dimanche 17 mai 2020

340 - J'avais une belle mère


Cette chanson, publiée par Fernand Guériff, fait partie du fonds recueilli par Gustave Clétiez au 19è siècle en pays guérandais. Une histoire gentillette si on n'y cherche pas un sens caché. Mais comme elle est assez répandue sur tout le territoire, ce que ces quelques couplets n'osent pas nous avouer apparaît beaucoup plus nettement ailleurs.
Toutes les versions de cette chanson que nous avons pu consulter ont au moins un point commun: elle ont servi de support à une danse ou en ont gardé la structure, même quand l'interprétation – comme ici – en parait éloignée.
Pour écouter la chanson et lire la suite:.


Trois personnages jouent un rôle dans cette saynète, avec, par ordre d'apparition: la mère, la fille et son galant. Un quatrième brille par son absence alors que la plupart des versions de cette chanson le mentionnent: le rossignol. Le décor a également son importance puisque la rencontre se déroule en un endroit stratégique: la fontaine.
Résumons nous: une fille est tirée du lit à pas d'heure par ses parents pour aller chercher de l'eau. Nous sommes bien avant la généralisation du service d'eau. Pour faire la cuisine ou le ménage il faut se rendre au puits ou à la fontaine. Jusque là il n'y a rien que de très innocent dans la situation. La fontaine est un lieu symbolique plutôt évocateur de pureté de l'eau mais aussi un lieu public où l'on fait rencontre de ses voisins et, à une heure aussi matinale, de personnes aux intentions pas forcément aussi pures que l'eau de source.
Le premier personnage est la “belle mère”. Le qualificatif n'évoque pas obligatoirement la marâtre. Oublions un peu Cosette et les misérables. D'une chanson à l'autre la mère est toujours affublée d'un qualificatif. Le plus fréquemment la chanson débute par:
J'ai une méchante mère
mais on trouve aussi: mauvaise, cruelle, vieille, pauvre, douce, bonne...sans compter les incipit du genre “quand j'étais chez mon père”. Voilà pour les parents; leur rôle se limite en général au premier couplet.
Même quand la chanson semble être le fait du garçon:
j'ai rencontré ma bien aimée...
c'est le point de vue de la fille qui est mis en avant. Ce garçon rencontré “fortuitement” est ici un brave chevalier. Ailleurs on apprend le plus souvent que c'est le petit ami de la fille et que la rencontre n'est sans doute pas si fortuite. Ils vont passer deux à trois heures ensemble à “bavarder”. Dans le genre euphémisme on peut difficilement faire mieux. En consultant les nombreuses versions de cette chanson on apprend vite la réalité des occupations qui ont tant fait tarder la porteuse d'eau.
Il m'a pris par sa main blanche
Sur l'herbe il m'a renversée
Geneviève Massigon, présentant ses collectes outre-Atlantique (1), nous rappelle que les versions les plus anciennes de la chanson sont carrément grivoises ou au moins présentent des formes grivoises plus voilées. Ce caractère a disparu de notre version guérandaise. Dans les “Chansons nouvelles et airs de Jean Planson” publié en 1597 , on sait que :
son amy deux ou trois fois sur l'herbe l'a jetée
mais aussi que
Pucelle estoit, grosse l'a relevée
Dans le genre grivois, l'ami ou le cavalier cèdent parfois la place à un moine cordelier (2) ou un charmant petit abbé qui confesse les fillettes dans sa chambre avant le soleil levé. Et la fille d'ajouter:
j'ai récité ma prière à genoux devant l'abbé
Éloignez les images qui vous viennent et pensez plutôt qu'il est grand temps de trouver une excuse pour avoir tant tardé. C'est là qu'intervient le rossignol qui malheureusement s'est envolé avant notre dernier couplet. Généralement la conclusion est que si la fontaine était troublée c'est à cause de l'oiseau
Qui s'est baigné depuis la tête jusqu'aux pieds
Tout ceci, bien sur si on se contente de prendre le texte au premier degré. Dans la chanson du 16è siècle copiée par Jean Planson, la fontaine qui est troublée n'est pas celle où la belle est venue puiser de l'eau. Et si le rossignol a sa queue mouillée c'est qu'il représente tout autre chose qu'un aimable volatile. Vous trouvez qu'on exagère ? Voici, en toutes lettres, dans un manuscrit du 18è siècle le dialogue de la fille avec le moine cordelier:
Le bon drôle me fit montre
De son oiseau familier
Patrice Coirault, dans son étude sur la formation de cette chanson (3) omet pudiquement les couplets suivants, par trop grivois !
De l'origine de la chanson à nos jours le texte a donc été bien édulcoré. Ce qui peut laisser quelques regrets, mais permet de le chanter en toutes circonstances !

Notes
1 – Trésors de la chanson populaire française. Autour de 50 chansons recueillies en Acadie (BnF - 1994)
2 – sur les mœurs des cordeliers voir la chanson n° 216 de septembre 2017
3 - “Formation de nos chansons folkloriques” Patrice Coirault (1953 – 1963) tome 2 pages 328 à 337. Une étude très complète qu'on ne peut reprendre en détail dans un blog.

interprète: Isabelle Maillocheau
source: le trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande, Fernand Guériff, tome 1, page 138 .
catalogue Coirault: La fille à la fontaine avant soleil levé (1705 - petites aventures au bord de l'eau)
catalogue C. Laforte: La fille à la fontaine avant soleil levé, I,I-19


J’avais une belle mère
De bon matin à m’éveiller
De bon matin à m’éveiller
Et j’allais à la fontaine
Le point du jour n’est pas levé

Refrain :
Rossignolet rossignolet
Le temps n’est plus comme il était

Et j’allais à la fontaine
Le point du jour n’est pas levé
Le point du jour n’est pas levé

En mon chemin rencontre
Un tout brave chevalier
Il m’a demandé à boire
N’ai voulu lui en donner

Il m’a parlé d’amourettes
N’ai osé lui refuser
J’nous assîmes sur la fontaine
Tous les deux à deviser

Ah que dirai-je à ma mère
D’y avoir autant tardé
Ah vous lui direz la belle
Que la fontaine a troublé

Que le rossignol sauvage
Il est venu s’y baigner


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