Quel véritable plaisir de pouvoir
découvrir, semaine après semaine toute la diversité des chansons
de tradition orale ! On passe ainsi, sans transition, des plus
sombres complaintes aux poésies les plus aériennes. Si notre
précédente livraison sentait le moisi et l'odeur du sang, celle ci
embaume la rose et est bercée par le chant des oiseaux. Si bien des
chansons traditionnelles sont composées dans un langage à double
sens où chacun peut trouver son compte, celle ci s'adresse
exclusivement aux amoureux dans un langage qui est tout sauf
explicite. Ce qui explique peut être pourquoi elle reste
relativement rare dans le répertoire populaire.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Peut être que le seul point commun
entre la chanson précédente (Alonzo et Imogine) et celle ci serait
leur mode de diffusion. En effet, les références du répertoire de
la chanson française de P. Coirault font apparaître un plus grand
nombre de diffusions par la littérature de colportage que d'autres
recueils. Cette chanson est assez peu courante dans nos collectes.
Elle n’apparaît qu'à un seul exemplaire dans la base Dastumedia.
Elle semble aussi connue en Vendée.
Mais laissons ce critère de rareté
pour essayer de décrypter le message qu'elle contient. Pour ce qui
des symboles, c'est un véritable catalogue du langage amoureux:
jardin, fontaine, rose et autres fleurs, sommeil et rêves, papillons
et jusqu'à l'habituel rossignol trop bavard, tout y est pour
convertir le poème en langage codé. Un peut trop même, ce qui tend
à transformer les symboles en poncifs.
On notera que l'amoureux de la chanson
fait tout pour ne pas réveiller sa belle. Est ce que la peur de
franchir le pas, de passer d'un amour contemplatif à une vraie
relation, ne serait pas le fond de l'affaire ?. La peur de s'engager,
avec toutes les conséquences que celà entraîne est-elle contenue
dans ces vers où la fragilité de la rose et du papillon servent de
prétexte à la retenue du galant ?
Notre version ne donne la parole qu'à
l'amant qui ne souhaite pas troubler le sommeil de sa belle. Il
existe pourtant d'autres exemples de cette chanson où la jeune fille
finit par se réveiller et entame un dialogue dont nous n'avons, ici,
qu'une ébauche dans les deux derniers couplets. En effet, l'avant
dernier nous la présente plus comme la victime d'une panne de réveil
qui va être à la bourre en arrivant à la pointeuse.
Les vers notés en Savoie par Servettaz
(1) présentent l'affaire différemment:
J'ouvre les yeux, je vois
Mon Colin dont je rêve
…
Faut-il que je me lève
Pour aller avec toi ?
quand la nôtre ne pense qu'à ses
brebis !
Arrêtez, arrêtez, s'écrie le
jeune homme, tout comme ici. Mais l'épilogue savoyard donne à
nouveau la parole à la belle réveillée:
Mais pourquoi tu m'arrêtes?
Sois toujours mon vainqueur
Je suis prête à me rendre
A t'y donner mon cœur
D'un amour rêvé, idéalisé par le
galant, sa maîtresse le transforme en un désir bien concret. Voilà
qui conforte l'idée que nous nous sommes faite de cette chanson où
la belle au bois dormant n'attend, en fait, du prince charmant que de
passer de la théorie aux travaux pratiques.
note
1 - Vieilles chansons savoyardes, de
Claudius Servettaz (1910) réédité par les éditions des
régionalismes (2010)
Interprète : Janick Péniguel
source: Mme Bruneau, de La
Limouzinière (Loire-Atlantique), enregistrée en 1976 par Denis
Angibaud (document original disponible sur Dastumedia)
catalogue P. Coirault : La
beauté que j’adore dort bien tranquillement (Endormies – N°
01602)
On dit partout que j’aime
Moi, je n’m’en défends pas
Ma maîtresse a des charmes
Que bien d’autres n’ont pas
Elle est jeune, elle est belle
Elle a su m’y charmer
Je ne puis m’en défendre
En voyant sa beauté
Le matin je m’y lève
Faire un tour au jardin
Pour y couper mes peines
Et verdir mon chagrin
Le plaisir que j’y trouve
Dans ce jardin fleuri
J’ai trouvé sans surprise
Ma maîtresse endormie
Il y a là sur la rose
Un papillon léger
De la cueillir, je n’ose
Car je crains le danger
Il y a sur la fontaine
Le jour de la Saint-Jean
Le rossignol qui chante
Le plaisir des amants
Chante rossignol, chante
Chante un peu plus bas
Car ma mie a sommeil
Ne la réveille pas
Il y a longtemps je rêve
Le soleil m’a surpris
Il est temps que je m’y lève
Pour poursuivre mes brebis
Où allez-vous si vite
Mon aimable beauté
Pour vous mon cœur bat vite
Arrêtez, arrêtez.
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