vendredi 7 juin 2013

7 - De Mantoue jusqu'à Nantes

Cette semaine ce n'est pas une chanson mais un instrumental qui va illustrer la suite de notre voyage, de Mantoue jusqu'à Nantes.
L'avant-deux de travers, est interprété par le Père Jean (Jean Debeix) sonneur d'accordéon. Dastum a consacré un CD à ce musicien, charnière entre la musique de tradition et le renouveau du « folk » (voir la page éditions). Mais quel rapport peut il y avoir entre la ville de Mantoue, chantée la semaine dernière, et cette danse emblématique du pays nantais ? Tout simplement plusieurs siècles d'un voyage musical qui mérite quelques explications.

La «Mantovana», autrement dit «Il Ballo di Mantova» (la danse de Mantoue) , est apparue au début du 17ème siècle à la cour des Gonzaga de Mantoue, où elle est jouée aux noces de Francesco Gonzaga et Marguerite de Savoie. Elle est immédiatement devenue le symbole musical de cette ville. Son origine est sans doute à rechercher dans les quartiers populaires de Mantoue. Très rapidement ce thème s'est répandu dans toute l'Europe. Les événements survenus dans cette partie de l'Italie (voir chanson 6 - la prise de Mantoue) ont dû favoriser cette émigration culturelle. Notée dans le recueil de mélodies lombardes de Gasparo Zanetti en 1645, elle est déjà publiée à Londres dans la première édition du Playford dancing master en 1657 sous le titre « an italian rant ». A cette époque la musique italienne influence toutes les musiques savantes ou populaires.


En France, Louis-Claude Daquin en tire un célèbre Noël. Mais c'est surtout...
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de Mantoue jusqu'à Nantes (suite)
Mais c'est surtout la chanson « A vous dirai-je maman (ce qui cause mon tourment...) » qui va contribuer à sa diffusion, à partir de 1760. Version en mode majeur de l'air original, cette chanson pourrait être cantonnée au répertoire enfantin : « moi je dis que les bonbons valent mieux que les leçons ». Mais au milieu du 17ème des versions moins prudes circulent, sous titrées « la confidence ». Cela va de la galante « peut on vivre sans amant... » jusqu'à l'évocation à peine voilée des amours innocentes où le cousin Eugène « sort je ne sais d'où un petit animal très doux » et tout ce qui s'ensuit ! C'est de cette chanson que Mozart (Wolfgang Amadeus pour les intimes) a tiré 12 variations, en 1785 (K. 265) qui ont fait croire à une origine savante de cet air.
En Angleterre le « branle de Mantoue » suit à peu près la même évolution. Deux chansons pour enfants reprennent la mélodie : « Twinkle, twinkle little star » et « Ba ba black sheep ». Du Royaume Uni à l'Amérique, il n'y a qu'un océan à traverser, ce qu'ont fait tant de musiques. Voilà pourquoi on retrouve aujourd'hui des versions old time, bluegrass ou western swing au banjo – Arthur Smith – ou au violon – Benny Thomasson, Richard Greene, Byron Berline, etc - le plus souvent en tonalité de sol majeur.

Énumérer tous les avatars de la Mantovana serait long, fastidieux et prétentieux. Alors juste quelques exemples : « Virgen de la cueva » en Espagne, « Kateryna Kucheryava » en Ukraine, «  Pod Krakowem » chant yiddish en Pologne, «  Carul cu boi » en Roumanie et Moldavie, « Tüzed, Uram Jézus » en Hongrie ou un cantique populaire en France.
Quand aux versions les plus marquantes elles sont aussi très variées :
- la chanson italienne « Fuggi, fuggi » qui a été très tôt adaptée de l'air original
- la mélodie suédoise « Ack Varmeland du sköna », plus romantique, a inspiré le jazzman Stan Getz qui en a tiré son « Dear old Stockholm »
- Une version populaire moldave a inspiré à Smetana un mouvement de « la Moldau »
- La même mélodie, arrangée par Samuel Cohen, est devenue « Hatikva », l'hymne national israélien en 1948.
Cet arrangement n'est pas le dernier en date. Compositeurs classiques, de jazz, de variétés on su tirer partie de ce tube intemporel. Écoutez la chanson « j'aurais voulu » de Daniel Lavoie pour en être convaincus.
Ce résumé laisse de coté d'autres perles de la musique traditionnelle parmi la centaine de versions qui dérivent de notre danse italienne née dans les quartiers de Mantoue.

Et Nantes dans tout cela ? Si vous fréquentez bal breton ou fest noz, vous avez forcément entendu cette musique, la plus fréquemment associée à l'avant deux de travers, forme de danse particulière au pays nantais.
Avouez que vous l'écouterez différemment la prochaine fois ! Un petit goût d'Italie dans le muscadet ça se remarque.
Notre extrait de la semaine ouvre le CD publié par Dastum « le père Jean – sonneur d'accordéon des pays de Redon et de la Mée ». Jean Debeix, sonneur de tradition a connu une seconde carrière dans les années 70, d'abord avec les groupes folkloriques puis sur les scènes des bals bretons. Il a largement contribué à populariser cette mélodie reprise depuis par quantité de groupes folk ou revivalistes.