vendredi 24 mai 2019

297 - Le nourrisson brûlé


Et revoilà notre bon Saint Nicolas; Vous l'avez apprécié dans l'affaire des enfants au saloir (1), vous allez l'adorer dans cette nouvelle complainte qui allie le drame humain et l'intervention divine.
Qu'a donc fait la nourrice pour protéger l'enfant du froid ? Placer le berceau près d'une cheminée, ou mettre directement une chaufferette dans le lit. Est-ce un simple accident domestique ou faut-il y voir une métaphore sur le thème des cendres. Pourtant, grâce à l'intervention du saint protecteur, exceptionnellement, la chanson finit bien.
Pour écouter la chanson et lire la suite:

Nous nous sommes basés sur la version de cette complainte chantée par Madeleine Hervy à la Chapelle des Marais. Comme souvent dans les grandes complaintes le texte collecté omet quelques détails que nous allons rechercher dans d'autres collectes.
Premier épisode: La nourrice qui s'est endormie et retrouve à son réveil un enfant mort “entre ses bras”. Cela ne veut pas dire qu'elle l'aurait étouffé, ce qui est pourtant suggéré dans certaines versions. Ce qui justifie le titre de la chanson c'est soit qu'il serait tombé dans l'âtre, soit qu'une chaufferette aurait mis le feu à son berceau. Mais ces détails, qui ne sont que rarement donnés, ne sont pas de la première importance. C'est le résultat qui compte; une faute professionnelle qui va la pousser au désespoir. La chanson enchaîne directement sur cette solution finale. Mais c'est là que vient souvent se placer un second épisode qui nous en apprend un peu plus sur le contexte.
Ainsi avant de se précipiter à la rivière, la servante est obligée de justifier ses pleurs auprès du roi de la reine ou d'un de leurs pages. Ce deuxième épisode nous apprend donc au passage qu'elle est la nourrice d'un « royal baby » Lisa, Isa ou Isac (2), est fréquemment désignée comme “le Dauphin” (ou la Dauphine). Comme ça sent le brûlé, une explication est vite trouvée.
Les souliers de l'enfant
Dans le feu qu'ont brûla !
Ne pleurez point, nourrice,
D'autres on li fera.
Une formule qui rappelle celle utilisée dans d'autres complaintes (3).
Intervient donc maintenant le grand Saint Nicolas, ressusciteur d'enfants qui n'en est pas à son premier miracle. Il a entendu l'appel de la servante qui sert de refrain à la chanson. Il lui rappelle au passage que vouloir mettre fin à ses jours n'est guère recommandé par la religion. L'intervention divine déléguée au saint patron des enfants (entre autres) nous vaut donc une fin heureuse ce qui n'est pas si fréquent dans les complaintes.
Dans son “Romancero populaire de la France”, Doncieux, qui n'était jamais en manque d'imagination, nous trouve une origine lorraine pour cette chanson sur la base d'un thème catalan, où le miracle est attribué à la Vierge. Le voyage entre Montserrat et Saint Nicolas de Port (54) y est même justifié. C'est à peine s'il nous manque l'itinéraire Mappy et les coordonnées GPS. Plus sérieusement, Doncieux suppose qu'un dévot ait un jour insinué son saint favori dans le miracle du nourrisson brûlé. Et comme le culte de cet évëque, originaire de Turquie, a pris naissance en Lorraine...!
Il est bien possible que cette légende ait subi quelques transformations puisque certaines relations du drame ne mentionnent pas l'intervention du saint. Par exemple: la nourrice y est parfois accusée d'avoir laissé l'enfant s'étouffer. Au moment où elle va être pendue, l'enfant se met à parler. On se situe à la frontière entre magie et religion ce qui n'est pas très étonnant quand on sait combien de légendes païennes ont été récupérées ou détournées par la religion, calquant ainsi la foi chrétienne sur certaines croyances populaires.
Vous pouvez entendre la version originale de cette chanson sur le disque “Grandes complaintes de Haute-Bretagne” que nous avons co-édité en 1998 avec ArMen, la Bouèze et le Groupement culturel Breton des Pays de Vilaine.
Quand à notre héros, Saint Nicolas, nous risquons fort de le retrouver au détour d'une autre complainte. Toujours pour citer Doncieux “il n'y a trace du prodige de ce nourrisson brûlé et ressuscité dans aucune vie de Saint Nicolas, ancienne ni moderne”. Mais ce n'est pas cela qui a pu dissuader la chanson populaire de lui attribuer divers miracles. Alors ne manquez pas les prochains épisodes.

notes
1 - chanson n° 276 de ce blog, en novembre 2018
2 - pour les versions bretonnes. Dans une chanson recueillie en Lorraine par Westphalen, l'enfant s'appelle Gérard !
3 – Elle est employée dans les chansons recueillies par A. Millien et rappelle les dénégations de la mère dans la complainte du Roi Renaud: Mais pourquoi, mère m´amie, pour un linceul pleurer ainsi? Quand Renaud de guerre viendra, plus beaux linceux on brodera


interprète : Janig Juteau
source : Madeleine Hervy, de Mayun en La Chapelle des Marais, enregistrée en 1992
catalogue Coirault : la nourrice et l'enfant du roi 8307
catalogue Laforte : Le nourrisson brûlé (I, A-08)

C’est la belle nourrice qui nourrissait Lisa (bis)
La nourrice, elle s’endort, Lisa entre ses bras
Seigneur, sauveur, aidez-moi, ne m’abandonnez pas

La nourrice, elle s’endort, Lisa entre ses bras (bis)
Et quand elle se réveille, en cendres la trouva
Seigneur, sauveur…

Elle prend vite du linge, se noyer elle s’en va

Dans son chemin rencontre le grand Saint Nicolas

Où t’en vas-tu nourrice, où vas-tu de ce pas

Je vais à la rivière pour y laver mes draps

Tu mens, tu mens, nourrice, te noyer tu t’en vas

Retourne-toi, nourrice, tu trouveras Lisa

Lisa est dans son ber qui te tend les deux bras

Voici le grand miracle que fit Saint Nicolas.


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