vendredi 7 février 2014

41 - Plus blanche que la fleur d’été

« Pourquoi chantez vous toujours des chansons tristes, qui font pleurer les gens ? » demandait un jour un interviewer à la chanteuse anglaise June Tabor (1) qui répondit : « parce qu'après avoir bien pleuré ils se sentiront mieux ». Alors avant que vous n'écoutiez le chanson de cette semaine prenez la précaution de vous munir de quelques mouchoirs. On n'est pas là pour rigoler.
Cette belle complainte a été recueillie au moins deux fois dans notre région. Par Abel Soreau à qui nous empruntons cette version et par Armand Guéraud, tous les deux à la fin du 19ème siècle. Dans les commentaires des textes recueillis par Guéraud, Joseph Le Floch précise « Le texte est rare : une seule référence mentionnée au fichier Coirault » deux textes incomplets en fait publiés par Achille Millien dans le premier tome des chansons populaires du Nivernais et du Morvan. «  Millien et Pénnavaire remarquent avec raison que la musique n'est qu'une altération de l'air connu ah vous dirai je maman » (2)
Plus près de nous elle a été enregistrée par Jean-François Dutertre sur son album Ballades françaises, vol. 2 édité chez Buda musique en 1998. Et outre Atlantique, Monique Jutras (3) a chanté la courtisane brûlée dans son CD de complaintes médiévales en 1999 .
pour écouter la chanson et lire la suite


D'une version à l'autre les chanteurs ne s'accordent pas sur le dénouement de l'histoire. Ici vous entendez le fils du roi se faire hara kiri; ailleurs il tire son épée et de son père « lui trancha la tête en bas ».
Si cet épisode dramatique a pour origine un fait réel où son interprétation romancée, il est bien difficile aujourd'hui de savoir lequel. L'histoire de France regorge de ces règlements de comptes sanglants entre membres de la cour, prétendants, intrigantes et autres membres de la famille. Encore à cette époque, les princes et les rois pouvaient ils se permettre de prendre maîtresse sans risquer de se retrouver portraiturés par des paparrazzi, rentrant au château avec un heaume sur la tête !

notes
1 – June Tabor, l'une des plus belles voix du folk anglais n'a pas chanté que des chansons tristes en anglais. Elle a aussi enregistré des complaintes en français dont une magnifique interprétation du « roi Renaud ».
2 – tiens donc ! Encore la Mantovana. (voir chanson n° 7 de ce blog)
3 - Suite à la publication de son mémoire de maîtrise en ethnologie sur la chanson folklorique française en 1999 (Vision d’une société par les chansons de tradition orale à caractère épique et tragique, en collaboration avec Conrad Laforte, Presses de l’Université Laval 1999), elle produit, à partir de l’anthologie de cet ouvrage, l’album-concept Complaintes médiévales (Distribution Interdisc 1999) – commentaires sur le site de Monique Jutras

Plus blanche que la fleur d’été
Sire le Roy la fait mander
Sire le Roy, que me veut-il
Voudrait-il me donner son fils

C’n’est ni pour coudre ni pour filer
Ce n’est pas pour vous marier
Le cocher qui là l’emmenait
Le long du grand chemin pleurait

La belle, elle lui a demandé
Cocher, qu’avez-vous à pleurer
Quand elle fut à Malaisé
Elle vit un grand feu allumé

La belle, elle lui a demandé
Pourquoi faire si grand feu, cocher
Plus blanche que la fleur d’été
On dit que c’est pour vous brûler

Il la prit, la déshabillit
Et dans le grand feu la jetit
La belle a fait un si grand cri
Que le fils du roy l’entendit

Sellez, bridez-moi mon cheval
Que dans la cité je m’en vas
Dans son chemin a rencontré
Le messager de la cité

Beau messager, beau messager
Quelles nouvelles de la cité
Plus blanche que la fleur d’été
Sire le Roy l’a fait brûler

Bonjour mon père, bonjour mon fils
Mon père, qu’avez-vous fait d’ma mie
Ah, pour ta mie, elle est brûlée
Et la cendre au vent enlevée

Il attira son épée là
Dedans son cœur il la plongea
Vous avez eu la mort d’ma mie
Et vous aurez la mienne aussi.

source : Gabrielle Praud, la Nicollière en Machecoul, en 1895 – noté par Abel Soreau
interprète : Nolwenn Le Dissez
catalogue Coirault : L'amante du dauphin 1401

catalogue Laforte : la courtisane brulée 2-A-73 (en partie)

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