Et revoilà notre bon
Saint Nicolas; Vous l'avez apprécié dans l'affaire des enfants au
saloir (1), vous allez l'adorer dans cette nouvelle complainte qui
allie le drame humain et l'intervention divine.
Qu'a donc fait la nourrice
pour protéger l'enfant du froid ? Placer le berceau près d'une
cheminée, ou mettre directement une chaufferette dans le lit. Est-ce
un simple accident domestique ou faut-il y voir une métaphore sur le
thème des cendres. Pourtant, grâce à l'intervention du saint
protecteur, exceptionnellement, la chanson finit bien.
Pour écouter la chanson
et lire la suite:
Nous nous sommes basés
sur la version de cette complainte chantée par Madeleine Hervy à la
Chapelle des Marais. Comme souvent dans les grandes complaintes le
texte collecté omet quelques détails que nous allons rechercher dans
d'autres collectes.
Premier épisode: La
nourrice qui s'est endormie et retrouve à son réveil un enfant mort
“entre ses bras”. Cela ne veut pas dire qu'elle l'aurait étouffé,
ce qui est pourtant suggéré dans certaines versions. Ce qui
justifie le titre de la chanson c'est soit qu'il serait tombé dans
l'âtre, soit qu'une chaufferette aurait mis le feu à son berceau.
Mais ces détails, qui ne sont que rarement donnés, ne sont pas de
la première importance. C'est le résultat qui compte; une faute
professionnelle qui va la pousser au désespoir. La chanson enchaîne
directement sur cette solution finale. Mais c'est là que vient
souvent se placer un second épisode qui nous en apprend un peu plus
sur le contexte.
Ainsi avant de se
précipiter à la rivière, la servante est obligée de justifier ses
pleurs auprès du roi de la reine ou d'un de leurs pages. Ce deuxième
épisode nous apprend donc au passage qu'elle est la nourrice d'un
« royal baby » Lisa, Isa ou Isac (2), est fréquemment
désignée comme “le Dauphin” (ou la Dauphine). Comme ça sent le
brûlé, une explication est vite trouvée.
— Les souliers de
l'enfant
Dans le feu qu'ont
brûla !
— Ne pleurez point,
nourrice,
D'autres on li fera.
Une formule qui rappelle
celle utilisée dans d'autres complaintes (3).
Intervient donc maintenant
le grand Saint Nicolas, ressusciteur d'enfants qui n'en est pas à son
premier miracle. Il a entendu l'appel de la servante qui sert de
refrain à la chanson. Il lui rappelle au passage que vouloir mettre
fin à ses jours n'est guère recommandé par la religion.
L'intervention divine déléguée au saint patron des enfants (entre
autres) nous vaut donc une fin heureuse ce qui n'est pas si fréquent
dans les complaintes.
Dans son “Romancero
populaire de la France”, Doncieux, qui n'était jamais en manque
d'imagination, nous trouve une origine lorraine pour cette chanson
sur la base d'un thème catalan, où le miracle est attribué à la
Vierge. Le voyage entre Montserrat et Saint Nicolas de Port (54) y
est même justifié. C'est à peine s'il nous manque l'itinéraire
Mappy et les coordonnées GPS. Plus sérieusement, Doncieux suppose
qu'un dévot ait un jour insinué son saint favori dans le miracle du
nourrisson brûlé. Et comme le culte de cet évëque, originaire de
Turquie, a pris naissance en Lorraine...!
Il est bien possible que
cette légende ait subi quelques transformations puisque certaines
relations du drame ne mentionnent pas l'intervention du saint. Par
exemple: la nourrice y est parfois accusée d'avoir laissé l'enfant
s'étouffer. Au moment où elle va être pendue, l'enfant se met à
parler. On se situe à la frontière entre magie et religion ce qui
n'est pas très étonnant quand on sait combien de légendes païennes
ont été récupérées ou détournées par la religion, calquant
ainsi la foi chrétienne sur certaines croyances populaires.
Vous pouvez entendre la
version originale de cette chanson sur le disque “Grandes
complaintes de Haute-Bretagne” que nous avons co-édité en 1998
avec ArMen, la Bouèze et le Groupement culturel Breton des Pays de
Vilaine.
Quand à notre héros,
Saint Nicolas, nous risquons fort de le retrouver au détour d'une
autre complainte. Toujours pour citer Doncieux “il n'y a trace du
prodige de ce nourrisson brûlé et ressuscité dans aucune vie de
Saint Nicolas, ancienne ni moderne”. Mais ce n'est pas cela qui a
pu dissuader la chanson populaire de lui attribuer divers miracles.
Alors ne manquez pas les prochains épisodes.
notes
1 - chanson n° 276 de ce
blog, en novembre 2018
2 - pour les versions
bretonnes. Dans une chanson recueillie en Lorraine par Westphalen,
l'enfant s'appelle Gérard !
3 – Elle est employée
dans les chansons recueillies par A. Millien et rappelle les
dénégations de la mère dans la complainte du Roi Renaud: Mais
pourquoi, mère m´amie, pour un linceul pleurer ainsi? Quand Renaud
de guerre viendra, plus beaux linceux on brodera
interprète :
Janig Juteau
source :
Madeleine Hervy, de Mayun en La Chapelle des Marais, enregistrée en
1992
catalogue Coirault :
la nourrice et l'enfant du roi 8307
catalogue Laforte :
Le nourrisson brûlé (I, A-08)
C’est la belle nourrice
qui nourrissait Lisa (bis)
La nourrice, elle
s’endort, Lisa entre ses bras
Seigneur, sauveur,
aidez-moi, ne m’abandonnez pas
La nourrice, elle
s’endort, Lisa entre ses bras (bis)
Et quand elle se réveille,
en cendres la trouva
Seigneur, sauveur…
Elle prend vite du linge,
se noyer elle s’en va
Dans son chemin rencontre
le grand Saint Nicolas
Où t’en vas-tu
nourrice, où vas-tu de ce pas
Je vais à la rivière
pour y laver mes draps
Tu mens, tu mens,
nourrice, te noyer tu t’en vas
Retourne-toi, nourrice, tu
trouveras Lisa
Lisa est dans son ber qui
te tend les deux bras
Voici le grand miracle que
fit Saint Nicolas.
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