L'histoire contenue dans cette chanson
n'est pas bien nouvelle. Elle nous ramène aux premiers épisodes de
la Genèse. Un homme, une femme, un serpent tentateur et un arbre
que nos ancêtres ont défini comme un pommier, probablement parce
que cette image était pour eux la plus courante sinon la plus
simple. Ce fruit, c'est l'essence même de la connaissance du bien et
du mal; ce qui différencie Dieu des simples humains: tout un
programme!
Comment un chant qui se rapporte à des
événements bien antérieurs à la naissance du Christ peut-il être
un “Noël” ? C'est, tout simplement, que ce genre inclut aussi
bien des textes relatifs à la nativité que des chansons qui avaient
pour seul point commun d'être entonnés à cette période de
l'année.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
C'est de la “belle bible des Noëls
Guérandais”, tome 5 des collectes de Fernand Guériff, que nous
avons sorti ce chant de saison. Un ouvrage paru bien avant les tomes
2, 3 et 4 que nous avons édités ces dernières années (1).
Les “Noëls” vont bien au delà de
la seule célébration de la crèche de Bethléem. Ils regroupent
toute une série de chansons qui vont de l'Avent à l’Épiphanie,
ainsi que des sujets où la religion tient une place importante; Tous
ces chants avaient en commun le fait d'être chanté dans ces
différentes circonstances qui précèdent ou accompagnent le
tournant de l'année. En fait, c'était autrefois une période où
l'on chantait beaucoup aux veillées, en famille ou entre voisins.
Dans cette période de jours courts et de temps sombre, le besoin de
reconstituer une atmosphère chaleureuse, se traduisait évidemment
par le chant. Ce qui explique la diversité des textes recueillis.
Les airs populaires nous présentent souvent la description de
métiers, de paroisses, de personnages se rendant symboliquement à
la crèche. Les textes de composition savante sont encore plus variés
et font parfois référence à des situations hors du contexte de la
nativité, tel celle-ci.
Pour l'origine de ce chant, laissons la
parole à Fernand Guériff: “Les paroles seraient de Guillaume
Colletet (1598 – 1659), l'homme de plume qui collaborait aux œuvres théâtrales de Richelieu.
Le timbre ordinaire est “de la noce à
Jeannet” indiqué dans le cahier du capitaine Savoyard en 1665,
célèbre chanteur populaire du Pont-Neuf”. Nous n'avons pas eu
accès à ce cahier, mais le timbre est présent dans les éditions
de Ballard, en 1717 (2), comme support d'une chanson à boire ! Dans
le même temps le fameux Louis-Claude Dacquin en fait une adaptation
pour orgue, qu'il inclut à ses Noëls.
L'air qui nous est proposé ici est
celui recueilli vers 1850, par Charles-Marie Loyer, l'un des premiers
guérandais s'étant intéressé aux chansons populaires de ce
secteur, sorti de l'oubli grâce aux travaux de Fernand Guériff. Il
diffère un peu de l'original, prouvant ainsi que la popularité de
ce chant avait abouti à sa folklorisation.
Nous ne nous étendrons pas sur le
texte lui-même. Malgré son caractère gentiment misogyne, il
récapitule l'essentiel de la morale biblique: fini de coincer la
bulle dans les jardins d'Eden. Désormais l'homme est confronté à
tous les malheurs: plaintes, peurs, peste, guerre, vieillesse
inexorable, réforme des retraites, etc.
Bien avant la publication de ce texte
des auteurs de Noëls avaient déjà réglé son compte à notre
ancêtre commun. En voici deux répertoriés par Henri Poulaille, le
spécialiste du genre, dans sa “belle bible des Noëls anciens”.
Dès 1555, à Lyon, Nicolas Martin dénonce:
Adam par sa fragilité
Nous fit mortels par vice...
Nous fit mortels par vice...
Michel Coyssard, en 1657, imprime des
vers qui débutent par:
Notre premier père Adam
A son dam
La funeste pomme entame...
D'autres Noëls, anonymes, reviennent
avec insistance sur les responsabilités du voleur de pomme et de sa
moitié.
Il est sans doute un peu tard pour
apprendre et chanter cette chanson en ce Noël 2019. Mais si vous
faites dès maintenant l'acquisition (pour une somme fort modeste) du
recueil de chansons de F. Guériff, il vous restera 52 semaines pour
pouvoir les entonner l'hiver prochain.
Sur ce, nous vous souhaitons de très
bonne fêtes de fin d'année et vous donnons rendez-vous en 2020.
notes
1 - pour vous le procurer, voyez notre
page “nos éditions”. Les tomes 1 et 5 ont été édités par
Guériff, de son vivant. Les trois autres ont été publiés depuis
par Dastum 44 et le Parc Naturel Régional de Brière
2 – La clef des chansonniers, de J-C
Ballard – tome 1, page 162
interprète: Barberine Blaise
source: la belle bible des Noëls
Guérandais, tome V des collectes de Fernand Guériff – page 104 –
air recueilli vers 1850 par Charles-Marie Loyer.
catalogue C. Laforte: seul le
timbre est répertorié: A la noce de Jeanne (vol 6, chanson sur
timbres)
1.
Qu'Adam fut un pauvre homme
De nous faire damner
Pour un morceau de pomme
Qu'il ne put avaler,
Sa femme sans cesse
Le flatte, le presse
D'en gouter un petit
Croyant que la sagesse
Que Satan avait dit
Gisait dedans ce fruit.
2.
Mais s’étant aperçue
Que sage n’était pas,
Se voyant toute nue
Après ce beau repas,
Honteuse, tremblante
Piteuse, dolente
Elle court au figuier
Et ramassant les feuilles
Tâche de les plier
Pour faire un tablier
3.
Cependant notre père
Que le morceau pressait
Tout rouge de colère
Sa femme maudissait :
Perfide, cruelle,
Crédule, rebelle
Tu trompes ton époux.
Que dira notre maître ?
Fuyons et cachons-nous,
Je crois trop son courroux. »
4.
A ce bruit déplorable
Dieu descend promptement
Dieu descend promptement
Et d'un air tout aimable
Appelle doucement :
Mon Eve ma fille
Epouse gentille,
Adam de moi chéri !
Mais à cette semonce
Ni femme ni mari
Ne dirent : « Me voici ».
5.
L'auteur de la Nature
A qui rien n'est caché
Sous un tas de verdure
Découvre Adam couché
Tout triste, tout pâle,
Qui tremble, tout sale
De s'être ainsi traîné
Et qui dit : « C'est la femme
Que vous m'aviez donnée
Qui m'a presque damné.
6.
La femme, à cette plainte
Contre Adam se défend
Et dit que sa contrainte
Ne vient que du serpent
Que dire, que faire ?
De rire, de braire
Ce n’est plus la saison
Dieu leur ferme la porte
Et comme de raison
Leur défend la maison
7.
Cette triste infortune
Causa tous nos malheurs
La vieillesse importune
Les plaintes et les pleurs
La peste, la guerre
Par toute la terre
Se répandent soudain
Pour punir l’insolence
De notre père Adam
Et de ses descendants.
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