, chef d'orchestre et revuiste né à Rouen, en 1866, décédé en 1953 à Lyons-la-forêt (Eure)
2 – et vous trouvez ça drôle ?!
3 – Florilège du Pouliguen par Marcel Baudry – éd. Alizés 1999....à qui nous devons toutes ces informations
4 – numéro 48, semaine 13 en mars dernier
5 – « La Mouette – journal du Pouliguen et de la côte, paraissant le samedi, de juillet à septembre ». depuis longtemps disparue.
6 – Charles Plantade est né en 1787 et mort en 1839, ce qui donne une idée de l'ancienneté de la chanson :‎Le petit chaperon rouge ou les vrais amis sont les gens impolis, paroles par Ch. Delange, accompagnement par Ch. Plantade

collectage : Marcel Baudry, publié dans « Florilège du Pouliguen » - P. 54
auteur : Paul Marinier (timbre : Bonjour mon ami Vincent – clé du caveau 63 )
Interprète : Jean-Louis Auneau

LE GAZ AU POULIGUEN

La ville du Pouliguen
Dit un jour à ses édiles
« La chandelle n’éclaire pas bien
Même quand on la mouche, elle file
La bougie, c’est cher et ça coule tout l’temps
On s’en colle partout, sur tous les vêtements
La résine ça donne une lueur écarlate
Le pétrole ça graisse et l’essence éclate
Ça n’peut pas durer, c’est à vous d’trouver
Un moyen quelconque de nous éclairer ! »

Le conseil se rassembla
Et dit : « N’en v’là t’y d’une malchance
Comment donc nous tirer d’là
Ces gens sont d’une exigence !
Il leur faudrait p’t’être l’électricité »
« L’électricité, messieurs, écoutez
Parait qu’c’est une chose très facile à faire
On n’a qu’à frotter d’la laine sur du verre »
Ils s’mirent à frotter pendant plusieurs jours
Mais on n’y voyait pas plus qu’dans un four

Les conseillers étaient las
Et leur détresse était grande
Quand, voyant leur embarras
La bonne ville de Guérande
Leur dit : « J’ai du gaz bien plus qu’il n’m’en faut
J’m’en vais vous céder tout c’que j’ai en trop
C’que j’en fais, c’est pour obliger, sans doute
Seul’ment j’vous l’vendrai deux fois l’prix qu’il m’coûte
Il faut s’entraider, ça fait que le mien
Par ce moyen là, n’me coût’ra plus rien

Le conseil se réunit
Et dit : « Nous v’là tirés d’peine
Mais pour que l’gaz vienne ici
Encore faut-il qu’on l’amène
Je sais bien qu’on fait l’télégraphe sans fil
J’ignore si le gaz est aussi subtil
On peut essayer, commençons par faire
Poser dans la ville quelques réverbères
P’t’être que voyant ça, d’là-bas d’un bon œil
Le gaz de Guérande y viendra tout seul

Mais on dut faire des travaux
Car on reconnut, j’suppose
Que pour le gaz, des tuyaux
C’est encore la meilleure chose
Et voilà comment, heureux comme des fous
Les Pouliguennais ont l’gaz à sept sous
C’est p’t’être un peu cher, mais tout l’monde assure
Que le gaz baiss’ra dans une bonne mesure
Même un ingénieur m’a dit tout confus
Qu’il baisserait tellement… qu’il n’éclair’rait plus.

Et pour la bonne bouche....
Le petit Chaperon rouge
Charles Delange-Charles Plantade (1782-1839)
sur l'air de : Bonjour, mon ami Vincent

Un pâtissier, demeurant
Dans la plaine de Montrouge,
Avait une charmante enfant
App'lé le p'tit Chap'ron Rouge !
C'est, me direz-vous, un nom singulier,
Je n' l'ai jamais vu dans l' calendrier :
Pourquoi l'appelait-on le p'tit Chaperon Rouge?
Je vas fair' cesser votre étonnement :
Ça v'nait tout bonn'ment de c' que ses parents
Quand elle était p'tit', l'avaient vouée au blanc !

L' pâtissier lui dit : hélas !
J'ai là, d'puis l'année dernière,
Deux pâtés qui n' se vendent pas.
Tiens, porte les à ta grand'mère :
Elle a constamment des maux d'estomac,
Et l' médecin y a dit qu'il fallait pour ça
Prendre un' nourriture extrêmement légère,
Ça lui fera du bien, ou je m'trompe beaucoup
V'là l'enfant qui prend ses jambes à son cou,
Manière de courir pas commode du tout.

Sur sa route elle rencontra
Un loup qui lui dit : Mam'selle,
Au moins, pour courir comme ça,
Portez-vous de la flanelle?
— Non, j' port' des pâtés, lui répond l'enfant,
Qu' mon papa envoie à ma bonne maman.
— Fort bien, dit le loup, où demeure-t-elle ?
— Au moulin, là-bas, répond l'innocent :
— Voyons, dit le loup, lequel en courant
Sera, de nous deux, au moulin-avant.

Le loup part comme un coup d' vent.
Il frappe à la maisonnette :
— Qui qu'est là ? dit la mère grand,
S' dorlotant dans sa couchette.
Le loup prend la voix du petit Chaperon,
Et dit : — J' vous apport' du nanan bien bon !
La mèr' grand répond : — Tir' la chevillette
Et la bobinette, aussitôt, cherra.
L' scélérat entra, la mangea, croqua,
Si bien qu' son bonnet fut tout c' qui resta.

Non content d' mettre le bonnet,
Les lunettes de sa victime,
Croiriez-vous qu'il eut l' toupet
D' faire des jeux d' mots sur son crime .
— Je n' vois pas, dit-il, de quoi elle s' plaindrait.
Au lieu d' son moulin, j' lui donne mon palais
Et puis, en poussant un rire unamime,
Il s' coucha dans l' lit, du côté du mur.
En disant : J' quitterais mon boucher, bien sûr,
S'il m' vendait jamais un bifteck si dur !

Le p'tit Chaperon qui s'était
Arrêté à la Civette,
(Quoiqu' son pèr' lui défendait)
Pour acheter un' cigarette.
Arrive au moulin et s' met à cogner;
le loup crie alors, en parlant du nez :
— C'est toi, mon enfant, tir' la chevillette
Et viens, dans mon lit, t' coucher avec moi.
Car je n' fais pas d' feu, quoiqu'il fasse bien froid,
Parc' que mon poèle fume et que j'n'ai pas d'bois.

Le p'tit Chaperon dit : — Mère grand,
Qu' vous avez une drôle de balle !
Le loup répond : — Mon enfant,
J'aime cette remarque filiale.
— Grand mèr', vos deux yeux brillent comme des lampions ;
— Enfant, c'est l'effet d' ma satisfaction.
— Vous ouvrez la bouche aussi grand' qu'un' malle !
Vous pourriez serrer tout plein d' choses là-d'dans.
Le loup prend l'enfant, l'avale en disant :
— Tu trouves ma bouche malle, et moi j'te mets d'dans

Moralité.

Ecoutez, grands, moyens, p'tits,
La moral' de cette histoire :
Faut s' défier des gens polis ;
Ils ont souvent l'Ame très noire.
Et ceux qui vous disent : comment ça va-t-il ?
Ont souvent pour but d' manger votre rôti;
Ce rôti, pour eux, n'est que provisoire,
C'est en attendant qu'ils vous croquent aussi :
C'est pourquoi je dis qu' les gens impolis
Doivent être regardés comme les vrais amis.

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