samedi 14 décembre 2019

319 - C’est un p’tit cordonnier


Si on ne retient de cette chanson que la ritournelle “ lundi, mardi, jour de mai” ce ne sont pas les références qui manquent. On la retrouve dans plusieurs chansons à danser du répertoire gallo. Elle y est associée le plus souvent au texte de la Flamande (ou de la servante) qui a tant d'amoureux qu'elle ne sait lequel prendre. C'est d'ailleurs généralement un cordonnier qui a sa préférence. Mais celà n'a rien à voir avec cette chanson-ci.
Son texte parait inspiré d'un conte populaire détaillant la même aventure. Si elle est inédite dans le répertoire traditionnel francophone, elle présente tout de même de curieuses similitudes avec un texte en breton.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


“Les nains”, cinquième chanson du Barzaz Breiz (1), pourrait bien être la source de cette histoire de cordonnier. Dans la chanson recueillie par M. de la Villemarqué, le héros est un tailleur, profession dont la réputation n'est pas moindre que celle de cordonnier. C'est à dire des personnages dont la tradition aime bien se moquer. Quand aux nains il ne s'agit pas, bien entendu, d'humains de petite taille, mais d'êtres mythiques peuplant les landes et autres endroits déserts. Chaque folklore les désigne sous des noms divers et variés, lutins, korrigans ou farfadets... et leur confère des pouvoirs souvent maléfiques.
Le déroulement de notre chanson suit très fidèlement celui de la version en langue bretonne, provenant de Cornouaille. Comme la version française recueillie par le chanoine Soreau est unique dans les archives, on peut supposer qu'elle n'est qu'une adaptation du texte de la Villemarqué, qui lui est antérieur de plus de quarante ans.
Dans ses notes accompagnant la chanson des nains, le précurseur des grandes collectes du 19ème siècle précise bien que les chants sur les nains comme sur les fées sont très rares “tandis que les traditions relatives à ces êtres surnaturels sont multipliées à l'infini”.
Les contes relatifs aux chants et aux danses des nains se racontent un peu partout. Ainsi tel bossu qui réussit à partager leurs réjouissances se voit soulagé de son infirmité, tandis que son compère, voulant profiter de l'aubaine, se trompe dans les paroles et se retrouve affligé d'une seconde malformation. Chanter lundi, mardi danse c'est la coutume; aller jusqu'au vendredi passe encore; mais y ajouter le samedi et le dimanche est une erreur fatale.
Dans la chanson, le cordonnier / tailleur se rend coupable d'un tout autre forfait. Il s'en prend aux richesses des nains. Après tout, la tradition contée les décrit souvent comme les gardiens de trésors dont ils n'ont guère l'usage. Mais vouloir en profiter est une mauvaise idée. Le voilà condamné à danser. Ce qui pour nous est un plaisir devient pour lui une torture. Sous couvert de tradition païenne, ne faut-il pas voir dans cette morale de l'histoire une forme de condamnation des plaisirs de la danse ? Un thème revenant souvent dans les sermons des curés. A vous de juger.

note
1 – Ar c'horred (les nains) page 35 du Barzaz Breiz de Théodore Hersart de la Villemarqué – réédition par la Librairie académique Perrin (1963) de l'édition de 1867.

interprète : Nicolas Pinel,
source : fonds Abel Soreau, chanson n° 19 – recueillie du père Georges, à Saint-Joachim (44), le 6 avril 1894 - publiée dans le deuxième cahier "vieilles chansons du pays nantais" en 1902
catalogue P. Coirault : non catalogué
catalogue C. Laforte : non catalogué

C’EST UN PETIT CORDONNIER

C’est un p’tit cordonnier
Lundi, mardi, jours de mai
C’est un p’tit cordonnier
Il n’voulait plus travailler

REFRAIN
Que la ronde commence
Marquons bien la cadence
Lundi, mardi, danse

Là-bas dans la vallée
Lundi, mardi, jours de mai
Là-bas dans la vallée
Chez les nains s’en est allé

Leur or a déterré
Lundi, mardi, jours de mai
Leur or a déterré
Chez lui, vite, il s’est sauvé

La porte il a fermée
Lundi, mardi, jours de mai 
La porte il a fermée
La porte, aussi la croisée

Les nains ont pas tardé
Lundi, mardi, jours de mai 
Les nains ont pas tardé 
Sur le toit ils ont grimpé

Aïe ! par la cheminée
Lundi, mardi, jours de mai
Aïe ! par la cheminée
Trois, quatre, cinq, ils s’sont glissés

Ah, méchant cordonnier
Lundi, mardi, jours de mai 
Ah, méchant cordonnier
J’allons t’apprendre à voler 

Ils l’ont pris par le nez
Lundi, mardi, jours de mai
Ils l’ont pris par le nez
Par les mains et par les pieds

Sur l’aire ils l’ont mené
Lundi, mardi, jours de mai 
Sur l’aire ils l’ont mené 
Avec eux lui faut danser

Qu’il voudrait ben souffler 
Lundi, mardi, jours de mai 
Qu’il voudrait ben souffler
Dans la ronde est entraîné

Danse, petit cordonnier
Lundi, mardi, jours de mai
Danse, petit cordonnier
Qui n’voulait plus travailler

Danse, petit cordonnier
Lundi, mardi, jours de mai !
Danse, petit cordonnier
Nous t’apprendrons à voler !


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