Fini
de rire ! Revenons à un thème plus sérieux que les
mésaventures d'un meunier ou d'une jardinière. C'est à une des
grandes complaintes moyenâgeuses que nous avons à faire
aujourd'hui. Le thème du frère qui venge sa sœur après s'être
mêlé de son mariage n'est peut être pas totalement absent de
l'actualité. Mais c'est un retour en arrière de plusieurs siècles
que nous propose cette chanson. Une époque où l'amour courtois et
l'esprit chevaleresque se traduisaient souvent par des épisodes
sanglants !
La
maumariée vengée par ses frères
est un thème qui vient de loin. Cette chanson serait
l'adaptation en français d'un texte originel en occitan, très
répandue dans tout le sud de la France et en Piémont. On en
trouverait ainsi 42 versions au Canada, 15 en France et 3 en Italie.
Il n'empêche qu'on en retrouve aussi plusieurs en Bretagne, comme
ici dans le secteur de St Nazaire. Le texte fait invariablement
référence à trois frères qui ont d'autant plus de raison de se
venger que ce sont eux qui ont favorisé ou arrangé le mariage de
leur sœur. Cette partie qui débute habituellement la chanson est
absente de la version collectée par Le Floc'h et reprise par Guériff
(1). Pour comparer, écoutez la très belle version enregistrée par
Sylvie Berger sur le disque « le jardin des mystères »
d'Eric Montbel (2).
Les
écrivains du 19ème siècle ont tenté de voir l'origine de cette
chanson dans...
l'histoire de la reine Clotilde, fille de Clovis,
persécutée par son époux le roi wisigoth Amalric, et qui fut
délivrée par son frère Childebert. Cet épisode du 6ème siècle,
rapporté par l'historien Grégoire de Tours, présente des
similitudes avec la chanson. Une autre histoire s'en rapproche :
celle de Barbe Bleue. Mais il s'agit là de la légende et non pas
des faits historiques reprochés à notre tristement célèbre
compatriote Gilles de Rais, qui aimait moins les femmes que les
petits enfants.
Plutôt
que de rechercher des sources hypothétiques, c'est à un trait des
relations familiales au temps de la création de cette chanson que
des chercheurs se sont intéressés. Nous reprendrons ici brièvement
les travaux de la canadienne Monique Jutras, dont nous avons déjà
parlé. Dans son ouvrage consacré aux complaintes médiévales (3)
elle fait le point sur les relations frères - sœurs au moyen âge
en prenant cette chanson, entre autres, comme exemple. « le
frère est toujours très concerné par ce qui survient à sa sœur.
Que celle ci soit victime d'un mari, d'un amant...le frère
intervient pour tenter de contrôler la situation. Ses actions sont
dominées par sa motivation à venger les fautes commises envers ou
par sa sœur. » L'attitude protectrice du frère apparaît
clairement « Le frère représente une figure d'autorité
comparable à celle du père. On le voit ainsi qui dispose,
exactement comme le père, du droit de marier sa sœur à un homme
qu'il a choisi lui même pour elle ; il use également du
privilège de punir lui même ses parents aussi bien que le mari de
sa sœur. » Ces relations fraternelles sont caractérisées par
la solidarité. « Ce sont souvent les trois frères qui
interviennent pour défendre leur sœur...il existe une forme
d'obligation morale qui lie ces individus d'une même famille »
ce qui peut donner « une impression de clan, lorsque les
interventions visent à punir des individus situés en dehors du
noyau familial immédiat, comme l'amant ou le beau-frère ».
Et
la musique dans tout cela ? Si la version citée plus haut(2),
collectée en Nivernais par Millien n'a rien à voir avec la notre,
il n'y a rien d’étonnant à retrouver des similitudes entre celles
notées en Bretagne et au Québec.
Notes
1
– à retrouver dans : Chansons de Brière, de Saint Nazaire et
de la presqu'ile guérandaise, tome 3, de Fernand Guériff – édité
par Dastum 44 et le parc naturel régional de Brière (toujours
disponible via ce blog)
2
– le Jardin des mystères – Ulysse productions 2001 – Eric
Montbel, avec Sylvie Berger, Gabriel Yacoub, André Ricros, etc
3
- Vision d’une société par les chansons de tradition orale à
caractère épique et tragique, en collaboration avec Conrad Laforte,
Presses de l’Université Laval (Québec) 1999. Monique Jutras est
connue par ses recherches sur la chanson traditionnelle aussi bien
que par ses interprétations du répertoire de Mme Bolduc. Ecoutez
son morceau de bravoure, « la turlutte des Little Delisle » ;
ça vaut le détour. : http://www.moniquejutras.com/pub/
version Le Floc'h - Guériff , collectée près de Saint Nazaire
version présentée par Monique Jutras, collectée à Rimouski, Québec
Première
année que je fus mariée
M’a
fait marcher tout le long de l’année
Sur
des épines que j’avais transplantées
Deuxième
année que je fus mariée
Il
m’a tué mon cher petit enfant
Me
l’a jeté à ce chien dévorant
Troisième
année que je fus mariée
M’a
fait monter sur le haut d’un clocher
Pour
voir mes frères et mes sœurs arriver
S’ils
te demandent : où sont tes belles couleurs
Tu
répondras : le temps les a changées
Prenez
bien garde à ce que vous direz
S’ils
te demandent : où est-il ton mari
Tu
répondras : à la chasse est allé
Prenez
bien garde, sous le lit j’s’rai caché
Ma
sœur, ma sœur, où sont tes belles couleurs
Elle
dit tout haut : le temps les a changées
Elle
dit tout bas : méchant mari que j’ai
Ma
sœur, ma sœur, où est-il ton enfant
Elle
dit tout haut : il est mort et enterré
Elle
dit tout bas : mon mari l’a tué
Ma
sœur, ma sœur, où est-il ton mari
Elle
dit tout haut : à la chasse est allé
Elle
dit tout bas : sous le lit est caché
Sors
de ce lit, monstre infernal
De
mon poignard, je te poignarderai
De
mon épée, je te traverserai !
source :
« récolte Gaston le Floc’h » (Mme Jacobert –
Prézégat – 1937) publiée par F. Gueriff
interprète
: Oona Hengoat
catalogue P.
Coirault : La maumariée vengée par son frère (N° 9618)
catalogue
C. Laforte : La maumariée vengée par ses frères (2-A-07)
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