Nous avons tout essayé
pour parler d'amour en ce début d'année. Mais l'actualité résonne
de bruits de conflits. Alors suivons le mouvement avec une chanson
qui évoque un retour de guerre. Laquelle ? Peu importe, même
si on l'imagine d'un autre âge, avec des armes qui nous paraissent
aujourd'hui bien dépassées.
C'est une chanson
énigmatique. Nous n'avons que des interrogations sur son origine et
peu de réponses concrètes à vous apporter. C'est une chanson rare
et quelque peu oubliée. Mais elle est là, dans nos archives, et ne
demande qu'à resurgir, tant son thème, lui, n'est ni rare ni
surprenant.
Pour écouter la chanson
et lire la suite :
Qui sont donc ces
cavaliers ? Qui est donc ce M. de la Giraudé ? Nous devons
vous avouer que nous n'en savons rien. Mais intéressons nous d'abord
aux éléments concrets de cette découverte.
Nous disposons de trois
sources concordantes pour cette chanson. Toutes les trois notées
dans la seconde moitié du 19è siècle et dans un secteur
géographique restreint, celui de Pornic, sur la côte de jade. Les
trois versions varient peu tant pour le texte que pour la mélodie
mais suffisamment pour nous obliger à faire un choix. C'est donc la
version recopiée dans les cahiers du violoneux Poiraud que nous
avons choisi d'interpréter. Une source avec laquelle vous êtes déjà
familiarisés si vous suivez régulièrement ce blog. Les deux autres
copies à notre disposition sont : les collectes d'Armand
Guéraud et celles d'Abel Soreau (1). Les dates de recueil vont de
1860, pour Guéraud à 1897 pour Soreau, avec deux informateurs
différents, outre le violoneux Poiraud, MM Bellanger pour Guéraud
et Joseph Rousse pour le chanoine Soreau ; tous trois sont
originaires de Pornic. La localisation est donc bien précise et
limitée. Est-ce à dire que cette chanson n'était connue qu'à cet
endroit ? Pas tout à fait. Une mélodie intitulée « Le
long de ces sentes vertes » est présente dans le volume 4 des
« Chanson des pays de l'Oust et du Lié » (p. 11) qui
reprend partiellement les mêmes aventures. Il est possible que
d'autres versions nous aient échappé. Si vous en connaissez, merci
de nous en faire profiter.
La chanson du pays de
Loudéac ne parle pas de ce Monsieur de la Giraudé (ou Girausé).
Personnage réel ou de fiction ? Voilà qui est bien difficile à
savoir. Le récit fait penser à une de ces légendes médiévales et
chevaleresques qui devaient faire frémir dans les donjons. Mais
est-ce pour autant un gage d'ancienneté ? Rien n'est moins sur.
Les siècles passés ont connu à diverses reprises des périodes
d'engouement pour le moyen-âge. Nous avons déjà publié il y a peu
un texte portant sur la période des croisades et pourtant composé à
la fin du 18è siècle (2). Aucune certitude donc, même si une
certaine analogie peut être constatée avec les malheurs du prince
d'Orange qui meurt au retour de la guerre :
De trois grands coups
de lance qu'un anglais m'a donné.
Voici donc tout ce qu'on
peut dire sans se lancer dans des suppositions hasardeuses. La
chanson était connue à Pornic, bien avant que la mode des bains de
mer et le développement du chemin de fer n'en fassent une station
balnéaire à la mode.
Les détails du récit
font référence à une époque révolue de chevalerie en armes. Une
époque où les nobles choisissaient pour sépulture l'intérieur des
églises ; ce qui nous vaut d'avoir conservé quelques monuments
funéraires intéressants dans certaines cathédrales. Le clergé, au
plus haut niveau, mit un terme à cette pratique, vers le début du
18è. essentiellement pour des raisons d'hygiène. Le valet a aussi
droit à un emplacement particulier : le balai (ou balet) de la
grande porte, un endroit sans doute bien en vue. Amis historiens, on
attend vos explications à ce sujet. Il pourrait s'agir d'un porche
ou d'une entrée couverte, d'après les annotations d'Abel Soreau sur
le sujet (3).
Il n'y a pas de morale à
cette chanson. Prenons le risque d'en choisir une : La guerre ne
connait que peu de vainqueurs mais beaucoup de perdants.
Notes
1 – documents
consultables à Dastum 44 pour le manuscrit Poiraud, et à la
médiathèque de Nantes pour Abel Soreau. Pour Guéraud : Chants
populaires du pays nantais et du bas Poitou (Modal-FAMDT – 1995)
tome 1 , page 101.
2 – voir Alonzo et
Imogine, chanson n° 317, novembre 2019.
3 – voici les notes
d'Abel Soreau. Comprenne qui pourra : Baletum
– Apud Pictavenses vulgo Balet species
porticus textae ad mundinas alias ver es quaslibet ab aeris
intemperie
defondendas.
interprète :
Jean-Louis Auneau
source :
quatre vingt chansons du Pays de Retz, cahier du violoneux Poiraud,
recopié par Michel Gautier – archives Dastum 44
Qui sont ces cavaliers,
là ? (bis)
Qui chevauchent le long de
la prée, là
Qui chevauchent le long de
la prée.
C’est monsieur de la
Giraudé (bis)
Là qui s’en revient de
l'armée,
Là qui s’en revient de
l'armée.
Son cheval est si léger
(bis)
Qu’il n’en abat pas la
rosée, là
Qu’il n’en abat pas la
rosée
Oui mesdames c’est bien
moi (bis)
Sur mon corps je porte les
marques, là
Sur mon corps je porte les
marques
J’ai quinze blessures au
coté (bis)
Et mon cher valet en a
seize, là
Et mon cher valet en a
seize
Si je meurs enterrez moi
(bis)
Vis à vis l’autel de
Saint Georges, là
Vis à vis l’autel de
Saint Georges
Et mon valet vous
l’enterrerez (bis)
Sous le balai de la grande
porte, là
Sous le balai de la grande
porte
Mon tombeau d’or vous
garnirez (bis)
Celui de mon valet de nos
armes, là
Celui de mon valet de nos
armes,
Ceux qui nous verront
diront (bis)
Diront ; grand Dieu,
quelle dommage, là
Diront ; grand Dieu,
quelle dommage !
Deux couplets supplémentaires présents dans la version notée par Armand Guéraud:
C’étaient
deux vaillants guerriers, (bis)
Qui
sont morts en la bataille-là,
Qui
sont morts en la bataille !
C’est
pour nous qu’ils sont tombés ; (bis)
Prions
un p’tit pour leurs âmes-là,
Prions
un p’tit pour leurs âmes-là !
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