dimanche 26 avril 2020

337 - Quand j'étais chez mon père


Ce type de chanson est tellement répandu dans les répertoires traditionnels que nous l'avons déjà rencontré, sous une autre forme (1). Ce n'est pas une raison pour se priver du plaisir d'y revenir. Pour échapper à un galant un peu lourdingue les jeunes filles utilisent, dans les chansons, des stratagèmes qui sèment le doute chez le gêneur. On en a vu se vanter d'une origine sociale un peu douteuse ou d'un risque sanitaire (2) pour écarter l'importun. Plus simplement, celle ci joue sur la corde sensible en se mettant à faire la pleureuse.
Pour écouter la chanson et lire la suite



Ce texte nous parle d'un temps que même les plus de vingt ans ne peuvent pas connaitre. C'était bien avant l'invention de la clôture électrique, bien avant la généralisation du fil de fer barbelé. En pays de bocage le champ n'était clos que de haies et fermé par une barrière rustique. Il fallait donc confier aux jeunes la tâche ingrate de garder les troupeaux. Ce qui nous a valu tant de chansons de bergères. Désormais le progrès technique nous épargnera tous ces soucis. Il parait même qu'on est en train d'inventer un procédé de “tracking” pour surveiller les moutons ! Le concept de barrière ne s'est jamais si bien porté; pour éviter les rencontres plus que pour les favoriser, mais c'est une toute autre histoire !
Bref, le paysage bocager avec ses haies et ses chemins creux est propice aux rencontres amoureuses et aux aventures en tout genre. Voilà probablement pourquoi la jeune fille se met à chanter dès qu'elle est sur la lande (ou sur la plaine). Le lieu de rencontre y est désigné comme la “crière” du pré, autrement dit la cornière, le coin ou la sortie du pâturage, l'endroit par où passent les bêtes, qui est aussi le plus commode pour faire la conversation.
Si les larmes de la bergère ne suffisent pas pour se débarrasser de l'intrus on y ajoute l'argument, imparable, de la mère malade qu'il faut aller soigner. Comme pour la fille du lépreux, le risque de contagion suffit à créer la distanciation.
La suite est plus ambiguë. On comprend bien l'argument utilisé dans la version vendéenne notée par Jérome Bujeaud:
Je pleure mon avantage
Que vous voulez m’ôter.
De la fille d'une galle (galeuse)
Qui, ensuite, en voudrait ?
C'est une simple question d'honorabilité. Mais alors comment comprendre ce qui est la morale de quasiment toutes les versions:
Quand on tenait la poule il fallait la plumer
En revanche on comprend bien que le garçon ne faisait pas l'affaire:
Ce gros lourdaud trop bête pour m'embrasser...
Ce grand godiche qu'a l'esprit dans ses pieds
La gardienne de vaches rêve d'ascension sociale. De bergère, elle se voit bien devenir bourgeoise:
Avec un gars d’village
Qui saura travailler
ou, tout simplement, elle rêve au prince charmant:
Avec le plus bel homme
Qu'y a dans l’évêché
Dans l’évêché de Nantes
Ou dans celui d'Angers
et pourquoi pas
Avec le plus beau gars que la terre a porté
Le plus bel homme qu'il y a dans l'armée fera aussi bien l'affaire.
Cette chanson a été fredonnée ou entonnée avec tellement de refrains différents qu'on ne peut se contenter des ridondon, ridondaine qui, comme ici, sont les plus fréquents. On trouve assez souvent des:
Vive l'amour les filles, vive la liberté
Et pour la fine bouche, on ne peut s'empêcher de conclure sur celui, tout empreint de poésie, noté par Hervé Dréan dans le bourg de Férel:
Quand j'étais chez mon père, les jambes en l'air
Garçon z'à marier les jambes, les jambes
Garçon z'à marier, les jambes écartées

notes
1 – Voilà ma journée faite – chanson n° 119 en septembre 2015, et A nous le pompon - chanson n° 300 en juin 2019.
2 – chanson type: la fille du lépreux. On n'avait pas encore inventé le coronavirus à l'époque. La chanson des marins de Redon en est une variante (cf chanson 192 en mars 2017)

interprètes: Isabelle Maillocheau, avec Janick Péniguel, Annick Mousset, Aurélie Aoustin
source: Le trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande – Fernand Gueriff (Dastum 44 / Parc de Brière – 2009) tome 3, page 86 – chanté par Julien Leroux en 1936 à la Turballe
Catalogue P. Coirault: le galant intimidé par les pleurs de la belle (1905 – occasions manquées)
catalogue C. Laforte: I, K-08 l'occasion manquée

Quand j’étais chez mon père } bis
Ridondon ridondaine }
Garçon’z à marier
Ridondaine daine
Garçon’s à marier
Ridondé

J’allais garder les vaches
Ri dondon ri dondaine
Les moutons dans les prés
Ridondaine daine…..

Je n’avais rien à faire
Qu’une fille à chercher

Un jour j’en trouvai ‘t une
Dans la crière d’un pré

J’me suis approché d’elle
Pour d’amour lui parler

La fille était jeunette
Elle se mit à pleurer

Elle s’enfuit dans la lande
Et se mit à chanter

Tais toi petite sotte
Je te rattraperai

Soit à garder les vaches
Les moutons dans les prés

Je ne garde pas vaches
Ni moutons dans les pré

Ma mère elle est malade
Je reste à la garder

Quand elle sera guérie
Là je m’y marierai

Avec le plus bel homme
Qu’il y a dedans l’armée


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