vendredi 12 juin 2020

343 - Sur le pont d'Avignon


Il suffit de passer le pont c'est tout de suite l'aventure (1) que ce soit à Nantes, Lyon ou Avignon. Nous avons déjà abondamment commenté la présence des ponts dans les chansons traditionnelles; passons à autre chose. Cette chanson accumule les poncifs des amourettes dont on ne sait jusqu'où elles peuvent aller: un objet perdu que le galant restitue à sa mie, un baiser volé qui en entraîne d'autres, et des aventures qui peuvent aller si loin qu'on a besoin de symboles forts pour en fixer les limites
Pour écouter la chanson et lire la suite:



Paradoxe pour une chanson localisée dans le sud est de la France, elle est surtout connue dans l'ouest d'où elle a aussi transité vers le Canada. On en profite pour donner la parole à Marguerite et Raoul d'Harcourt (2) pour savoir que: “l'incipit de la chanson est signalé dès le début du 16è siècle; il a servi à des sujets bien divers, notamment à des chansons de noce, à des rondes enfantines et dans l'une d'elle, la plus connue, sur le pont d'Avignon l'on y danse”. Parfois, c'est sur le pont de Lyon qu'est transférée la saynète. Mais pourquoi sur un pont ? Pour que la fille se mire dans l'eau ? Parce que, le peigne tombant à l'eau, on va nous rejouer la séquence du plongeur noyé en allant chercher les clés ou les bagues de la belle ? Que non ! Il n'y a pas de plongeur dans cette chanson où le galant se contente de “ramasser” le peigne. La belle se garde bien de lui demander pourquoi au risque d'entrer dans des considérations philosophiques du genre “la beauté à quoi sert-elle, sinon d'aller pourrir en terre comme celle qui sont laides”. Ceci est le thème d'une autre chanson et elle ne s'est pas trompée de situation. On comprend vite que le ramasseur de peigne a autre chose en tête: je te le rends si tu m'embrasse. Le petit malin n'a pas à négocier longtemps. Ce n'est pas un ou deux baisers qu'on lui accorde mais la demi douzaine, et plus si affinités. Cette répartie on la retrouve dans d'autres chansons d'amour comme celle de la “fille de Parthenay”. Elle est souvent assortie d'un besoins de discrétion vis à vis de l'entourage, parents notamment.
Un autre thème bien connu des chansons traditionnelles vient se glisser dans les derniers couplets. C'est celui de la jarretière, fameux accessoire qu'on découvre sous la robe de la belle. Même s'il n'y a guère d'illusions à se faire sur la signification réelle de cette jarretière, force est de constater qu'on a pas attendu Alain Souchon pour se préoccuper de ce qui se passe sous les jupes des filles. Mais l'avertissement donné par la belle sert surtout à fixer les limites du flirt: jusqu'où ne pas aller trop loin. La robe de futaine, territoire défendu, est autrement désigné par la formule “tu fais tout ce que tu veux mais tu chiffonnes pas ma coiffe” souvent entendue en pays maraîchin. D'autres versions notées autour de chez nous (Pornic, Blain) utilisent cette image:
Prends la demi douzaine
Surtout ne froisse pas ma jupe de futaine
Comme la production manquait de moyens on n'a ici qu'une fille et son galant alors que plusieurs autres versions mettent en scène trois filles et trois garçons “allemands”, qui peuvent être simplement leurs “trois amants”.
Pour l'anecdote, en cherchant des correspondances à cette chanson nous avons repéré une version qui dément tout à fait ce qui vient d'être dit et justifie la localisation sur un pont. Il n'y est plus question de fille qui se peigne, mais qui se baigne ! Et pour finir l'histoire façon Barbe bleue voici trois couplets qu'on ne résiste pas au plaisir de vous offrir:
Vous serez mon amant :
Embrassez votre belle.
Je te tiens maintenant,
Au fond de la rivière.
Pour te sucer le sang,
Les yeux et la cervelle.
Chanson recueillie au 19è siècle dans le Gers par Jean-François Bladé (3). Elle dénote avec toutes les autres versions et avouez que vous aussi préférez la façon plus grivoise dont se termine la notre.

Notes
1 – si vous avez trouvé l'auteur de cette introduction, rappelez vous que les références aux chansons traditionnelles sont nombreuses dans les oeuvres de tonton Georges.
2 – chansons folkloriques françaises au Canada, Marguerite et Raoul d'Harcourt (Presses universitaires Laval, Québec – 1956), page 306
3 – Poésies populaires en langue française recueillies dans l'Armagnac et l'Agenais par Jean-François Bladé (1879), page 83.

interprètes: Isabelle Maillocheau avec Janick Péniguel, Annick Mousset, Aurélie Aoustin
source: Le trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande, Fernand Guériff, tome 4 page 125 (Dastum 44 / Parc naturel régional de Brière - 2013)
catalogue P. Coirault: le peigne ramassé (1829 - amourettes)
catalogue C. Laforte: le peigne ramassé I, K-3

Sur les ponts d’Avignon
Où la belle s’y peigne, ma dondaine
Où la belle s’y peigne, ma dondé.

La belle en s’y peignant
Laissa tomber son peigne

Son galant qu’était là
Promptement le lui serre

Là, tout beau, le galant
N’prenez pas tant de peine

Eh, des peines j’en veux,
Un baiser de vous, belle

Prends-en un, prends-en deux,
Prends la demi douzaine

Surtout ne touche pas
A ma robe de futaine

Car tu verrais l’dessous,
Mes belles jarretières de laine

Mes p’tits souliers mignons,
Mes bas à la soie verte.


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